Retour d'expérience d'un parent d'élève après une année de 5ème "sans note"

Numéro 1 est maintenant en cinquième. Après une année de 6ème par moment difficile, pas tant sur les résultats que sur l'organisation et sur l'intégration dans le collège, nouveau changement important pour cette classe "expérimentale" (la seule du collège) où les évaluations classiques et chiffrées sont remplacées par des points rouges et des points verts.

Il me semble être particulièrement ouvert sur ce genre de sujets et je n'étais donc pas hostile, a priori, sur la méthode et les principes, je n'y suis d'ailleurs pas plus hostile aujourd'hui, d'un point de vue purement théorique, mais d'un point de vue pratique, il faut reconnaître que la méthode n'a pas tenu ses promesses, tout au moins pour notre fils. Déjà, un truc partait mal : on a été mis devant le fait accompli. "Votre fils est dans une classe expérimentale, vous pouvez être contre, mais ça changera rien, il y sera quand même et de toute façon c'est mieux pour lui". Je caricature à peine.

Ceci dit, le concept est relativement simple, et on ne peut qu'y adhérer : il s'agit d'affiner l'évaluation tout en abandonnant la notation chiffrée, ce qui permet à la fois de mieux cerner les difficultés de l'élève, tout en évitant la compétition stérile entre élève (sans pour autant enlever l'émulation) voire la frustration qui peut décourager les élèves les plus en difficulté.

Chaque matière s'est vue subdiviser en myriades de compétences à acquérir, et des points verts et rouges ont remplacé les notes sur les copies et sont reportés sur un outil en ligne, ce qui donne à peu près ça (cliquez pour zoomer) :



Notez que numéro 1 ne se débrouille pas si mal (plus de points verts que de rouges), et ce n'est pas bien ça le problème, le programme semble par ailleurs avoir été suivi, et je ne crains pas trop de différences de niveaux avec d'autres 5ème "normales".

Le problème, comme vous pouvez le voir juste sur ce petit bout du français et de l'Histoire géo, est la foultitude d'items évalués, qui empêchent d'avoir une vue d'ensemble synthétique. Dans l'absolue, ce devrait être une force du système, mais compte-tenu du temps que nous avons à consacrer à l'aide aux devoirs (qui ne sont qu'une partie des nombreuses tâches qui incombent aux parents d'élève : organisation générale, achat de fournitures, développement personnel, relationnel...), il est humainement impossible de passer du temps à fouiller dans les items pour découvrir les points faibles de l'élève et les lui faire retravailler.
C'est également impossible pour un professeur qui ne peut individualiser son action, et réévaluer les compétences non acquises par un seul élève du groupe, par exemple. Nous voilà donc avec un indicateur sans doute très précis, mais absolument inutile, là où la note chiffrée donnait une vision certes grossière, mais synthétique du niveau global.

Autre difficulté, confirmée par les profs : comment évaluer de façon correcte un devoir non fini faute de temps ? Ou une erreur de parcours accidentelle ?

Butant sur de nombreux problèmes de ce genre, et invités par quelques parents à trouver des solutions, l'équipe éducative a dû avoir recours quand même à des notes chiffrées pendant l'année scolaire. Un prof remplaçant, arrivé dans le système sans plus d'informations que ça nous a même avoué continuer la notation chiffrée pour lui-même. Autant de flottements qui n'ont pas aidé à l'adhésion des élèves et des parents.

Autre point épineux, mais sans doute plus rare : numéro 1 est attiré par les chiffres. Les notes chiffrées lui permettaient de se situer assez distinctement, là où les points de couleurs sont bien vagues. Du coup, à partir du deuxième trimestre, il s'est mis à convertir de lui-même l'évaluation colorée en note sur 20 ! L'échelle comportant quatre niveaux, il a vite compris la correspondance avec les chiffres, et une partie de l'effet escompté par la méthode était annulé.

La réunion bilan de laquelle je sors semble montrer un accueil mitigé des parents. Pour certains, c'est un vrai succès, pour d'autres, plus nombreux, c'est au mieux égal, et au pire négatif. Le principal du collège n'était guère ouvert à la critique, et n'a cessé d'essayer de nous expliquer qu'on avait tort de s'opposer à la méthode qui est celle de l'avenir, sans comprendre qu'au delà de la méthode, c'est son application qui était à revoir.
Car en effet, dans un monde idéal, avec un temps infini du côté des parents comme des profs, pour parfaire la scolarité de l'élève, cette forme d'évaluation est sans doute bien meilleure.
Dans la réalité pratique, toute la théorie tombe par terre, le manque de temps et de moyen, la non-généralisation de la méthode, les errements bien naturels lors de la mise en place de tels changements... font que les résultats attendus ne sont pas au rendez-vous.

