Une mise au point sur ce concept qui me semble important.

L'énergie grise, c'est l'énergie consommée pendant la fabrication d'un bien de consommation. Invisible au consommateur final, elle est loin d'être négligeable, ce qui fait que dans certains cas, il vaut mieux, d'un point de vue écologique, garder un vieux matériel énergivore plutôt que d'en acheter un neuf plus sobre.
La difficulté, c'est qu'on manque cruellement de données fiables concernant l'énergie grise. Seul le fabricant peut théoriquement la mesurer, mais même pour lui, la tache est ardue car qui sait ce dont on doit vraiment tenir compte dans ce calcul ? Par exemple, l'énergie nécessaire à la fabrication d'un aspirateur, c'est la consommation électrique de la chaîne de montage ? Doit-on y ajouter l'énergie nécessaire à l'extraction des matières premières ? Le chauffage et l'éclairage des bureaux d'étude durant la conception du produit ? Le transport de l'aspirateur jusqu'au client ? En plus de ce flou artistique, on ne doit pas ignorer que le fabricant n'a aucun intérêt à publier un chiffre juste...

Bref, l'énergie grise reste une estimation assez grossière, mais qu'on ne peut totalement ignorer.
Depuis que je m'intéresse à la décroissance de mon empreinte écologique, je suis le témoin d'une guerre idéologique qui oppose les absolutistes et les relativistes de l'énergie grise en particulier au sujet de deux biens de consommation : les panneaux photovoltaïques et la voiture électrique.

Je ne suis pas très documenté sur les panneaux photovoltaïques, et ma source principale, Jean-Marc Jancovici, est un peu biaisée : il utilise apparemment des données très anciennes au sujet du photovoltaïque, et il ne cache pas son penchant nucléophile qui le pousse à relativiser voire rejeter les énergies alternatives.
Aussi, je suis resté longtemps sur l'idée que les panneaux photovoltaïques n'avaient aucun intérêt d'un point de vue écologique, puisqu'ils nécessitaient pour leur fabrication plus d'énergie qu'ils n'en généreront jamais.
Je révise petit à petit mon jugement en me rendant compte d'une part que la technologie a évolué et que les panneaux modernes sont plus sobres à la fabrication ; d'autre part que l'on considère souvent la durée de vie d'un panneau à l'aune de son rendement initial : quand le rendement a baissé de X%, même si les cellules photovoltaïques continueront de produire pendant des années, on considère qu'il est foutu ! C'est un peu comme si on refusait d'admettre que des voitures non cotées à l'argus roulent encore.
Autrement dit, si vous êtes restés sur l'idée que le photovoltaïque n'était pas une solution viable, refaites les calculs, et au passage venez les poster ici, ça m'intéresse !

Je m'intéresse d'un peu plus près à la voiture électrique, pour en posséder une et en envisager peut-être une seconde.
Nous sommes bien d'accord qu'en matière de transport, il faudra rouler moins, moins vite, moins souvent et qu'à ce titre, la voiture individuelle, quel que soit son mode de propulsion, est une hérésie. Il ne s'agit pas de présenter la bagnole électrique comme une solution ultime. C'est au mieux une alternative à étudier.
Il faut garder à l'esprit aussi que nos voitures thermiques actuelles doivent être éliminées d'une façon ou d'une autre. Ce n'est pas comme si on était dans une situation durable et acceptable, le problème se pose dès aujourd'hui et il est épineux.
La marche à pied, le vélo et le vélo électrique sont les alternatives les plus évidentes et les plus efficaces pour les trajets inférieurs à 15 km qui ne peuvent pas être effectués en transport en commun. Le train paraît le plus sage pour les trajets supérieurs à 100km. Entre les deux, la voiture individuelle reste quasi-inévitable sauf à changer radicalement de mode de vie, ce qui n'est pas forcément inaccessible : télétravail, réseau de TEC dense, relocalisation... mais ça prendra du temps.

