Ou l'étude de l'effondrement de la société.

Le terme collapsologie est construit sur la base du verbe anglais to collapse qui signifie "s'effondrer" et du suffixe "logie" qui signifie "étude de". Il a été introduit par Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans le sous-titre de leur livre "Comment tout peut s'effondrer - Petit manuel de collapsologie à l'usage des générations présentes".

La particularité des travaux de Servigne et Stevens par rapport à de nombreuses autres théories, c'est qu'ils partent du principe qu'il est d'ores et déjà trop tard pour amorcer une tentative d'évitement du mur écologique, social et climatique qui se dresse devant nous, et ne proposent donc aucune solution pour sauver ce monde. La conjonction des systèmes complexes au bord de la rupture et leurs fortes intrications rendent en effet utopique et vaine toute autre forme d'organisation. Il est trop tard et les choses sont allées beaucoup trop loin.

Le rapport Meadows du Club de Rome, annonçait dès 1972 les "Limites de la croissance" en produisant plusieurs scénarios réalistes conduisant tous à l'effondrement de la société. Déjà à cette époque, même les politiques les plus volontaristes pour contenir la pollution, maitriser les prélèvements de matières premières, réguler la démographie... ne permettaient pas de sauvegarder notre niveau de vie. Et c'était avant que l'on ait conscience des conséquences du changement climatique !

Près de cinquante ans plus tard, les choses, évidemment, ne se sont pas arrangées, et l'on peut difficilement dresser une liste exhaustive des menaces qui pèsent sur nos sociétés. Parmi les plus inquiétantes ou urgentes, notons tout de même :

  • La crise climatique dont les scientifiques nous alertent régulièrement en haussant le ton à chaque fois. Un réchauffement global d'au moins 2°C qui va d'une part faire disparaître de nombreuses espèces animales et végétales et d'autre part provoquer une montée des eaux et des problèmes de récoltes qui vont précipiter les migrations massives vers les lieux les plus tempérés.
  • La crise énergétique liée à l'épuisement des ressources fossiles sur lesquelles reposent toute notre économie : le gaz et le pétrole. À ce jour, aucune solution de substitut au pétrole n'a pu être trouvée : sa densité énergétique incroyable et sa stabilité en font un produit unique dans l'histoire de l'humanité, et nous l'aurons gaspillé en quelques centaines d'années seulement.
  • La crise financière dont les premiers soubresauts ont été ressentis en 2008. Toute l'économie (et toute la monnaie qui circule) étant basée sur une dette abyssale impossible à rembourser. Comme une immense pyramide de Ponzi qui finira tôt ou tard par s'écrouler lorsque la croissance exponentielle ne sera plus possible.
  • La crise sociale alimentée par des inégalités toujours plus criantes, et maintenue sous pression par des systèmes politiques à bout de souffle, incapables de traduire la volonté populaire.
  • La crise des ressources et notamment des métaux dont notre consommation exponentielle provoque l'épuisement rapide.
  • La crise agro-alimentaire causée par l'épuisement des sols à force de les arroser d'intrants qui empoisonnent les nappres phréatiques et les consommateurs.
  • La crise de l'eau potable confisquée par les multinationales qui en font commerce, au mépris de toute éthique et de tout respect des populations.

Toutes ces crises s'entretiennent mutuellement, et il ne faut pas réfléchir bien longtemps pour imaginer quelques réactions en chaîne conduisant inéluctablement à la catastrophe : une pénurie de pétrole qui fait chuter la production agricole, provoquant famine et soulèvement de la population contre son gouvernement ; un afflux de migrants provoqué par une montée des eaux soudaine à cause du réchauffement climatique, qui déclenche un réflexe défensif violent des pays concernés ; une faillite d'un état qui entraîne dans sa chute tous les pays voisins incapables à leur tour d'entretenir leurs installations nucléaires...

À la fin, trois couperets fatals se chargent de rééquilibrer le système : guerres, épidémies, famines. Et ces trois calamités s'alimentent elles-aussi mutuellement.

Face à ces implacables constats, la première réaction, naturelle, comme pour un deuil, est celle du déni. On refuse l'évidence car elle bouscule nos idées reçues, elle n'est pas conforme avec nos projections de vie, ni avec l'imaginaire d'un avenir radieux véhiculé par nos sociétés. Puis viennent la douleur et la colère qui paralysent et nous empêchent d'entrevoir une issue. Nous nourrissons ensuite de faux espoirs en envisageant des solutions de contournement : du développement durable, de la croissance verte, des énergies renouvelables, des voitures électriques, des technologies salvatrices... Puis prenant conscience de l'étendue du désastre et de la vanité de ces solutions, le désespoir et la dépression prennent le dessus.

Ce n'est qu'en sortant de cette phase que nous pouvons amorcer la reconstruction et l'acceptation et c'est précisément l'intérêt de la collapsologie : précipiter les prises de conscience et balayer rapidement les fausses solutions pour faire advenir, le plus rapidement possible, l'acceptation constructive.

