100% des délinquants ont tenté leur chance

Eric Zemmour est au tribunal cette semaine pour les propos tendancieux qu'il avait tenus dans une émission de télévision.
Jean-Pierre Chevènement lui a apporté un soutien inattendu en affirmant aujourd'hui qu"'Il suffit, comme j'ai eu l'occasion de le faire, de consulter les listings de la Direction centrale de la Sécurité publique du ministère de l'Intérieur, pour constater que plus de 50% des infractions constatées sont imputables à des jeunes dont le patronyme est de consonance africaine ou maghrébine."

L'occasion pour moi de revenir sur un sujet qui me tient à cœur : les biais cognitifs.
Je n'ai pas personnellement consulté les listings de la Direction de la sécurité publique, mais je fais raisonnablement confiance à JP Chevènement sur ce point, il a vraisemblablement raison, ou plutôt, qu'il ait raison ou tort ne change absolument rien à la suite de mon propos.

La question est de savoir si cette affirmation nous permet de mieux connaitre, et donc mieux combattre les crimes et délits qui sont commis. Et d'un point de vue strictement logique et statistique, la réponse est bien sûr non.

Le fait que plus de 50% (et même 99% !) d'une population présente une caractéristique semblable n'implique en rien un lien de causalité entre cette caractéristique et ce qu'on souhaite mesurer. Cela relève de la logique la plus élémentaire qui n'est mathématiquement pas contestable : si une grande proportion (mettons 80% pour l'exemple) de délinquants sont des hommes, cela ne signifie pas pour autant que 80% des hommes sont délinquants.
Il s'agit donc d'abord de s'assurer que la caractéristique choisie a du sens par rapport à ce qu'on veut mesurer, et que d'autres facteurs peut-être plus influents ne sont pas ignorés. Il s'agit également d'éviter les conclusions hâtives. Coluche disait : 1/3 des accidents de la route sont causés par des conducteurs bourrés, qu'attend-on pour arrêter les 2/3 de conducteurs sobres qui causent la majorité des accidents ?

Comme chacun de vous peut le comprendre aisément, il n'est pas si simple d'établir une corrélation et une relation de causalité. Les biais d'interprétation sont nombreux et il est extrêmement difficile de ne pas tomber dans un piège.
Le plus évident concernant la délinquance, c'est d'ignorer les facteurs sociaux. Le listing auquel JP Chevènement a eu accès ne mentionnait certainement pas l'origine sociale des fautifs. Il est probable que sur ce critère, des regroupements beaucoup plus éloquents auraient pu être faits.
C'est d'ailleurs ce qu'ont fait des scientifiques belges, en analysant la criminalité dans leurs régions entre 2001 et 2006. Leur conclusion est sans appel : il y a un lien fort entre taux de chômage et criminalité. En revanche, aucune corrélation n'a pu être établie entre la proportion de population étrangère et la criminalité.

Le fait qu'une fausse conclusion conforte notre propre perception d'un problème affaiblit énormément notre pertinence à la juger. Notre cerveau paresseux se contente des signaux qui sont les plus évidents et les plus simples à intégrer. Si vous constatez un dysfonctionnement sur votre ordinateur juste après que vos enfants l'aient utilisé, vous ferez immédiatement la relation, et parfois, cette pré-analyse vous fera perdre beaucoup de temps pour résoudre un problème qui n'a rien à voir.

Par ailleurs, il y a parfois un effet particulièrement pervers d'une mauvaise analyse ou d'une analyse incomplète qu'on appelle la prophétie autoréalisatrice. Il est possible par exemple que la plus forte proportion de maghrébins dans la population délinquante soit due (entre autres) à une plus forte répression et à de plus nombreux contrôles exercés a priori sur cette catégorie de personnes. Le fait d'augmenter la répression ou les contrôles sur cette population va accentuer ce phénomène, laissant supposer que plus on essaie de régler le problème, plus il s'empire et pourtant plus on avait raison !

C'est la raison pour laquelle ces affirmations présentent un caractère dangereux. Sous leur apparence extrêmement logique et correspondant à une réalité parfois constatée, ce sont au contraire des raisonnements totalement foireux qui débouchent le plus souvent sur de mauvaises décisions. Elles sont aussi à la base de la plupart des théories du complot.
Bien évidemment, par leur facilité d'accès, ces méthodes de persuasion sont pourtant énormément utilisées, à commencer par les hommes politiques de tous bords, pour soutenir leur thèse.
Il est donc juste, à mon sens, de condamner fermement ce genre de pratique et de dénoncer ceux qui les utilisent en se targuant d'être politiquement incorrects. Ils sont avant tout incapables de comprendre les erreurs statistiques et logiques qu'il profèrent.

(merci à Etheriel et Marzi qui par leur désaccord quasi-permanent font avancer ma réflexion)