Dès lors, faut-il (écologiquement) jeter sa voiture thermique pour prendre une électrique ? Je pense qu'il faut au moins faire le calcul, en gardant à l'esprit que ce calcul sera fait sur des bases bancales, avec des données partielles et partiales.
Les détracteurs de la voiture électrique, qui en général ne propose rien d'autre que le vélo ou garder les voitures thermiques, opposeront les arguments suivants pour vous expliquer que vous avez tort même d'y penser :
(1) L'énergie grise de la fabrication du véhicule et de ses batteries.
(2) L'encouragement au nucléaire.
(3) Le fait que si tout le monde le fait, il faudrait X centrales électriques (nucléaires ou charbon, selon l'interlocuteur) supplémentaires

Pour répondre à l'argument (1), il faut calculer. L'ADEME considère qu'une voiture électrique consomme pour sa fabrication 34 700 kWh, et considère que chaque kWh émet 110 g CO2-eq. Ce qui nous amène à environ 4 tonnes CO2-eq liées à la fabrication du véhicule.
Une voiture diesel qui a une dizaine d'années comme la mienne émet de l'ordre de 150g de CO2 par kilomètre. On atteint les 4 tonnes en 26.000 km. Donc, tous les deux ans, simplement en roulant avec mon tromblon, je rejette l'équivalent de la fabrication d'un véhicule neuf.
Autrement dit : l'énergie grise est importante, considérable, même, mais il faut faire le calcul.

L'argument (2) considère que la seule façon d'augmenter la capacité de production d'énergie est de recourir au nucléaire. C'est fallacieux. Cf le paragraphe sur les panneaux photovoltaïques. D'autant que la seule façon de faire rouler une voiture thermique, c'est d'y mettre du carburant fossile ce qui n'est guère mieux.

Quant à l'argument (3), il oublie de prendre en compte qu'avec une voiture électrique, on roule forcément moins, moins vite, et moins souvent, du fait de la limitation de l'autonomie. Et comme je le disais en préambule, il ne s'agit pas de postuler qu'il suffit de remplacer toutes les voitures thermiques par des voitures électriques and voilà. Il faut d'abord faire plus de vélo, de transport en commun, de covoiturage, organiser la société pour qu'elle soit par nature moins énergivore ET PARALLÈLEMENT, faire en sorte que chaque kilomètre parcouru en voiture soit plus sobre. En cela, la voiture électrique représente une alternative pas trop idiote dans certains cas. Si vous n'avez pas de quoi recharger la voiture à domicile, par exemple, oubliez l'idée.

Pour conclure, j'insiste sur le fait que la posture radicale que je soutiens par ailleurs ne doit pas conduire à faire l'économie de la réflexion au cas par cas. Il y a bien cinquante nuances d'énergie grise, et autant de façon de réduire son empreinte écologique au quotidien. Ce qui marche pour vous ne marchera pas pour moi et vice-versa. Pourtant, il me semble nécessaire de communiquer chacun sur nos efforts personnels, pour glaner ça et là les bonnes idées qui nous sont applicables.

