Réflexions sur la hausse du prix des carburants

..Et sur la grogne des français à ce sujet

Le 17 novembre prochain, un certain nombre de français ont prévu de manifester, bloquer, grogner contre la hausse prévue des carburants. D'un autre côté, une grosse majorité de français est favorable à la lutte pour le climat. Comment peut-on interpréter ces informations a priori contradictoires ?

Contradictoires ? Vraiment ?

Il faut déjà évacuer un certain nombre de biais cognitifs liés à l'interprétation des sondages (quelle question a vraiment été posée ? à qui ? comment ?). Et puis admettre qu'on peut tout à fait être soucieux du climat et en même temps être totalement dépendant du pétrole et de ses dérivés. C'est même parfois en raison de cette dépendance au pétrole qu'on s'inquiète du climat.

C'est toujours difficile de saisir la complexité et les nuances de l'opinion quand tout ce qu'on nous offre en matière d'informations sont des sondages et des micro-trottoirs, au mieux des commentaires d'experts aux avis bien tranchés. Gouvernements et médias vont essayer de catégoriser à la truelle, les pour d'un côté, les contre de l'autre en amalgamant comme des sagouins, parce que c'est ce qui est le plus vendeur, le plus facile à mettre en scène, ce qui provoque le plus de réactions et ce qui clive. Or la politique aime ce qui clive simplement car cela justifie l'existence même des partis. On est soit pour, soit contre le nucléaire. Soit pour, soit contre l'avortement. Soit pour, soit contre les OGM. Pas de demi-mesure, si tu n'es pas avec moi, tu es contre moi. Si tu n'es ni pour, ni contre, alors tu es extrémiste et c'est encore pire.

Faut-il augmenter le prix des carburants ?

Si l'on veut lutter contre le changement climatique, assurément, oui. C'est même pire que ça, il faut qu'on se passe, aussi vite que possible, du pétrole et de ses dérivés. Donc dégager à terme la voiture thermique, l'avion, la tondeuse, le souffleur de feuilles, la chaudière fuel, le groupe électrogène... Tout le pétrole qui subsiste dans le sol doit y rester, et chacun devrait participer à sa façon et à la mesure de ses moyens à cet objectif. Seulement voilà, pour certains, à ce stade, c'est juste pas possible. Financièrement d'abord parce que les alternatives restent chères (à l'achat, mais moins chères à l'usage). Concrètement ensuite parce que se réorganiser n'est jamais simple : déménager plus près de son boulot pour y aller à vélo ou à pied (en admettant que son/sa conjoint(e) puisse suivre), trouver un boulot où la bagnole et/ou l'avion ne sont pas indispensables (commerciaux, pilotes de lignes...), assumer des choix qu'on a fait par le passé et qui nous engagent pour plusieurs décennies (construire une maison à la campagne, faire des gosses, s'occuper de ses parents qui sont loin et vieux...)

C'est tout une société qui doit s'adapter, et cette transition, il faut l'admettre, ne se fera pas en un jour.

Pédagogie, cohérence et exemplarité

Admettons que le gouvernement soit de bonne foi et cherche véritablement à opérer cette transition (ce n'est assurément pas le cas, hein ?), admettons également que les français soient effectivement favorables à l'écologie, mais contraints par des contingences matérielles et financières. Comment faudrait-il faire pour se diriger efficacement vers un monde sans fossile ?

D'abord, il convient de s'assurer que chacun est bien conscient de ce qui est en train de se passer. Les scientifiques alarment, les journalistes relaient plus ou moins maladroitement le message, mais est-ce que les politiques s'emparent du problème ? Voyons-nous les responsables politiques occuper les plateaux télé pour expliquer qu'on est dans la merde climatique jusqu'au cou et qu'il va falloir opérer des changements drastiques ? Non, au contraire, on nous assure que tout va bien se passer et que la croissance va revenir.

Pourquoi ? Parce qu'il n'est tout simplement pas possible d'avoir une politique de croissance dans un monde à l'énergie fossile en quantité décroissante. Or c'est une réalité mathématique qui s'impose à nous et que le mirage des pétroles de schiste nous a fait oublier un temps : il y a de moins en moins de pétrole sur terre, et il est de plus en plus dur à aller chercher. Même s'il en reste plein (près de la moitié en fait), même si on peut encore en tirer des millions de baril, le fait qu'il y en ait, ne serait-ce qu'un tout petit peu moins, est incompatible avec une politique de croissance économique.

