Quelques réflexions autours de la notion de souveraineté, inspirées par le Brexit et le référendum sur l'aéroport de Notre Dame Des Landes.

Deux événements récents m'amènent à sortir le blog du silence dans lequel il s'enfouissait peu à peu.

D'abord, le Brexit, c'est-à-dire la sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne suite au référendum d'il y a deux semaines. Sans doute pour de bonnes ET de mauvaises raisons, les britanniques ont voté pour la sortie de l'UE, comme les français avaient voté en 2005 contre le Traité Constitutionnel Européen.
Bonnes ou mauvaises, les raisons de ce vote tournent toutes autour de la question de l'autodétermination du peuple britannique, son autonomie politique en quelque sorte. Dans une démocratie, qui suppose la souveraineté populaire, la chose paraît aller de soi, pourtant tous les régimes occidentaux qui se réclament de la démocratie sont en proie aux plus vifs questionnements à ce sujet.
De mon point de vue, c'est un effet direct de l'usage massif d'internet, qui est un outil extrêmement horizontal apparu dans un monde extrêmement vertical. Si la démocratie suppose que chaque voix soit l'égale d'une autre, ce principe était purement théorique jusqu'à l'apparition de l'internet, puisque seule une poignée d'élus et de journalistes avait accès à la parole publique. Toutes les voix étaient égales, mais on n'entendait que certaines d'entre elles, en dehors des élections où toutes pouvaient s'exprimer.
Dès que chacun a pu s'exprimer publiquement et massivement, comme cela est redoutablement trivial et courant sur internet, des forces insoupçonnées se sont mises en mouvement, transformant peu à peu la société en profondeur. Une fracture nette est apparue entre l'opinion de ceux qui, seuls, avaient voix au chapitre jusqu'ici, et celle de ceux qu'on ne laissait s'exprimer qu'une fois tous les cinq ou six ans, et encore, après avoir subi un martelage médiatique en règle afin qu'ils votent bien.

Dans ce contexte, je ne peux que me satisfaire du Brexit qui donne un coup de pied dans la fourmilière. Cela ne signifie pas que la suite des événements sera un long fleuve tranquille. Avant tout parce que tout changement d'ampleur est un traumatisme, même si ce changement est au final positif. Prenez par exemple le fumeur qui souhaite arrêter de fumer : les premières semaines sont un enfer alors qu'on ne peut pas douter du fait que le changement est positif dans l'ensemble.
Les conséquences du Brexit (si le vote des anglais est bien suivi de faits, ce dont on peut encore douter à ce jour) sont encore méconnues. Si les échanges internationaux vont indéniablement se compliquer, administrativement, diplomatiquement, mécaniquement, l'économie interne du pays, elle, pourrait en bénéficier. On connaît tous les travers de la mondialisation à outrance, du dumping social aux marchandises qui traversent trois fois le continent avant d'arriver dans l'assiette du consommateur final... Tous ne seront pas éludés comme par magie par la simple sortie de l'UE, mais on peut espérer des améliorations de ce côté.

On peut regretter une forme de repli sur soi nationaliste, mais il n'est que le retour de bâton d'un internationalisme forcené, mené au pas de charge sous des prétextes parfois fallacieux. La leçon à retenir de cet événement me semble plutôt être résumée par cet adage : "on ne fait pas le bonheur des gens malgré eux".
Autrement dit, de deux choses l'une : soit les Britanniques vont, au final, profiter du Brexit et on ne peut pas dans ce cas leur reprocher de l'avoir souhaité, soit ils vont en pâtir mais il n'aurait pas davantage apprécié le statu quo puisque visiblement ils voyaient moins les bénéfices de l'UE que ses inconvénients.
Le projet européen tel qu'il est mené manque à tout le moins de lisibilité pour les peuples. Et sans le peuple, la démocratie ne fonctionne pas, en tout cas, pas à l'heure d'internet.

Concernant le référendum sur l'aéroport de Notre Dame Des Landes, il y a une infographie qui m'a semblé très pertinente sur la question de la souveraineté :

NDDL.png

Le référendum avait lieu en Loire-Atlantique, les électeurs de ce département ont voté POUR l'aéroport, mais on voit sur la carte ci-dessus que les habitants de Notre Dame Des Landes et leurs voisins directs ont voté contre. On ne sait pas en revanche ce qu'auraient voté tous les français s'ils avaient été consultés.
Quel est le bon échelon ? Il est bien évident que personne ne veut avoir un aéroport, une centrale nucléaire, voire même une éolienne près de chez lui. C'est ce qu'on résume par l'acronyme NIMBY (Not In My BackYard : pas dans mon arrière-cour). Pourtant à l'évidence, il y a objectivement des projets d'intérêt général passés qui se sont faits dans ces mêmes conditions d'opposition des gens directement concernés. Comment dès lors faire le tri entre les mauvais projets et les bons, et qui doit trancher sur ces questions, dans une démocratie parfaite ?

