Nous sommes en train de perdre la bataille

Je paraphrase le titre de cet article de libération parce que je viens de visionner une conférence de Laurent Chemla, cofondateur de Gandi, figure du web francophone et accessoirement co-auteur de l'article sus-cité.
C'est peu dire que le bonhomme a l'air un peu fatigué. Je n'arrive pas à m'enthousiasmer pour son projet Caliopen censé révolutionner la messagerie privée sur internet même si je comprends bien les raisons qui l'ont poussé à s'engager dans cette voie.

À vrai dire, nous sommes tous fatigués, les héros et les autres inconnus comme moi. Étienne Chouard vient de faire un magnifique burn-out online, sous la pression démentielle imposée par le #M6R dont les membres les plus éminents lui ont fait un procès en sorcellerie faute d'argument pour évacuer l'idée dangereuse du tirage au sort. On est allé fouillé dans le fin fond des liens de son blog pour trouver des horreurs dites par Soral. Étienne a voulu les retirer pour montrer sa bonne foi, puis s'est ravisé, et a, je l'espère temporairement, jeté l'éponge devant le torrent de protestations de part et d'autres, quoi qu'il fasse ou non.

Autre mauvaise nouvelle, la SCOP Le Pavé, qui gravitait autour de Franck Lepage et Gaël Tanguy, vient elle aussi de s'auto-dissoudre dans une lente agonie qui a duré plusieurs mois. Les messages envoyés aux sympathisants dont j'étais laissaient penser que ça n'a pas dû être facile tous les jours de rendre la chose possible et viable.

Dans la vraie vie, c'est pareil, les militants dépités constatent avec désolation qu'on va tout droit vers un duel Hollande / Sarkozy et se demandent comment diable éviter pareil spectacle. Le bateau prend l'eau de toute part, plus personne ne sait comment le faire avancer tant la coque laisse passer toujours plus de liquide. Tout ce petit monde use ses soirées en vain, après des journées de boulot pas passionnantes, dans des réunions syndicales, militantes, partisanes encore moins productives, pendant que les têtes pensantes de leurs organisations utilisent leurs deniers pour refaire leur appartement ou leur bureau. Ça tombe pendant les élections professionnelles, c'est ballot. J'ai jeté au feu tous les bulletins que j'ai reçus à la maison. Pas un ne m'inspirait plus que l'autre. Défense du pouvoir d'achat, des statuts de ci ou de ça, combats d'arrière-garde menés par des fantassins qui finiront "preneurs d'otages" au JT de France 2, à devoir répondre de leurs actes devant un Pujadas consterné qu'on puisse encore remettre en cause l'ordre établi.

Sur un forum peuplé de prof de tous les niveaux, je prends acte de la décrépitude de ce qu'on avait de plus porteur d'espoir : l'école se casse la gueule à son tour. Les élèves décrochent, attirés par mille activités plus passionnantes que les maths ou le français, les parents affolés courent comme des poules sans tête dans les réunions parents-profs pour se plaindre de tout à n'importe qui. Les équipes administratives se contentent de refaire les comptes pour ne pas déposer le bilan en rognant sur la cantine et le nombre de pions.
Ironie du moment : tous les mecs du privé que je côtoie ne rêveraient que d'une chose : devenir prof quand ces derniers envisagent eux-aussi de tout plaquer pour un autre poste plus utopique encore.

Voilà les premiers signes de ce que je crois être une bonne grosse crise qu'on va maintenant se prendre en pleine gueule, plus puissante qu'en 2008 là où on aurait encore pu limiter les dégâts en rachetant les banques en miettes pour un euro symbolique selon la proposition de Lordon. On a creusé les dettes avec nos dents, comme on creuse sa propre tombe, parce que le système monétaire est gaulé de telle sorte qu'on n'a pas d'autre choix, sauf peut-être éviscérer banquiers et politiciens irresponsables dans un même banquet sanglant, mais nous sommes non-violents.

