Piqûre de rappel : la décroissance, c'est quoi au juste ?

Constatant des difficultés de perception du concept dans mon entourage, je me permets de revenir là-dessus.

Que vous le vouliez ou non, on parle de plus en plus de décroissance dans les médias. Mais malgré cela, le concept reste encore bien mal compris par la majeure partie des gens, si j'en crois par exemple ma discussion dans les commentaires d'un autre article avec Fil l'autre jour.

Alors désolé pour ceux qui savent déjà tout ça et l'ont compris en première et deuxième lecture sur ce même blog, mais je vais devoir me répéter et user de pédagogie.

La décroissance, c'est quoi ?

C'est d'abord et avant tout un slogan qui est censé interloquer. Alors que 99% des politiciens qu'on entend à la télé évoque à tout bout de champs le retour de la croissance, ou la recherche inévitable d'une meilleure croissance, il s'agit déjà de prendre le contrepied de ce lieu commun idiot.
C'est une idée qui part d'un constat sans équivoque : une croissance infinie dans un monde fini est impossible. C'est juste les mathématiques, la physique et d'une manière générale la science qui le dit. Il n'est pas ici question de talent, d'intelligence, de progrès, de compétences de l'Homme. C'est un fait que personne ne peut nier : quand on pioche dans une ressource finie, au bout d'un moment, ... ben y en a plus. Or, les ressources finies, elles sont partout autour de nous : le pétrole, les principaux métaux, l'uranium, le charbon ... Sans ces ressources, même avec toute l'intelligence qu'on veut, même avec tout le progrès imaginable, notre mode de vie actuelle, et la recherche de croissance exponentielle est impossible.

Quand on a admis ceci, parce qu'on est forcé de l'admettre si on s'y intéresse, il est amusant de voir le nombre de gens qui continuent malgré tout d'avoir une foi incroyable dans l'idée de croissance économique. Il y a en gros trois catégories de gens :

- Ceux qui n'admettent pas l'évidence. Pour eux, la Terre est encore plate, le progrès va nous sauver, le pétrole sera remplacé par le solaire ou le nucléaire, puisque l'Homme a toujours réussi à s'en sortir, il s'en sortira. En général, ceux-ci refusent de s'informer. Leur confiance est aveugle et inconditionnelle. Les mains devant les yeux, ils ne se réveilleront que lors des premiers dégâts graves qui les toucheront, eux, directement. Les catastrophes écologiques qui ont déjà lieu un peu partout sur la planète, les premiers réfugiés climatiques, le réchauffement, l'extinction des espèces ne les atteint pas. Les 99% de politiciens dont je parlais tout à l'heure, c'est triste à dire, sont tous dans cette catégorie.

- Ceux qui sont conscients des problèmes écologiques et sociaux causés par nos sociétés, mais pas capables, faute de bonnes informations ou de temps pour les ingurgiter, de synthétiser les choses suffisamment pour aboutir à la bonne conclusion. Eux font confiance aux scientifiques et aux politiciens pour régler le problème. En quelque sorte, ils s'en lavent les mains.

- Ceux qui ont tourné le problème dans tous les sens, et ont abouti à la conclusion qui s'impose : tous les problèmes viennent de la société de consommation et de la recherche de croissance qu'elle impose. Les décroissants, ce sont eux.

Les principes de bases de la décroissance

La décroissance commence par la simplicité volontaire. Il s'agit de montrer par l'exemple, que ce qui nous est proposé comme mode de vie n'est ni souhaitable, ni agréable. Je n'ai pas d'intérêt direct à changer de voiture tous les deux ans. Partir en vacances trois fois par an n'élève pas mon niveau de conscience et coûte beaucoup d'argent. Le dernier IPhone ne m'apporte pas grand chose de plus par rapport à l'ancien. Je gagne du temps et de l'argent à ne pas prendre la voiture pour les petits trajets. La tonne de pub que je reçois dans ma boite et que je dois gérer ne m'apporte aucune plus-value. Travailler plus réduit le temps disponible avec ses proches ...

Chacun peut donc appliquer la décroissance, et montrer qu'à son niveau, la démarche est possible, le plus souvent bénéfique (y compris financièrement), et imaginer ce que ce concept appliqué à l'échelle d'une société pourrait dégager comme économies. On parle aussi de "sobriété heureuse", ce qui est un terme un peu moins "négatif".