Commentaires

1. Le vendredi, 1 janvier 2016, 17:35 par agase

Comme tu me l'as demandé, j'ai donc pris connaissance de ton billet !
Voici donc quelques compléments et remarques sur ton argumentaire.
Tout d'abord, l'énergie grise est l'énergie nécessaire non pas seulement à la fabrication d'un bien mais tient compte aussi de son démantèlement. L'énergie grise ne tient pas compte de l'énergie de fonctionnement du dit bien.
En ce qui concerne les panneaux photovoltaïques, il est généralement admis que l'énergie grise d'un panneau correspond à environ à 3-5 années de production d'électricité. Lorsqu'on sait qu'un panneau, si il ne subit pas de dégradation, peut produire de l'énergie pendant au moins 20 ans voir 40 ou 60 ans (on n'a pas encore tout le recul, mais il n'y a pas de raison :) ) Il aura juste un rendement un peu plus faible de l'ordre de 60 à 50% du rendement nominal de départ.
Non, le problème des panneaux photovoltaïques n'est pas le problème de dégagement de CO² (utilisation de charbon pour produire le silicium) mais plutôt le problème de pollution généré. En effet, il est nécessaire d'utiliser énormément de produits chimiques pas tous recommandés pour l’environnement : cyanure, arsenic et j'en passe, dans des quantités assez importantes.
La production de panneau est actuellement 90% chinoise. Les raisons ne sont pas seulement parce que les chinois ont beaucoup de charbon et de la main d’œuvre bon marché mais c'est surtout car les normes écologiques ne sont pas les mêmes qu'en Europe.
Les problèmes sont toujours plus complexes qu'il n'y parait.

Maintenant, en ce qui concerne l'engouement de la voiture électrique, on peut se poser la question du recyclage des batteries ou des ressources pour les fabriquer.
Je te rejoins donc sur ton raisonnement, la voiture électrique ne résoudra aucunement le problème des transports, je m'explique :
Ceux qui actuellement s'en équipent (toi également) ne le font pas (ne l'ont pas fait) forcément avec un esprit écologique de réduction d'impact sur la planète mais plutôt car d'une part, ils avaient un véhicule à changer, que le gabarit de ce véhicule permettait de ne pas changer ses habitudes tout en économisant en carburant donc en argent. Si cela avait un petit impact bénéfique sur la planète, tant mieux. Les subventions d'état (celles votées par ces politiciens à qui on ne peut plus faire confiance) permettent cela. Cela reste une niche. Sans parler que c'est bien le nucléaire qui permet de moins polluer.
Enfin la technologie fera des progrès et on pourra bientôt faire 500 km avec un véhicule électrique (Cf la tesla) à un prix abordable et le problème ne sera pas résolu.
Non, le véritable changement, c'est changer son mode de vie : Ne pas prendre de voiture pour faire des trajets de moins de 10 km, utiliser les transports en communs, s'alimenter localement,...
On n'image pas l'énergie grise qui serait économisée. En effet, pas de route spécifique à construire pour les camions (ce n'est qu'un exemple). il faut savoir qu'en France, l'ensemble des routes sont conçues pour accepter des camions, avec une épaisseur de macadam spécifique. Les routes sont réparées plus souvent,...
Cela ferait faire outre les économies d'énergie grise, des économies aux collectivités et donc aux contribuables. Mais bon, je vais m'arrêter là car contrairement à ce que l'on peut penser, tout est lié et si on creuse, on finit par ne rien faire.

Personnellement, je n'envisage pas pour le moment de prendre un véhicule électrique mais plutôt de changer mon mode de transport. Prendre beaucoup plus le vélo. Passer de 21000 km/an (2 voitures) à 17 000 km/an en 2016. Réduire de 15 % ma consommation d'électricité et surtout continuer à consommer localement et à produire un maximum mes propres fruits et légumes.
Ensuite, quand les habitudes seront prises, je pourrai envisager de passer à la voiture électrique ou produire sa propre électricité.
C'est un peu comme lorsqu'on rachète une maison ancienne non isolée et équipée d'une vieille chaudière au fuel. Si on veut agir écologiquement, on commence par isoler la maison et seulement ensuite on change la chaudière. L'inverse n'aura qu'un faible impact. (ce que j'ai fait il y a 15 ans bientôt)

Pour conclure, je dirais qu'il est difficile de changer et que pour le faire il est vraiment nécessaire de le faire pour de bons motifs car sinon, cela ne changera rien à long terme. Remplacer les véhicules thermiques par des électriques ne fera que déplacer les problèmes, Je suis donc d'accord avec ton raisonnement final. Changeons déjà nous avant de changer de voiture ! :)

Sur ce, je souhaite une bonne et heureuse année pleine d'efforts écologiques à tout ceux qui auront réussi à aller au bout de mon commentaire.

