Comme un film argentique

Quand j'étais gosse, il me suffisait d'entendre les premières notes de "Céline", chantée par mon grand frère accompagné de sa guitare pour sentir une boule dans ma gorge. Je ne sais pas si je comprenais vraiment toutes les paroles, je devais avoir cinq ou six ans, mais l’enchaînement des accords à lui seul me provoquait un émoi étrange.
Cette tendance à ressentir plus fort que d'autres, peut-être, le choc du texte ou de la musique de la moindre chanson de variétés, je l'attribuais à mon âge. Je pensais que tous les petits garçons et toutes les petites filles étaient comme moi. Deux éléments me permettent aujourd'hui d'infirmer cette hypothèse : je suis toujours, à près de quarante ans, comme un gosse quand j'entends une chanson triste, et mes propres enfants semblent totalement insensibles aux pires trucs déprimants que je peux leur faire écouter.

Il n'y a pas que les chansons qui m'émeuvent, beaucoup de choses m'atteignent. Des mots, d'abord. Pas tant dans des romans que je continue de peu lire, mais dans des articles, des interviews, des conférences, des conversations, des citations, des séries télés, des films. Je les réécoute. Je les relis. Je les retiens. Je les replace, au grand étonnement de mes interlocuteurs, parfois, car ce qu'ils signifient pour moi n'est pas forcément compréhensibles à d'autres.
Des arguments me transpercent, ils changent ma vie, régulièrement. Je prends conscience, je modifie mon comportement. J'ai du mal à admettre que cela ne produise pas le même effet sur d'autres.

Lors d'un concert, que ce soit celui d'une star, ou la vulgaire fête d'école de fin d'années, les premières mesures me bouleversent. Que cela soit l'intro d'Envole-moi (cette version, particulièrement, ma préférée), ou bien "Gribouille la grenouille" chantée par les maternelles de mon village, j'ai soudain le regard humide.

J'observe les autres, je me mets à leur place, je vis à travers eux. Je bois les paroles des passionnés. Je suis capable d'apprécier un match de foot, si je le visionne avec quelqu'un qui le vit.
Je vois aussi leurs tics, physiques ou verbaux, parfois je crois en comprendre l'origine, je subodore des complexes, je m'improvise intérieurement psychologue.
Je déteste mettre les gens mal à l'aise, peut-être qu'il m'arrive de le faire involontairement, et si je m'en rends compte après coup, ça me mine. Je retiens des détails. J'oublie des choses importantes.

Je vis des moments hors du temps, seul, à deux, où cette hypersensibilité est encore exacerbée. J'aimerais pouvoir partager ça. Vraiment.

Commentaires

1. Le dimanche, 13 juillet 2014, 08:57 par Jérémy

Je partage la même sensation. Il m'arrive même de me demander si les gens insensibles ne sont pas juste des figurants sans âme de la propre existence, tellement certains se comportent tels des moutons au comportement ultra prévisibles.

2. Le lundi, 21 juillet 2014, 20:29 par Nath

C'est rare les billets où tu te dévoiles à ce point...
Tu devrais lire du Christian Bobin ("Un Assassin Blanc comme Neige" est une bonne intro), ses mots te toucheraient sans doute !

3. Le lundi, 21 juillet 2014, 21:41 par FilGB

J'espère pourvoir regarder un match de foot avec toi un de ces quatre et passer en consultation ensuite. :)

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