À partir de là, on peut considérer, si l'on est de mauvaise foi, que les décroissants veulent mettre en place une dictature écologique et imposer aux plus pauvres d'être encore plus pauvres, à ceux qui ont besoin d'un 4x4 de s'en passer, aux hôpitaux d'éteindre la clim et tous ces bidules qui bouffent de l'énergie.
C'est prendre le problème par le petit bout de la lorgnette, et c'est encore une fois, se boucher les yeux.

Car la décroissance va de pair avec la réduction des inégalités, et à ce titre, elle profite en premier lieu aux plus pauvres. Aujourd'hui, plus qu'hier encore, les richesses du monde sont mal réparties. La croissance économique et le confort relatif dont nous avons tous profité peut laisser croire que le monde d'aujourd'hui est plus équilibré que celui d'hier. Après tout, nous avons des congés payés, deux voitures par foyer, et une télé à écran plat, que demander de plus ?
C'est un écran de fumée qui masque l'augmentation incroyable et honteuse des inégalités entre riches et pauvres. Vous avez sans doute entendu comme moi que la France compte plus de millionnaires que les autres pays et d'une manière générale, vous savez que les riches de tous les pays sont immensément plus riches qu'avant.

Ralentir la machine infernale qui produit toujours plus, pour vendre toujours plus, pour que ça profite à une infime partie de la population, est possible, sans remettre en cause l'essentiel de la qualité de vie que nous avons acquis. Il suffit pour ça de redistribuer correctement les cartes. Donc, oui, on peut globalement cesser de gaspiller toutes ces richesses sans perdre dramatiquement du confort. Il n'est pas question de faire exprès de décroitre, de faire exprès de ne plus progresser, de mettre fin à la recherche scientifique, à l'automatisation qui permet à l'homme de s'affranchir des tâches pénibles... Si vous entendez quelqu'un qui dit que les décroissants veulent ce retour en arrière, soit il n'a rien compris, soit il a intérêt à ce que personne ne comprenne (notez que c'est le cas de Juppé et Sarkozy).

Les gens qui défendent la décroissance

Je ne suis pas certain que la décroissance ait un intérêt à être défendue sur un plan purement politique pour l'instant. Présenter un candidat décroissant à une quelconque élection n'apporte finalement pas grand chose, à part un peu de médiatisation. D'abord et avant tout, c'est de prise de conscience qu'il s'agit. Serge Latouche parle de "décoloniser l'imaginaire". C'est l'un des principaux penseurs français de la décroissance, professeur d'économie...
Paul Ariès est sans doute le décroissant le plus efficace et le plus percutant à la télé. Invité dans quelques émissions ces derniers mois, ses arguments imparables ont fait des ravages en face de Madelin, par exemple. Volubile et éloquent, il attaque aussi Hulot et Bertrand pour leur "éco-tartufferie", ce qui ne me semble pas prioritaire, mais bon...
Yves Cochet est le seul Vert connu déclaré officiellement décroissant. Anti-bagnole, malthusien, et très bien informé sur le pic de pétrole, il est également assez virulent, mais finalement assez peu écouté.

La mouvance politique de la décroissance est encore jeune et peu mature. Tous ne sont pas convaincus, et je les rejoins, de l'intérêt d'en faire un véritable projet politique et préfèrent l'action individuelle et/ou associative locale. La relocalisation étant au centre du projet décroissant, ce n'est pas tout à fait illogique.

Quels problèmes sont résolus par la décroissance ?

Ce qui m'a séduit dans le concept de décroissance, c'est qu'il apporte une réponse à tous les grands enjeux qui pèsent au-dessus de nos têtes :

- La crise énergétique, et notamment la fin du pétrole : en relocalisant l'économie, en chassant le gaspillage et la surconsommation, on se donne le temps et les moyens de ne pas être impactés par l'absence d'énergie.

- La crise écologique : la société de consommation produit moult pollutions, déchets, produits toxiques, extinction d'espèces. Son abandon ne peut être que bénéfique pour la nature.

- La crise sociale : en redistribuant les richesses, en relocalisant la production, on résout d'un coup le chômage et la pauvreté. Et c'est vrai aussi pour les pays en voie de développement qui surproduisent aujourd'hui pour nous, dans des conditions déplorables et qui polluent leur pays.

