Hier soir, j'assistais à une conférence gesticulée de Franck Lepage.

Je ne sais pas si vous connaissez Franck Lepage, j'en ai déjà parlé une fois ou deux sur le blog. Il fait partie de cette poignée de gens dont je me farcis les vidéos qui traînent sur le web des heures durant, avec Etienne Chouard, Jean Marc Jancovici, Frédéric Lordon ou encore Olivier Berruyer.

Franck Lepage est l'un des fondateurs d'une SCOP intitulée "Le Pavé" et à ce titre anime des conférences et des formations autour de thèmes qui me sont chers. Mais au lieu de faire une conférence chiante et sérieuse, il prend le parti de faire un spectacle moitié humoristique, moitié engagé qui dure pas loin de quatre heures et où l'on ne voit pas le temps passer.

Hier soir à Montbéliard (25), il abordait le thème de l'éducation populaire, ce concept bizarre inventé après-guerre dans le but d'éduquer les jeunes adultes à la politique. Considérant, suite aux événements tragiques de la 2nde guerre mondiale, que la démocratie n'était pas un état naturel, que c'était le fascisme qui était la dérive logique pour les sociétés humaines, le gouvernement de l'époque a cherché à mettre en place une éducation politique des adultes, pour leur apprendre à rester en démocratie.
On imagine sans peine la difficulté de l'exercice : comment éduquer à la politique sans faire de bourrage de crâne et de prosélytisme ? Dans un contexte politique animé, avec les communistes qui disputaient encore les places au gouvernement avec les gaullistes, le projet a finalement capoté pour être relégué dans une sous-section du ministère de la jeunesse et des sports, puis muter en ministère de la Culture (avec un grand Q), et devenir finalement cette bouillie infâme qu'on nous sert en appelant ça de la Culture, alors que c'est totalement l'inverse.

Une bonne partie du propos de Lepage repose sur ces mots utilisés à contre-sens, ou ces oxymores qui se déversent dans les médias sans plus qu'on les remarque : "développement durable", "croissance négative", "projet local", ... Et étrangement (ou pas), on retrouve le même attachement au vocabulaire chez Chouard, et une dénonciation très proche chez les économistes hétérodoxes comme Lordon ou Berruyer.
Cette habitude de dénoncer le faux langage chez ces gens d'horizons pourtant bien différents, s'intéressant à des sujets bien spécifiques, n'est pas un hasard. C'est, je commence à le croire, le cœur de la plupart des crises que nous traversons. Comme les lapins, les électeurs s'attrapent par les oreilles (je ne sais plus qui a dit ça, ce n'est pas de moi), et élections après élections, nous nous laissons prendre au doux verbiages des hommes et femmes politiques de droite comme de gauche.
Le mot démocratie employé à l'envers nous empêche de formuler un embryon de solution.
Le mot croissance, foncièrement positif, masque les dégâts du développement infini des inégalités et la destruction de l'environnement qui vont avec.
La Réserve Fédérale qui n'est ni une réserve, ni fédérale, et la Banque Centrale Européenne qui n'est pas au service du peuple sont d'autres exemples frappants de ce vocabulaire qui nous est imposé et qui modifie notre rapport au pouvoir.

La démarche de Franck Lepage et de ses acolytes est salutaire. Elle nous ouvre les yeux sur ce que nous vivons au quotidien, en lisant les journaux, au travail ou dans l'isoloir. Tout en nous divertissant, il nous apprend l'Histoire politique de la France que nous ne connaissons pas. Il la décode, la recontextualise et tout devient limpide.

Nos ennemis sont clairement identifiés. Leur arme est le langage. Utilisons-la contre eux.

Commentaires

1. Le jeudi, 8 novembre 2012, 15:17 par jeremie

La prochaine fois, acceptes tu de faire un billet pour annoncer la conférence quelques jours avant stp ?

2. Le jeudi, 8 novembre 2012, 16:26 par Merome

@jeremie : je l'ai dit sur twitter dans la journée. Je n'ai pas toujours le temps de pondre un billet. Twitter est plus adapté pour ça... Mais j'essaierai d'y penser.

Tiens, une de mes pièces de théâtre va être jouée en Haute-Saône, du côté de Gray, en Février. C'est pas beau ça ? :)

3. Le jeudi, 8 novembre 2012, 20:20 par viconte

Jeremie +1

;)

... et puisqu'on en est dans les agendas, jeudi prochain, à la CCI de Belfort, les ingénieurs de l'IRSN (institut de radioprotection et de sureté nucléaire) tireront les conséquences de l'accident de Fukushima en vue d'améliorer la protection des centrales nucléaires françaises.

http://www.cg90.fr/agenda/detail.ph...

Je fais la pub, mais je sais pas du tout de quoi il s'agit ! Ca m'a interpellé... C'est pas si souvent qu'on parle de Fukushima...

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