Ce sont des questions difficiles auxquelles je ne prétends pas avoir de réponse définitive. Il me semble néanmoins que le bon fonctionnement de la démocratie dans ces conditions repose essentiellement sur la confiance et la transparence. Si l'entité qui mène le projet, ou paraît le mener, que ce soit les élus eux-mêmes, la collectivité qu'ils représentent, ou l'industriel qui va profiter du marché... Si cette entité a trahi la confiance des citoyens, ou ne leur a pas donné des gages de transparence et de respect suffisants, alors les levées de bouclier seront nombreuses et violentes.
L'arrogance systématique des politiciens, des industriels et des journalistes qui relaient leur propagande a introduit une méfiance tout aussi systématique de la part des administrés. Une méfiance démultipliée par les sommes colossales qui sont en jeu dans un contexte de crise économique durable. La démesure empêche le raisonnement humain.

Et vous, qu'est-ce que vous inspire ces deux événements ? Comment imaginez-vous traiter la question de la souveraineté populaire ?

Commentaires

1. Le mercredi, 13 juillet 2016, 19:49 par Yvain

Ton billet m'évoque cet autre billet d'Éric : https://n.survol.fr/n/video-non-le-...

« La démocratie n’est pas de savoir si le peuple a raison, mais de donner le pouvoir au peuple.
Parce que… il n’a pas toujours raison mais qui juge quand il a raison et quand il a tort ? Il y a quelqu’un qui a raison envers et contre tout ? Comment savoir ? »

On pourrait rajouter, à côté de tes exemples des référendums concernant le Brexit et NDDL, les 77% de "NON" au revenu de base en Suisse, ou encore les résultats effrayants des sondages sur l'immigration ou la peine de mort en France.

On peut certes mettre en cause les médias dominants qui véhiculent certaines idéologies, mais des idées racistes ou fascistes se frayent également de beaux chemins sur la toile, malgré sa plus grande horizontalité (relative : on y trouve de grands gourous aussi).

Dans l'extrait du billet d'Éric sus-cité, il y a une idée qui transparaît : en démocratie, la légitimité d'une décision, d'une loi, ne peut pas être discutée. S'y opposer, fatalement, c'est être anti-démocratique, quand bien même on tenterait d'expliciter pourquoi on n'est pas d'accord, pourquoi on pense avoir raison.

Sous une monarchie, c'est presque "facile" de contester la décision du roi. Si Hollande était roi, on pourrait dire « Mais pour qui il se prend, le roi, avec sa loi travail ? On va lui rendre une petite visite ! ». Bon, c'est "facile" pour nous en 2016, car l'idée même d'un roi décidant de tout nous paraît effarante, illégitime, contrairement à l'époque où le roi l'était "de droit divin" − il tirait donc sa légitimité de "Dieu" lui-même…

Sous un régime représentatif comme le nôtre, c'est un peu plus difficile. Un élu peut rétorquer « Eh les gars, c'est vous qui m'avez élu ! ». On pourra lui rétorquer à notre tour qu'on ne l'a pas élu pour "ça", qu'il y avait pas mal d'absention / de votes blancs / de non-inscrits, que son élection résulte d'une combinaison de votes utiles, de pognon et de biais médiatiques, n'empêche que c'est moins "évident" pour beaucoup.

Sous une démocratie directe, si on suit Éric, c'est encore pire. De quel droit pourra-t-on organiser la contestation ? Avec quelle légitimité ?

C'est le fameux écueil de la "dictature de la majorité". Argument parfois utilisé par des groupes privilégiés ayant peur de perdre leurs privilèges (et défendant un régime aristocratique), cet écueil reste néanmoins valable pour tout un tas d'autres cas, que ce soit celui de la peine de mort, ou de l'aéroport de NDDL.

Je pense que ton questionnement « Quel est le bon échelon ? » va dans le bon sens. Sous-entendu : quel est l'échelon "pertinent", "légitime" ? Il me semble qu'il est nécessaire d'aller au delà d'une simple recherche de la majorité, car, comme on le voit avec le référendum sur NDDL, il est problématique de décider quelque part ce qui va être mené ailleurs, tout comme il est trop facile que certains prennent des décisions qu'ils n'auront pas à appliquer eux-mêmes. J'imagine que tout cela mène à une forme de fédéralisme, un peu comme dans l'expérience zapatiste au chiapas.

Si aujourd'hui il nous apparaît (à juste titre) absurde que les rois aient pu pu tirer leur légitimité d'une prétendue "volonté divine", on oublie peut-être trop vite de critiquer aussi la légitimité tirée de la "majorité". On oublie peut-être même carrément de réfléchir au concept même de "légitimité".

2. Le jeudi, 14 juillet 2016, 10:02 par Krka

Les modalités du vote ont toujours un effet considérable sur le résultat. En Loire Atlantique, le POUR l’a emporté. Si on avait inclus quelques départements plus au sud, comme la Vendée ou les 2 sèvres, le non l’aurait probablement emporté (car le futur site éloigne les potentiels usagers de l’aéroport actuel).

Le gouvernement ne pourra pas s’appuyer sur un « vote démocratique » pour me faire accepter ce résultat. Je n’ai même pas eu la possibilité de voter, alors que je suis concerné par ce projet.

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