L'expérience n'est pas reconduite l'année prochaine même si certains profs continueront, pour eux, d'évaluer les items de cette façon.
J'espère avoir été assez objectif, même si c'est toujours difficile quand on baigne au quotidien dans le conflit, les difficultés et le manque de temps liés à ce type de problème.

Commentaires

1. Le jeudi, 21 juin 2012, 22:27 par Stef

Ca semble assez objectif, je ne sais pas quel est ton ressenti précis sur la méthode mais ton article n'est pas négatif, ta note semble plutot 2 ronds verts et un rond rouge ! :)
"Interessant mais a améliorer" -si j'ai bien perçu ton avis-.
Si c'est toi qui devait choisir le systeme de note pour la 4e tu reprendrais ça ?

2. Le vendredi, 22 juin 2012, 06:21 par Etheriel

Ouh la... en effet, à voir le joli tableau excel tout coloré, concernant certains items.... on n'y comprends rien ! Et c'est quoi le "score" ? Finalement une sorte de note, non ? Et c'est quoi la règle des 1/2/3/4 colonnes à 1 ou parfois 2 boules ?

3. Le vendredi, 22 juin 2012, 08:30 par Merome

@Stef : Non, je ne reconduirais pas l'expérience dans ces conditions. Il faudrait modifier plusieurs choses :

- Donner le temps et les moyens aux profs d'appliquer la méthode jusqu'au bout. Plusieurs "avantages" nous ont été vendus au début de l'année : l'entraide entre élèves, le fait que chacun pouvait demander à être réévalué sur un item particulier... De l'aveu même des profs, cela n'a pas pu être mis en place, faute de temps.

- Donner le temps aux parents (!) d'aller au fond des items pour aider le gosse, soit en réduisant leur nombre, soit en passant au 25h :)

- Améliorer la communication collège/parents. Numéro 1 étant une boite noire, il faut essayer de deviner quelle est la communication officielle de l'établissement, compte tenu des oublis, erreurs d'interprétations, mauvaise foi du gosse !

@Etheriel : Le score est en effet une sorte de note déduite des boules vertes et rouges (c'était bien la peine !). Et chaque colonne correspond à une évaluation différente sur cet item (une interro quoi). Chaque compétence est évalué sur une échelle de 4 notes (en fait 5 avec le NN : Non Noté) : double-rouge, simple rouge, simple vert, double vert. 

Double rouge : j'y arrive jamais. (Non acquis NA)

Simple rouge : Je comprends pas le truc, mais des fois j'y arrive par hasard.

Simple vert : j'ai compris mais parfois je me plante (En cours d'acquisition ECA)

Double vert : Je ne me trompe jamais. (Acquis A)

Pour reprendre l'image en exemple, Numéro 1 n'a pas validé la compétence "Je comprends les différents degrés de l'adjectif qualificatif" qui n'a été évaluée qu'une fois. Alors moi je veux bien l'aider à travailler ça, mais il faudrait d'abord que je comprenne ce qu'est un "degré de l'adjectif", je ne sais pas si ça se mesure en Celsius ou en Fahrenheit...

4. Le vendredi, 22 juin 2012, 11:13 par Didier

Sujet très intéressant.
Merci !

5. Le vendredi, 22 juin 2012, 21:18 par Bob

Bon en gros ça n'a rien changé votre histoire, c'est ça ?

Vu ce que tu décris, ça ne me surprend pas puisqu'en réalité le bahut où va ton gamin n'est tout simplement pas sorti du système de la note. Que ce soit une note chiffrée, une lettre, des points de couleurs, ça reste une évaluation qui peut facilement se transformer en note - pour preuve : tu dis toi-même que c'est à la portée d'un élève de cinquième.

Qui plus est, on retrouve de la note chiffrée directement sur les tableaux de l'école et un prof t'avoue qu'il continue à noter sur 20 officieusement... Abolition de la note ? À d'autres.

Tu parles de l'entraide entre élèves ou de l'individualisation du travail : quel rapport avec le fait de noter ou pas ? Pourquoi ce ne serait pas possible en continuant à noter les élèves sur 20 ? Même la gradation acquis/en cours de/non acquis existait déjà avant d'être formalisée par des points de couleur, c'est un élément de pédagogie de base...