L'effondrement est un mot obus, comme décroissance. Contrairement au développement durable, il ne peut être récupéré par le système consumériste car sa connotation négative est trop forte. En même temps, il fait résonner en nous une espérance enfouie et sourde, celle de faire exploser une société devenue folle de ses richesses pour lui redonner forme humaine. Intrinsèquement, nous sentons (presque) tous que quelque chose dysfonctionne quand nous suivons une file de voitures fumantes dans un bouchon, quand nous jetons à la poubelle un appareil électronique devenu obsolète, quand nous mangeons un fruit ou un légume insipide... Mais sans les mots pour l'exprimer, nous sommes dans l'incapacité d'agir. La collapsologie pose un mot sur le concept qui déclenche le processus de prise de conscience. J'ai pu observer autour de moi son efficacité redoutable. Il est en train de se passer quelque chose autour de ce mot.

Pour vous introduire à la notion de collapsologie, je vous propose une série de vidéos incontournable : la web-série "Next" :

Et une interview de Pablo Servigne :

Commentaires

1. Le dimanche, 1 avril 2018, 19:39 par YvesG

Eh bien ! C'est gai - annoncer l'effondrement - avec le sourire... "garanti" avant 2030 !

Néanmoins restons zen.
Le savoir pour tomber de moins haut...

2. Le dimanche, 1 avril 2018, 19:58 par Merome

L'effondrement d'une société mortifère n'est pas forcément une triste nouvelle. Sans renier l'incroyable confort qu'on a atteint, il faut reconnaître que c'est au prix de l'exploitation des pays les plus pauvres, et on ne peut donc pas en jouir sereinement sauf à n'avoir pas de conscience (ou pas conscience du tout du problème).

Réjouissons-nous donc d'être la génération qui va bâtir le monde d'après.

3. Le dimanche, 1 avril 2018, 21:48 par Pierre

Bonjour,

Je découvre votre blog aujourd'hui (grâce à un lien posté sur Diaspora*) et je suis enchanté de ce que je lis. Vous avez une démarche réellement engagée, active, et depuis déjà pas mal d'année. Je trouve cela tout à fait réjouissant (j'ai lu votre bilan énergétique de septembre 2017).

En ce qui concerne la collapsologie, vous présentez très bien de quoi il est question. Je crois comme vous qu'il est en train de se passer quelque chose autour de ce mot. C'est encore embryonnaire mais l'idée circule...

4. Le mardi, 3 avril 2018, 21:23 par Merome

Bienvenue ici, Pierre. Vous avez un peu de lecture en retard :)

Faites aussi un tour ici : https://merome.net il y a des choses qui pourraient vous plaire...

5. Le vendredi, 13 avril 2018, 12:17 par Merome

Test

6. Le lundi, 16 avril 2018, 17:38 par Marti

Très intéressant comme concept, je ne connaissais pas.

Si je comprends bien (je n'ai pas encore regardé la vidéo), la collapsologie étudierait l'effondrement de notre société actuelle. Comment s'appellerait alors l'étude de la construction d'une nouvelle forme de société ? :)

7. Le lundi, 30 avril 2018, 12:04 par Un collègue du 3ème

Conscient depuis 2008/2009 après la lecture d'un rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), je suis passé du concept d'adaptation au changement climatique à...la grosse claque dans la gueule qui nous arrive.
Il est bien trop tard pour réagir efficacement maintenant. Au mieux on parle d'atténuation du changement climatique...mais avec l’espèce humaine, il vaut mieux s'attendre au pire...+2C +3°C + 4°C + 5°C. On va tout bruler, tout, même si on signe l’arrêt de mort de nos gosses (enfin des vôtres).
On est partie pour la disparition de notre civilisation, et c'est peut-être pas un mal comme tu l'as dit mais en réalité on va peut-être vers la disparition de la race humaine tout court, et ça c'est moins sympa.

Maintenant que faire? Au moins tenter, en ramant à contre courant, de nous préparer à un avenir radicalement différent ? Attendre passivement ? Se révolter (seul, ou presque)?
Certains expérimentent autre chose, mais se prennent des lacrymo H24 comme à la ZAD. Rien n'est fait pour permettre une expérimentation et rien ne bougera encore avant 10-15 ans.

Elle va faire mal cette grosse claque...
Oui c'est pas joyeux, mais qu'est-ce qu'on y peut ?

8. Le vendredi, 8 juin 2018, 19:10 par Michel

je m'intéresse à ce phénomène depuis déjà quelques décennies et je remarque qu'il commence seulement maintenant à "faire surface"... merci à Servigne et Jancovici pour leurs travaux (je vous invite à écouter les conférences de l'un et de l'autre)... Reste qu'il est rarement fait mention de l'inégalité de la catastrophe future ! En effet tout le monde ne va pas être logé à la même enseigne... par exemple +4° de moyenne dans le monde c'est le climat de Tunis en Corse, et Paris connaitra le climat de Madrid... sauf que la France reste un pays tempéré et nous aurons toujours de l'eau, même s'il faudra limiter son usage... par contre TOUTE la zone sahélienne va s'élargir avec un désert avançant de plusieurs centaines de km, et la montée de la mer engloutira TOUS les deltas et les rizières d'Asie... donc Afrique et Asie vont connaitre des famines épouvantables... avec des milliards de morts! L'effondrement ne sera pas "global", mais progressif et inégal... même si à la fin tous les êtres humains seront revenu à l'âge de fer (pas l'âge de pierre car le fer reste tellement abondant qu'il subsistera) au bout d'un siècle ou deux selon votre optimisme... par contre aucune crainte pour la surpopulation mondiale, nous n'atteindrons JAMAIS les 10 milliards, mais devront nous stabiliser autour de 4 ou 5 milliards probablement

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