2. Le vendredi, 1 janvier 2016, 18:59 par agase

Pour compléter, je vous poste ici le lien de wikipedia sur l'énergie grise :
On y trouve quelques infos complémentaires à celles fournies par Merome notamment sur l'énergie grise nécessaire à la construction des routes.
Une info également très intéressante sur les matériels informatiques.
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%8...

3. Le lundi, 4 janvier 2016, 10:22 par Calcoran

Pour commencer, une présentation intéressante sur l'énergie, dont la grise. Les flux d'énergie grise en slide 15 sont particulièrement édifiants:
http://atee.fr/sites/default/files/...
(et expliquent en grande partie la baisse de la consommation énergétique et des dégagements de CO2 de l'union européenne).

Par rapport à la seconde partie du sujet, je suis depuis peu possesseur d'un véhicule électrique moi aussi. Un véhicule qui consomme 5 Wh/km, autrement dit, 1/20 litre par kilomètre, excusez du peu (oui, je fais abstraction du rendement de production de l'électricité en amont, mais je ne désespère pas de réussir à me procurer un panneau PV de fabrication non chinoise pour produire ladite électricité). Bon, ok, j'ai simplement ajouté une assistance électrique à mon vélomobile ... ce qui n'est pas expressément défendu selon la loi ... mais pas expressément autorisé non plus (les seuls VAEs aux normes sont ceux qui sont passés aux mines, mais est considéré comme cycle tout véhicule à propulsion humaine avec au moins deux roues et éventuellement une assistance électrique de 250 W maximum, se coupant à 25 km/h, et conditionnée au pédalage). Enfin bon, un véhicule monoplace pesant moins de la moitié du poids déplacé, protégeant des intempéries, permettant de faire un peu de sport en temps masqué, 20-25 km/h en côte (merci l'assistance), 35-40 km/h sur le plat (merci l'aérodynamisme), personnellement ça me semble assez acceptable, même si le rayon d'action reste limité (30 km je dirais) ... ça peut permettre d'éviter l'achat d'une seconde voiture ... économiquement ce n'est pas forcément intéressant, mais point de vue énergétique il n'y a pas photo.

4. Le lundi, 4 janvier 2016, 10:46 par Calcoran

Par contre tu es sûr de ton calcul pour les 4t de CO2 ? Ca me semble plutôt bas. Pour te donner un exemple, l'équivalence que j'avais en tête, c'était: 1 nouveau véhicule (fossile) ~= 100 000 - 200 000 km d'utilisation.

5. Le lundi, 4 janvier 2016, 11:37 par Merome

@Calcoran : Le vélo électrique, je pratique depuis 2007 et donc je sais bien que c'est encore mieux qu'une voiture électrique. Par contre, quand tu dis "protégeant des intempéries", tu as une photo du bidule ?

Quant à la quantité de CO2 pour la production d'une voiture électrique, j'ai utilisé les chiffres de l'ADEME, j'ai même mis le lien. Mais si on prend leur graphique dans le même document, eux partent de 6 tonnes pour une électrique et 4 tonnes pour une thermique :

http://techno-car.fr/wp-content/uploads/2013/12/Sans-titre-3.jpg

 

6. Le lundi, 4 janvier 2016, 11:51 par Calcoran

Une photo de vélomobile? Mais il y en a plein le net ;) .

Le mien ici:
http://velorizontal.bbfr.net/t20121...

7. Le mercredi, 6 janvier 2016, 16:19 par Merome

Outch ! J'ai bien fait de demander... Je découvre d'un coup tout un vocabulaire que j'ignorais jusque là. J'étais resté sur le vocable "vélo couché", j'ignorais tout des vélomobiles et tout ça et je croyais que tu me parlais d'une protection type "vélotop". Je plonge là-dedans pour voir tout ce que j'ignore. On en reparle dans plusieurs années :)

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