Les bras cassés de la table ronde.

Avec l'âge et l'expérience, je supporte de moins en moins la transmission de savoir non totalement contrôlée par moi. Je veux pouvoir lire l'article qui m'intéresse (et que celui-là) où et quand je le veux, accélérer ou stopper une vidéo qui ne va pas assez vite ou me gonfle, et je veux pouvoir choisir l'interlocuteur qui m'apprendra quelque chose, en fonction de ce que je sais de son expérience, de ses éventuels conflits d'intérêt et ses autres faits d'armes.

Partant de là, assister à une table ronde sur l'open-data n'était sans doute pas une très bonne idée, mais parfois, on n'a pas vraiment le choix. C'est donc plein de mauvaise volonté et blindé d'a-priori que j'ai noté tout ce qui m'a énervé pendant cette journée pour en faire cet article exutoire.

D'abord, il y a l'accueil café-croissant où, comme les autres participants, je me suis goinfré de viennoiseries en contemplant mes semblables. Il y a ceux qui, comme moi, se demandent ce qu'ils foutent là, et puis ceux qui s'esclaffent bruyamment en proférant des blagues vaseuses à de vagues connaissances. Le genre de mecs avec des écharpes bien visibles autour du cou en toutes circonstances (type Christophe Barbier) et les iphones et/ou stylo Mont Blanc jamais très loin, ils sont dans la comm' ou équivalent. Leurs compétences dans le sujet de la réunion est inversement proportionnelle au volume de leurs éclats de rire forcés. Ils compensent.

On attaque la journée avec une introduction du président de la structure accueillante qui, "malheureusement" ne pourra pas rester. Franck Lepage aurait ajouté "...mais qui viendra en fin de journée faire la conclusion de vos travaux". Un discours bien creux qui, il faut l'admettre, était une excellente introduction au vide abyssal du reste de la journée. Pendant que les assistantes mitraillent de photos avec leurs portables pour mettre sur touitteur avec des hache-tagues de circonstances et un peu d'anglicismes qui font branchouille #lol #opengov, le Président nous raconte l'enjeu de l'ouverture des données en matière de médiation ou d'intermédiation (toutes les phrases en italique ont véritablement été prononcées par les intervenants, je vous jure) et appelle de ses voeux une véritable politique publique des usages numériques. Pris dans son élan, il nous invite même à la rebellion en lançant un improbable Challengez-nous ! juste après nous avoir expliqué que le français était la langue de la république et qu'il s'efforçait de parler de "données ouvertes" plutôt que d'"open-data".

Arrive la première table ronde composée de vagues élus délégués et de chargés de mission qu'on devine remisés dans des placards faute de réelles compétences. Des gens à la langue bien pendue qui sont capables de tenir le crachoir des dizaines de minutes sans avancer une seule idée concrète. Des champions du monde. Nous avons là un Chief Smart City Officer qui nous explique sa politique en forme de tétraèdre et l'importance de travailler en mode réseau. Ce serait, selon lui, le carburant de la ville intelligente. Parce que, comprenez-vous, misérables non-sachants, il faut passer de la ville au territoire des intelligences en utilisant des ateliers de co-construction.

Il passe le micro à une élue de seconde zone, fort souriante au demeurant, qui nous parle de l'acculturation et la littéracie numérique, en insistant sur la nécessité de mettre le citoyen au coeur du processus. Le citoyen qui est le grand absent de la réunion, hein, faut pas déconner, tout le monde ici sait bien que l'open-data, c'est pas pour nous, qu'est-ce qu'on irait foutre sur le site internet d'une collectivité pour récupérer le CSV du nombre de containers de poubelles soulevés pour le croiser avec celui des emplacements des bornes à incendie ?

Qu'à cela ne tienne, on retrouve tout d'un coup l'audace du discours du président dans une idée presque anarchique : la nécessité de modifier l'organisation des collectivités. Comment ? En créant bien sûr des comités de pilotage qui pilotent avec des comités techniques qui règlent les questions... techniques. Vous la sentez l'innovation qui est en marche ? Pour faire encore plus novateur, il s'agit d'utiliser la novlangue la plus décomplexée, à laquelle plus personne ne comprend rien, pas même celui qui prononce ces mots : le design thinking et les lean startup. Des termes qu'on ne s'encombre pas à définir, bien sûr, tout au plus, on essaiera de franciser un peu les expressions pour lénifier le discours, on parle par exemple de laboratoire de design public, ce qui, vous l'avouerez est nettement plus compréhensible. On ne pourra s'empêcher, tout de même, de souligner l'importance d'embaucher un data scientist, il paraitrait qu'on n'en trouve pas en-dessous de 8000€ par mois. C'est le tarif !

Je serais sans doute moins amer si le buffet avait été correct. Mais les macarons chocolat-foie gras, j'avoue, j'étais pas prêt. Je pense que la crème de l'élite qui était là apprécie le sucré-salé parce que ça fait moins prolétaire que le toast au jambon. En attendant, c'était bien dégueulasse.

Et pour assister à cette comédie, on a fait plus de 300 bornes aller-retour, soit environ 45 kg de CO2 de plus dans l'atmosphère et une journée de perdue.

 

Commentaires

1. Le vendredi, 17 novembre 2017, 18:58 par Marti

"... ceux qui s'esclaffent bruyamment en proférant des blagues vaseuses à de vagues connaissances. Le genre de mecs avec des écharpes bien visibles autour du cou en toutes circonstances (type Christophe Barbier) et les iphones et/ou stylo Mont Blanc jamais très loin, ils sont dans la comm' ou équivalent. Leurs compétences dans le sujet de la réunion est inversement proportionnelle au volume de leurs éclats de rire forcés. Ils compensent."

Merci !!!! J'ai moi-même participé récemment à un évènement où ce genre de personnes étaient présentes et je n'arrivais pas à décrire leur comportement... C'est la définition parfaite ! :D

2. Le lundi, 20 novembre 2017, 22:43 par Calcoran

En général on va plus à ce genre d'événement pour rencontrer d'autres gens et échanger des cartes de visites que pour ce qu'on pourra y apprendre lors des différentes séances ... le pire étant effectivement les tables rondes.

3. Le lundi, 20 novembre 2017, 22:57 par Bob

Le prochain où t'es invité, fais venir Meurice...

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