Un peu de pédagogie, désolé pour ceux qui savent déjà tout ça mieux que moi.

Il me semble utile de bien comprendre la notion de conflit d'intérêt car elle est au centre d'un nombre incalculable de problèmes que nous traversons en ce moment.
Tout le monde voit à peu près de quoi il s'agit, wikipédia nous indique qu'un conflit d'intérêts apparaît ainsi chez une personne ayant à accomplir une fonction d'intérêt général et dont les intérêts personnels sont en concurrence avec la mission qui lui est confiée par son administration ou son entreprise. Et l'on peut donner quelques exemples pour expliciter tout ça :

Le juge qui voit comparaître à son tribunal un membre de sa famille est en situation de conflit d'intérêt, on dit qu'il est "juge et partie". Du fait de son lien de parenté avec le prévenu ou la victime, il n'est pas apte à le juger correctement.
L'élu qui doit attribuer un marché public à son beau-frère qui est dans le BTP est lui aussi en plein conflit d'intérêts car sa capacité à juger de l'offre la "mieux-disante" est manifestement troublée par des éléments extérieurs.
Le DRH qui fait embaucher son fiston dans l'entreprise souffre du même syndrome.

Notons bien que la situation de conflit d'intérêt n'est pas condamnable en soi. C'est le fait de ne pas s'exclure soi-même de l'affaire sachant cela qui est problématique. Le juge sera ainsi écarté et remplacé par un autre pour régler le problème, ce qui n'entache en rien les compétences du premier juge. C'est important : la situation de conflit d'intérêt peut survenir même chez les honnêtes gens, et cela n'en fait pas des délinquants pour autant. C'est le fait de profiter de cette situation qui est grave.

Ces situations de conflits d'intérêt de premier ordre, je pense que tout le monde les a bien en tête, les comprend bien, et les a déjà peut-être observées.

Mais il y a du conflit d'intérêt beaucoup plus sournois, dont personnellement je sous-estimais l'importance et la fréquence.

Il y a par exemple le cas du prof qui note ses élèves. Ca ne saute pas aux yeux, n'est-ce pas ? Pourtant que sanctionne la note si ce n'est, aussi, la capacité qu'a eu le professeur à faire passer l'enseignement aux élèves ? L'enseignant juge donc de son propre travail, ce qui semble un peu arbitraire. Notez que si vous prenez tous les meilleurs élèves de chaque classe d'un niveau pour en faire une seule super-classe ne comprenant que des bons, les notes montreront quand même un classement des élèves très semblable à celui d'une classe normale. Des bons, des moins bons, des mauvais. C'est ce qu'on appelle en didactique, la constante macabre et cela montre la subjectivité de la notation, qui peut être la conséquence, entre autres, de la situation de conflit d'intérêt dont je parle plus haut.

Mais plus grave sans doute, c'est la triple situation de conflit d'intérêt dans laquelle se trouve l'élu de la république, juste parce qu'il est élu. Je dis "juste" parce que cela ne l'empêche pas d'être, en plus, corrompu jusqu'à la moelle ou malhonnête, mais je prétends que ce n'est pas nécessaire pour que cela soit problématique.

L'élu, en effet, est redevable de celui/ceux qui ont financé sa campagne. Malgré l'encadrement strict du financement des partis politique et des campagnes électorales, il est bien évident qu'un mécène qui donne son argent au profit d'un candidat à l'élection attend quelque chose en retour. Peut-être pas quelque chose de sonnant et trébuchant, ni un avantage direct et mesurable (à part la déduction d'impôt qui correspond). Mais une sorte de redevance morale du candidat envers le financeur, faute de quoi ce dernier ne financera pas la prochaine campagne. C'est du simple bon sens.
Autrement dit, l'élu, pour être réélu, ce qui est dans son intérêt personnel (surtout dans le cas des politiciens professionnels qui n'ont plus d'autres métiers que celui-là), doit composer entre l'intérêt général et celui des financeurs de sa campagne.

L'élu par ailleurs doit recueillir suffisamment de voix pour être (ré)élu, et doit alors plaire aux électeurs. Logique me direz-vous, mais l'électeur n'est pas supposé être suffisamment informé de la situation macro-économique, par exemple, pour prendre les bonnes décisions dans l'intérêt général. Ce qui fait que les mesures impopulaires sont difficiles à prendre (pensez que cela peut-être compensé par le conflit d'intérêt précédent : le report de l'âge de la retraite est impopulaire pour les électeurs mais plaisait aux financeurs de la campagne de Sarkozy en 2007, par exemple).