La réalité est que tous ces détails ne sont pas du tout liés au système de notation mais bel et bien à des choix pédagogiques et aux moyens donnés aux enseignants et aux élèves.

Le fond du problème, ce n'est pas la note en soi, c'est d'en faire un critère de sélection (et donc de compétition), une finalité en soi (qui fait qu'on apprendra à avoir une bonne note plutôt qu'à faire le travail correctement), plutôt qu'un simple outil d'évaluation individuelle et d'aide à la progression, comme c'est le cas dans certaines pédagogies (cf Freinet, par exemple).

Tant qu'on ne remettra pas cette question sur le tapis, on pourra bien noter avec des chiffres, des couleurs, des boîtes de conserve ou des engins de chantier si ça vous amuse, fondamentalement on restera sur les mêmes problèmes.

6. Le samedi, 23 juin 2012, 17:21 par Merome

@Bob : Sur le fond, rien de bien différent en effet, mais sur la forme, pardon, c'était un bouleversement à la fois pour les profs, les élèves et les parents. Je suis d'accord avec toi pour dire qu'au final, ça reste une évaluation, avec ce que ça comporte comme sous entendu et comme biais possibles. L'entraide et l'individualisation ont été annoncée en début d'année, comme si c'était spécifiquement liée à la classe sans note. Mais il n'en fut rien, faute de temps côté prof pour mettre en place les bonnes procédures.

7. Le samedi, 23 juin 2012, 19:46 par viconte

L'adjectif qualificatif bout à 90 degrés, c'est bien connu !
Père indigne ;))

8. Le lundi, 16 juillet 2012, 22:47 par Nath

Nos grands sont en primaire et n'ont connu que ce système d'évaluation par "compétence" depuis le début de leur scolarité. Cela ne leur pose pas de problème mais effectivement, pour ce qui est du soutien personnalisé, c'est pas vraiment ça (par contre, je ne suis pas sûre que le système de notes traditionnel permette mieux de mettre l'accent sur les points à retravailler).
Je repasse toujours sur les évaluations car c'est souvent du "tout ou rien" avec ce système (en tout cas en primaire) : Tu as "acquis" si tu as bon à l'exercice qui est censé évaluer la compétence. Mais l'exercice en lui-même n'est pas toujours représentatif de ladite compétence.
Je te donne un exemple pour illustrer : Ma N°2 avait pour consigne de décomposer la somme 63euros en pièces et billets. Elle a dessiné une pièce de 2 euros, 1 pièce de 1 euro et... un billet de 60 euros...
Elle a eu "non acquis" à la compétence "savoir décomposer une valeur" (ou un truc comme ça). Là où je ne suis pas d'accord, c'est que cet exercice évaluait également la connaissance des enfants de notre système monétaire lui même non étudié en classe. N°2 avait compris la consigne, l'avait appliquée et si j'étais simplement passée sur la synthèse j'aurais pu croire qu'elle n'y comprenait rien.
On trouvera toujours des limites aux systèmes d'évaluation. Ce qui est surtout à mettre en question, c'est effectivement la non-disponibilité des enseignants ou des accompagnants scolaires à proposer un système de soutien personnalisé.

9. Le samedi, 24 août 2013, 23:03 par Graou

Je vais abonder dans le sens de bob : le système de points que tu décris, c'est juste le système de notes classique avec un changement cosmétique mineur.

Une éducation vraiment sans note, ça peut sembler complètement dingue, mais avec le temps ça me semble de plus en plus valide. Quand je regarde ma propre expérience d'enfant, je constate que j'aimais les notes parce qu'elles valorisaient mon savoir ; mais en général, ce savoir, j'en avais acquis une bonne part hors du cadre scolaire et sans motivation extérieure (comprendre sans carotte). La motivation intrinsèque, le désir d'apprendre des enfants est largement sous-estimé. Au lieu d'une école qui nous sert la même soupe à tous et donne des bonnes notes à ceux qui la connaissent déjà, j'aurais préféré, à la réflexion, une école qui s'adapte au rythme de chaque élève et me propose d'approfondir mes connaissances, sans me comparer au voisin avec des notes.
Une école comme celle décrite là : http://www.youtube.com/watch?v=_Hvk...
Attention, je n'ai pas essayé d'école Montessori, je ne sais pas si ça marche en réalité, mais le concept m'intéresse beacoup.

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