- La crise "humaine" : regardez l'ambiance autour de vous, dans le monde du travail en particulier. Observez les dérives de la surconsommation et la déshumanisation des rapports. Recherche de productivité, de flexibilité, de jetable, ... Cela n'est pas compatible avec l'humain.

- La crise "matérielle" : quelle durée de vie pour votre frigo ? votre lecteur DVD ? Vous pensez vraiment qu'on ne sait pas faire mieux aujourd'hui ? L'obsolescence programmée n'est pas un fantasme, c'est une réalité.

- La crise politique : la classe politique est aujourd'hui impuissante face aux enjeux économiques, industriels et commerciaux. Les lobbies qui ont pignon sur rue au parlement européen sont la preuve qu'aujourd'hui la politique ne peut plus rien. En remettant l'individu au centre de la société, en lui donnant les moyens d'agir, de choisir, on peut s'affranchir de cette forme de dictature de l'argent.

Concrètement ?

Concrètement, le monde idéal que je décris, il est entre nos mains. Dès aujourd'hui, en choisissant tel produit plutôt que tel autre au supermarché, en choisissant le petit commerce local plutôt que le supermarché, en achetant à la ferme du coin, à son voisin, à l'internaute qui vend d'occasion, en laissant sa voiture au garage, en travaillant moins, en réfléchissant à chacun de nos actes à la lumière des enjeux que j'ai rappelés ci-dessus, on peut faire changer le monde dans le bon sens.
Pour appliquer ces principes au quotidien, à mon modeste niveau, cela ne ressemble en rien à de la privation et cela m'apporte énormément de plaisir. Il ne s'agit pas de jouer à "plus décroissant que moi, tu meurs" et de tourner à l'escalade vers le toujours moins. Il s'agit de dire : "je n'ai pas besoin de ce truc qui coûte cher, consomme des ressources, me prive de liberté, ne respecte pas les gens qui l'ont fabriqué, pollue la terre, et je peux donc m'en passer". Il s'agit aussi de faire comprendre à sa femme, à son voisin, à son collègue qu'on est tous dans le même bateau, que nos gosses vivront sur la même Terre que la nôtre, avec des ressources en moins.

Commentaires

1. Le jeudi, 14 octobre 2010, 11:29 par Tassin

Un bon petit résumé assez pédagogique.
Pour ceux qui veulent aller un peu plus loin dans la compréhension de la décroissance, le mieux c'est de lire "La décroissance : 10 questions" sorti cette année et extrêmement pédagogique :

http://www.editionsladecouverte.fr/...

2. Le jeudi, 14 octobre 2010, 14:00 par Lilian

Très bien comme présentation de la décroissance, un plaisir à lire :)

3. Le vendredi, 15 octobre 2010, 09:16 par Stef

Interessant et clair, ça correspond en effet plus a un mode de pensée/vie individuel qu'a un programme politique. Dur de faire progresser ces idées a l'encontre de la société d'hyper-consommation actuelle.

4. Le vendredi, 15 octobre 2010, 21:47 par Changaco

Je vais faire tâche dans le décor mais je n'ai pas trouvé ce billet très convaincant.

Je pense qu'il y a au moins trois arguments fondamentaux pour la «décroissance»:
- «une croissance infinie dans un monde fini est impossible» (celui qui tu as exposé)
- «la croissance ne fait pas le bonheur»
- «la croissance n'est pas un but en soi»

De mon point de vue le premier est beaucoup plus dur à démontrer que le second. Il faut beaucoup de temps pour lire les ressources nécessaires à la compréhension du problème énergétique, rien que manicore c'est déjà trop.

Par contre le second est plus abordable, un graphique comparant GDP, GPI, inégalités sociales, etc; permet de bien visualiser le problème et se source facilement.

Le troisième est plus philosophique mais à mon avis plutôt simple à expliquer.

«Les 99% de politiciens dont je parlais tout à l'heure, c'est triste à dire, sont tous dans cette catégorie.»

Je pense que ni toi ni personne ne peut affirmer ce dont les politiques et leurs conseillers ont ou n'ont pas conscience. S'ils n'étaient tous que des cons ils ne seraient pas au pouvoir.