Enfin, l'élu se trouve en situation de conflit d'intérêt dans certains cas particuliers, lorsqu'il se vote une indemnité, lorsqu'il doit ménager sa majorité, lorsqu'il doit statuer sur le nombre d'élus voire de fonctionnaires qui sont à son service, lorsqu'il doit sortir gagnant des primaires de son parti... etc etc...

J'aimerais que vous compreniez bien que cette diatribe n'est pas une variante du slogan "Tous pourris", c'est même exactement le contraire. Ce n'est pas parce qu'il est malhonnête ou incompétent que l'élu se trouve en situation de conflit d'intérêt, comme le juge qui se retrouve à juger quelqu'un de sa famille. C'est le système de l'élection, lui-même, qui rend l'élu inefficace, incompétent ou dangereux, quand ce n'est pas les trois à la fois. Et j'insiste : même l'élu de bonne foi, honnête et courageux, car il en existe.
Nous devrions être capable d'inventer un système où celles et ceux qui sont en position de décider des lois et des choses qui nous concernent tous et toutes, ne doivent pas sans cesse composer avec des perturbations extérieures à leur mission. Ces 200 ans de gouvernement représentatif nous enseignent que l'élection conduit toujours à la situation de conflit d'intérêt ce qui débouche sur un déplacement du pouvoir vers ceux qui ont le plus d'argent ou le plus d'influence, ce qui revient souvent au même.

Méditons là-dessus.

Commentaires

1. Le mercredi, 3 octobre 2012, 14:00 par Pascal

J'allais vous parler du plan C d'Etienne Chouard, mais après avoir lu votre article, je suis remonté en haut et j'ai vu que son nom était dans les "tags / mots clés". Bref, je trouve que vous avez très bien expliqué la "chose".

Sinon, pour l'instant, avec les conflits géopolitiques, ça risque d'être difficile de le mettre en oeuvre à l'échelle planétaire, mais avant entendu parler du modèle économique basé sur les ressources, du mouvement Zeitgeist ? On peut concevoir un modèle de société où l'importance de la politique telle qu'on la connaît aujourd'hi serait... anecdotique. C'est du moins ce qu'ils ont imaginé.

Au cas où ça vous intéresse, j'ai compilé certaines vidéos sur une note de mon blog : https://bitly.com/ShvK2t

Sinon, playlist : http://www.youtube.com/playlist?lis...

(si vous manquez de temps, je recommande de voir en priorité Mooving Forward et la conférence de presse liée - vidéo 8 et 9, vidéo 10 et 6 sur la technologie, et les "courtes" vidéos 18 et 19)

2. Le mercredi, 3 octobre 2012, 16:50 par Marc T.

Et hop, un nouvel angle d'attaque pour démonter le régime représentatif !

Merci Merôme.

3. Le jeudi, 4 octobre 2012, 11:44 par Merome

@Pascal : Merci. Evidemment que ça m'intéresse ! J'en ai vu une ou deux sans doute déjà, Zeitgeist, déjà vu par exemple, mais j'accroche pas trop à la forme du truc, pas assez cartésien et les pieds sur terre, selon moi. Et bien sûr, c'est Chouard qui m'a ouvert les yeux sur ces problèmes.

@Marc T : A ne pas manquer si tu débarques : Simple comme bonjour

4. Le dimanche, 14 octobre 2012, 19:04 par krka

12 jours sans billets, c'est pas un peu abuser ?
Tu nous manques !

5. Le mardi, 16 octobre 2012, 09:39 par Merome

@krka : Merci de ce soutien. C'est vrai que je blogue un peu moins ces temps-ci. Il faut que je reprenne le temps.

Sinon, je vous invite à me suivre sur twitter qui est moins contraignant...

6. Le mercredi, 12 février 2014, 19:16 par Christian

Bonjour.
Je ne suis pas sur d'etre au bon endroit mais bon je me lache quand meme.
Je suis cuisinier dans un ehpad de la fph .
La directrice de l'etablissement a recruté son fils qui est maintenant titulaire et bien que moins ancien que moi m'a déjà dépassé en terme d'ancienneté ,de note et bientôt de grade , il a passé son diplôme de cuisinier par le biais du droit a la formation (a la base il était serveur).
C'est sa mere qui le note ,ma question est : est ce un conflit d'interet ou comment cela s'appelle t'il , que faire pour le denoncer ( nous sommes fonctionnaire).
Cette meme directrice fait livrer les couches pour les résidents par son cousin qui a une entreprise dans ce domaine ,conflit d'interet ou non ??
Merci de me conseiller car je suis a bout .
Cordialement

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