Il faut expliquer ça à la télé, et s'assurer que tout le monde l'a bien entendu. Après cela bien sûr, il faut être cohérent et exemplaire par rapport à cette nouvelle contrainte. On oublie les gaspillages d'énergie à tous les niveaux et on se concentre sur l'essentiel. Même si c'est dérisoire, relativement à la consommation globale, le président, les ministres, les élus et fonctionnaires doivent tous oublier l'avion et la voiture thermique et leur préférer le train, le vélo et la voiture électrique quand on ne peut pas faire autrement. Oublier aussi les grands projets inutiles, aéroports, autoroutes, EPR, construction pharaoniques pour les mondiaux de ci, les JO de ça...

Ce ne sera jamais possible de contraindre les français à se serrer la ceinture si dans le même temps, une élite éclairée se dispense de tout changement. Les récentes études comportementales sur l'entraide montrent que tout le monde se serre les coudes dans l'adversité tant qu'il n'y a pas un ou deux plus malins que les autres qui se placent au-dessus de la mếlée. À ce sujet, il faut regarder cette discussion entre Pablo Servigne et François Ruffin :

 

Pourquoi cela ne viendra pas des élus ?

L'élection, par construction, ne permet pas à de telles mesures d'être prises, par aucun gouvernement. Parce que les médias appartiennent à une poignée de milliardaires et grands groupes industriels et financiers qui ont un intérêt direct à chercher la croissance économique, et parce que ce sont les médias qui font l'élection et la réélection, nous n'aurons jamais une majorité et un gouvernement qui seront cohérents là-dessus. Tout au plus, quelques électrons libres parviendront à la force du poignet à conquérir l'assemblée pendant quelques années (je pense à François Ruffin et Isabelle Attard, par exemple). Mais évidemment rien d'une ampleur à la hauteur des enjeux.

Du coup, l'urgence est d'instaurer, d'une façon ou d'une autre, un autre système politique. Et ironiquement, le mouvement du 17/11 pourrait participer à ça, s'il est d'ampleur significative et qu'il délite un peu plus nos institutions déjà moribondes. Je ne cesse de le répéter, mais dans ce cas, c'est le niveau de conscience du peuple au moment de l'étincelle qui va déterminer la qualité du système politique qui succédera à celui-ci. Et l'urgence qui précède l'urgence, c'est de faire en sorte que chaque citoyen ait au moins déjà entendu parler de la démocratie, la vraie, celle qui se pratique sans (ou avec peu) d'élections.

Tout cela devrait être passionnant à observer, mais pas sûr que cela débouche sur quelque chose de positif. Au moins, on aura eu la "chance" de vivre une époque de grands changements. Puissent-ils se faire sans violence...

Commentaires

1. Le mardi, 13 novembre 2018, 09:14 par Marti

Pour moi, il y a plusieurs problèmes :

1) À force de répéter depuis des années qu'il n'y a plus de pétrole bientôt, et qu'on ne voit pour l'instant pas la différence, les gens ont fini par croire qu'on leur racontait des bobards et que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. C'est une question de pédagogie, on est d'accord.

2) Dans un gouvernement qui essaye, comme la plupart des précédents, de récolter le maximum d'argent au profit du plus grand nombre, comment l'augmentation du prix de l'essence peut être perçu comme un argument écologique ?!

3) Augmenter le prix à la pompe sans proposer d'alternatives viables au sens financier du terme, c'est complètement ridicule et inaudible.

4) Enfin et surtout, nous sommes trop liés à l'énergie pétrolière pour que seul le prix de l'essence change quelque chose. Comme tu l'as dit, c'est un changement total de paradigme qu'il faut instaurer (travail plus près, moins souvent, commerces de proximité,...) et rester dans notre société actuelle en privant les citoyens de voiture, c'est juste impensable.

Si on oublie ses paramètres, je soutiens totalement l'augmentation du prix.

2. Le lundi, 26 novembre 2018, 14:29 par Un collègue du 3ème

Puissent-ils se faire sans violence...

"Les gilets jaunes" c'est la révolution des campagnards ignorants.
"Nuit Debout" c'est la révolution des citadins instruits.

Sans convergence et union, tout ça restera aux oubliettes.

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