Je ne baisse pas les armes, mais j'apprends de nos erreurs collectives. La désillusion transforme et de cette métamorphose sortira peut-être quelque chose. Il faut bien toucher le fond pour rebondir, ce sera encore plus compliqué que prévu, l'auto-défense du système est particulièrement résiliente, on n'en voit toujours pas les failles durables qui permettraient d'abattre la bête agonisante. Le plus crédible semblerait encore de construire dès maintenant et en parallèle du système actuel des alternatives multiples et virales, plutôt que d'attendre le grand soir et la satisfaction un peu puéril de contempler les ruines fumantes du capitalisme, ce qui n'arrivera pas, pas comme ça.

Pour finir sur des choses plus positives, deux ou trois choses qui méritent votre attention :

Le fantastique projet dégooglisons internet proposé par Framasoft, c'est rempli d'outils qui seront bien utiles aux associations, collectifs, individus, groupes quelconques pour communiquer et travailler ensemble. Je suis maintenant actif sur Framasphère, le noeud Diaspora de Framasoft, un réseau social décentralisé et respectueux de la vie privée.
Allez voir au passage ce que Google sait de vous, ça vous motivera peut-être à faire quelque chose de radical et salvateur.

Le dernier film de Pierre Carles "Les ânes ont soif" est téléchargeable librement sur son site. Je ne l'ai pas encore vu, mais connaissant Pierre Carles, ce ne peut être qu'une tuerie.

Il va falloir se serrer les coudes et diffuser à outrance tout ce qui mérite l'attention. Faites moi part de vos trouvailles, partagez avec vos amis ce que je poste ici et là, faisons du bruit, éduquons-nous les uns les autres, ça sera toujours ça de gagné.

Commentaires

1. Le mardi, 2 décembre 2014, 23:07 par damien

Oui, nous sommes tous cramés car proposer un modèle alternatif à la démocratie représentative actuelle, au modèle économique unique qu'on nous impose, un monde numérique libre est épuisant !
Ne pas suivre le flot des gens et usages lambda demande un surplus de motivation et d'energie incroyable.

A un moment, on ne peut plus suivre en tant qu'individu isolé, c'est le burn out assuré

2. Le mardi, 2 décembre 2014, 23:40 par Contrescarpe

Bonne lecture pour cet état d'esprit : "A nos amis" du Comité Invisible

3. Le vendredi, 5 décembre 2014, 13:57 par Nicolas QC

Les croyants le prendrait comme un défi que dieu leur donne, à combattre davantage encore le diable ou le malin, les inciter à servir davantage leur seigneur.
Pour les athée, n'est ce pas également à prendre comme un défi de persévérance ? Un test de notre courage vertueux inébranlable ?
Soyez fort, apprenez à vous recharger, en vous entourant par exemple, aussi à prendre du recul et à comprendre à quel point toutes ces réactions sont logique. Vous serez tellement fier(e) de ce que vous avez apporté(e) à l'humanité une fois tout cela terminé, une fois l'humanité libérée, heureuse, épanouie, révélée !
Il y a des millions d'êtres qui rêvent votre monde, mais ne le savent pas encore possible, chaque échange est une graine qui est elle même susceptible de fertiliser des milliers d'autres, avec la vitesse du monde actuel, l'influence est exponentiel. Le point de bascule est bien plus proche qu'on ne le croit, c'est d'ailleurs pour cela que l'opposition redouble d'effort, sans quoi ils ne pourront définitivement plus rien.
Courage !

4. Le lundi, 15 décembre 2014, 21:17 par Nath

Je suis surprise que tu ne sois pas encore allé jeter un œil du côté de Saillans, dans la Drôme, où les habitants expérimentent la démocratie participative, à leur façon.
http://rue89.nouvelobs.com/2014/03/...

5. Le mardi, 16 décembre 2014, 08:39 par Merome

@Nath : J'ai suivi ça de près sur le web, bien sûr. Même si je n'en ai pas encore parlé ici, c'est vrai.

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