PS: peut-être qu'au lieu d'essayer d'expliquer ce qu'est la «décroissance» il faudrait tout simplement abandonner le terme, et expliquer à la place ce qu'est le «croissancisme».

5. Le samedi, 16 octobre 2010, 20:12 par Agase

Sans pour autant être contre cet exposé, je le trouve trop simpliste et bien réducteur.

Mais c'est vrai, il faut choquer !

La "croissance" est surtout économique et pas forcément directement liée aux ressources naturelles. C'est virtuel en somme.
La décroissance que tu exposes l'est autant.

6. Le dimanche, 17 octobre 2010, 12:08 par Merome

Agase : "La "croissance" est surtout économique et pas forcément directement liée aux ressources naturelles." C'est faux. Jusqu'ici en tout cas, toute croissance s'est accompagnée d'une consommation supérieure de ressources. C'est ce que dit Jancovici, et il le prouve.

7. Le dimanche, 17 octobre 2010, 18:47 par agase

Récolte un stère de bois :
tu as le choix d'en faire du bois de chauffage ou un meuble
La valeur ajoutée et la croissance qui en découle n'est pas la même

Et on peut prendre en exemple toutes les ressources !

Dans notre pays "développé", la croissance consiste essentiellement à augmenter la valeur ajoutée pour augmenter la croissance.

Maintenant, on consomme de plus en plus de ressources car nous sommes de plus en plus !

Tu vas me dire le contraire mais encore une fois, je ne serai pas d'accord avec toi car dans ton raisonnement, tu ne prends pas tout en compte. Est-ce qu'on le peut vraiment ?

Je ne suis pas d'accord non plus sur la méthode que tu emploies, Je pense qu'elle a un effet inverse à celui recherché.

8. Le dimanche, 17 octobre 2010, 21:18 par Merome

@agase : Cela ne change pas les chiffres de manicore : jusqu'à aujourd'hui, en France, il n'y a jamais eu de croissance sans consommation croissante d'énergie, et augmentation des rejets de gaz à effet de serre.%%%
Cela ne prouve pas une corrélation directe, mais cela montre le difficulté de l'exercice, surtout dans la situation dans laquelle on se trouve aujourd'hui. Effectivement, on peut créer plus ou moins de richesse avec une même ressource, mais à notre niveau de développement, les marges de progression me semblent assez maigres : aujourd'hui, pour reprendre ton exemple, la ressource bois me semble assez optimisée (bois noble => bois d'oeuvre, et mauvais bois => bois de chauffage). Je te laisse imaginer, pour des domaines comme la hi-fi, par exemple, ce qu'il faudrait pour faire de la croissance, alors qu'on a déjà des matériels conçus pour être usés ou démodés, et que c'est le fait qu'on soit obligés de changer souvent qui soutient la croissance.%%%%%%

Et je ne sais pas de quelle méthode du parles ?

9. Le lundi, 18 octobre 2010, 13:13 par agase

encore une fois, merome, renseigne toi, pour le bois en France, ce n'est pas si simple (bois noble et bois mauvais) et pas si optimisé que cela.

Mais bon, c'est vrai tu as internet !

Et pour ta méthode, c'est de culpabiliser les gens. Ca a un phénomène de refus. Encore une fois, pour faire passer des idées soit tu fais comme les religieux de l'ancien temps, soit tu fais de la sensibilisation.

Toi tu as choisi d'être curé :)

10. Le lundi, 18 octobre 2010, 13:54 par Merome

@Agase : Tu confonds "culpabiliser" et "responsabiliser". J'essaie d'expliquer que la conscience individuelle est la solution, pas le problème.

11. Le lundi, 18 octobre 2010, 15:02 par agase

moi, je ne confonds rien, c'est un ressenti !
Tu culpabilises plus que tu ne responsabilises.
Responsabiliser les gens pour moi, c'est les sensibiliser à prendre conscience des effets de leurs actes sans émettre de jugement.
En jugeant ces actes, tu culpabilises. On peut toujours discuter ensuite sur l'impact de ces actes sur ce que l'on cherche à atteindre. But qui n'est pas le même pour tous.

Mais bon, ce n'est pas le sujet et je vais arrêter de troller. Je te laisse avec tes certitudes.

12. Le mercredi, 20 octobre 2010, 16:11 par flashman

La décroissance ... c'est pas ça lol :

http://www.youtube.com/watch?v=6uvE...

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