Permettez-moi de paraphraser la célèbre philosophe Jenifer même si je vais sans doute trahir son propos dans l'article que voici.

Que les choses soient claires : je suis une brêle en Histoire. C'est à dire que je n'en ai jamais fait un centre d'intérêt et donc je me suis contenté de suivre les cours jusqu'au lycée, en me débrouillant pour avoir une note autour de la moyenne, sans plus.
L'âge venant, on finit par se dire qu'il y avait peut-être une utilité à cette matière, mais on se rend compte en même temps que, de la manière dont elle était (et est encore) enseignée et même si on était particulièrement assidu, il faut tout revoir quand même avec un regard d'adulte.

Ainsi donc, j'avais une certaine idée sur la Révolution Française. On en a tous une, je suppose. Des souvenirs vagues et anciens, des images télévisées, des icônes et des clichés, peut-être des restes du bicentenaire... Bref une vision globale qui était celle-là : en 1789, le peuple s'est soulevé contre la monarchie, a pris la Bastille, et depuis, nous sommes dans une république où le peuple est le souverain à la place du souverain. Bon, il y avait peut-être quelques soubresauts avant d'arriver à notre Vème république, mais l'acte fondateur, c'était 1789, les bons l'ont emporté sur les méchants, les pauvres sur les riches, les indigents sur les nantis. Parallèlement, la France éclairait le monde avec sa déclaration des droits de l'Homme, ses Lumières, son Encyclopédie de Diderot et D'Alambert, tout cela était très positif. J'étais très fier de nous. Si, si.

Et puis, un premier coin dans l'édifice est placé par un morceau de "L'encyclopédie du savoir relatif et absolu", lu dans un tome des Fourmis de Bernard Werber, il y a très longtemps déjà, et qui disait que l'Histoire était toujours écrite par les vainqueurs. Les vaincus, eux, n'avaient jamais le loisir de s'exprimer et s'ils le faisaient, leurs livres étaient brûlés, leur parole disqualifiée, simplement parce qu'ils avaient perdu. Si la France n'avait pas été libérée, il y a fort à parier que nous trouverions tous (ou en tout cas une majorité) ça très bien d'être nazis, parce qu'on nous aurait enseigné à l'école que c'était la norme. De la même manière, l'esclavage n'avait rien de bizarre quand on le pratiquait couramment, le travail des enfants était plutôt une bonne chose pour le pays, etc etc...
Du coup, comment savoir ce qu'il en a vraiment été de notre propre Histoire ?

Les années passent sans que je ne m'intéresse davantage à l'Histoire, et puis je tombe, grâce à Chouard sur ces conférences d'Henri Guillemin. Henri Guillemin, c'est un historien "populaire", c'est à dire, quelqu'un qui se place plutôt du côté des vaincus, de ceux que l'Histoire a rangé du côté des vilains, des sanguinaires, des infréquentables. Et il examine les faits et les citations avec un éclairage tout à fait nouveau, peut-être pour partie orienté, mais indiscutablement enrichissant. Il s'attache au fil de ses exposés à démonter toutes les idées reçues. Figurez-vous que j'étais resté sur l'idée que Jeanne d'Arc avait été brûlée par les anglais, par exemple. Et le livre d'histoire de ma fille dit toujours ça d'ailleurs, pourtant il est récent. En réalité, il n'en est rien, c'est bien les religieux qui ont foutu le feu à la pucelle d'Orléans, et ce pour des raisons politiques.
Mais revenons à nos moutons enragés de la Révolution Française.

Selon Guillemin, qui y revient plusieurs fois lors de différents exposés (sur Robespierre, sur Rousseau, sur la Révolution et même sur "L'autre avant-guerre"...), les choses sont loin d'être aussi simples et claires que le souvenir que j'en avais.
En 1789, il y avait bien trois classes : la noblesse, le clergé et le Tiers État. Cette dernière catégorie, je me l'imaginais composée essentiellement de gueux et de paysans exploités, ce qui me faisait oublier qu'il y avait dans cette masse des commerçants, des banquiers, des affairistes qui n'étaient pas pauvres du tout et plutôt du côté des exploiteurs. Ceux-ci commençaient à en avoir assez d'être riches, mais de n'avoir aucun pouvoir reconnu, ils ont alors armé les petites gens, gratuitement, pour aller au casse-pipe à la Bastille (à leur place).
Ils ont ensuite récupéré les armes (contre récompense que les pauvres n'ont évidemment pas refusée) parce qu'il faut quand même pas déconner et laisser des pauvres avec des armes comme ça dans la nature. Et ils ont mis en place un système qui leur convenait mieux.
La révolution de 1789, c'est avant tout une transmission de pouvoir de la richesse immobilière (ceux qui possèdent les Terres : noblesse et clergé) à la richesse mobilière (les banquiers, les commerçants, les affairistes). Du point de vue du pauvre, c'est juste que ce n'est plus les mêmes riches qui le gouvernent.
Là-dedans, les fameuses "Lumières" et les auteurs de l'Encyclopédie, sont les nouveaux riches, ils font partie de cette nouvelle classe dirigeante, qui est loin d'être du côté du peuple. Pensez donc que Voltaire disait la chose suivante (c'est une des citations favorites de Guillemin) :

un pays bien organisé est celui où le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne

Fameux programme ! Eh bien c'est celui qui forme l'esprit de cette Révolution. Ni plus ni moins. Et du coup, je suis beaucoup moins fier de nos ancêtres et de mes programmes scolaires qui ne m'ont pas permis de comprendre ça avant 37 ans ! Que de temps perdu à croire que la Révolution avait déjà été faite et qu'il n'y avait pas d'intérêt à la refaire. Tout reste à faire au contraire. Le peuple n'est toujours pas souverain, il a confié le pouvoir à une oligarchie, depuis deux siècles, elle nous conduit dans une impasse écologique et économique, elle a causé ou laissé faire plusieurs guerres en notre nom. Mais nous, abrutis que nous sommes, nous croyons être en démocratie !

J'invite tous ceux qui comme moi n'ont pas su lire entre les lignes des programmes d'Histoire, à se refaire une religion sur ces sujets. Les conférences d'Henri Guillemin sont parfaites pour cela et tout est accessible en ligne. On trouve même des versions MP3 pour écouter dans la voiture et sa voix grave passe très bien dans les embouteillages comme sur les autoroutes. Vraiment, cet homme pourtant mort depuis plus de vingt ans m'a ouvert les yeux sur bon nombre de sujets et on lit partout sur le web des témoignages comme le mien à son sujet.
Prenez le temps de jeter une oreille là-dessus, ça vaut le coup.

Commentaires

1. Le mardi, 18 juin 2013, 21:58 par Bob

"Du point de vue du pauvre, c'est juste que ce n'est plus les mêmes riches qui le gouvernent."

... et ça fait combien d'années que je m'esquinte à tenter de te faire comprendre ça ? Et sans avoir écouté Guillemin ou ouvert un bouquin d'Histoire, encore (je suis sans doute aussi inculte que toi dans ce domaine). C'est simplement assez évident quand on s'arrête deux minutes pour regarder l'avant et l'après.

Tu peux aussi lire l'histoire populaire des États-Unis de Howard Zinn ("populaire" à prendre comme "vue du point de vue du peuple"), ça achèvera de te convaincre, ou peut-êter que ça t'achèevera tout court.

Il y a plein de citations du même calibre que celle de Voltaire que tu as relevée et qui, pour résumer, montrent que l'oligarchie dominante :

- sait que sa survie en tant que caste dirigeante passe par l'asservissement du reste de la masse, si possible à son insu,
- organise sciemment le monde en conséquence

En claire, on n'est pas des malchanceux qui ont des dirigeants qui ne prennent bêtement que des mauvaises décisions. Non non, ces gens-là savent parfaitement ce qu'ils font.

Un peu sur la même ligne, regarde ce qui se passe en Tunisie ces temps-ci. Ils doivent être ravis d'avoir eu une belle révolution il y a deux ans...

2. Le mercredi, 19 juin 2013, 09:09 par Merome

@Bob: C'est vrai que tu me dis depuis longtemps, mais tu ne l'expliques pas aussi bien que Guillemin. Et si je devais croire tout ce que tu dis...

3. Le mercredi, 19 juin 2013, 11:50 par Twicedd

Petite confusion : ce n'est pas dans un tome des Fourmis, mais dans l'Ultime Secret que tu as trouvé "l'Encyclopédie du savoir relatif et absolu". Mais l'auteur est bien Weber ;-)

Du reste, j'adhère tout à fait à ton propos : sans avoir regardé les conférences de Guillemin toutefois, rien que d'entendre Chouard parler de Rousseau fait clairement comprendre que la situation était bien plus complexe que celle enseignée à l'école ..

4. Le mercredi, 19 juin 2013, 13:48 par Merome

@twicedd : Non non, c'est bien dans les fourmis que c'est apparu la première fois et c'est Werber avec R avant le B :)

5. Le jeudi, 20 juin 2013, 13:50 par pierred

C'est par Werber que tout a commencé... :-)

6. Le jeudi, 20 juin 2013, 14:47 par Twicedd

Ah bien autant pour moi ! Je n'ai pas encore fini la Trilogie .. et en plus j'ai fait un accroc sur le nom de Werber ! Je sors --> [] !

7. Le mardi, 2 juillet 2013, 12:42 par bird

La lecture des écrits de l'Abbé Sieyes est édifiante
(http://fr.wikipedia.org/wiki/Emmanu...)

Avec une petite citation : "Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants" Discours du 7 septembre 1789

Et voila, on aurait pu avoir une démocratie, on à eu un parlement élu...

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