Chroniques présidentielles - Les salamalecs du sale mec

Que c'est beau, une campagne électorale.

Permettez-moi de revenir sur ce non-évènement, tellement il est symptomatique du profond dérèglement de ce que certains appellent encore démocratie.

Résumé des faits : François Hollande aurait prononcé, en off, les mots "sale mec" pour évoquer le chef de l’État, ce que le journal "Le Parisien" s'est empressé de rapporter, suivi par tous les médias de l'univers qui ont senti là un moment important de la politique française.

L'UMP, très à cheval sur la politesse depuis que Sarkozy a prononcé le célèbre "Casse-toi pov'con" à l'endroit d'un citoyen qui lui refusait une poignée de main, est montée au créneau et sur ses grands chevaux pour dénoncer l'ignominie du candidat socialiste, qui, non content de présenter un programme qui n'est pas finançable et ferait sans doute perdre le triple A de la France si on l'a encore à ce moment-là, insulte maintenant son concurrent direct qui n'est d'ailleurs pas candidat, qu'est-ce qui vous fait croire ça ?

Voilà donc où nous en sommes rendus, à ultra-commenter deux mots qui n'ont pas été prononcés publiquement, pendant que la force de frappe médiatique de l'UMP, Nadine Morano en tête de gondole, vomit sa haine dans tous les micros que les médias se pressent de leur tendre.

Y a-t-il une seule personne en France encore capable de croire que ceci s'approche de près ou de loin d'une démocratie ? Y a-t-il un seul électeur capable de croire encore que les choses peuvent s'améliorer avec un tel niveau politique ?

Pendant ce temps, pas un journaliste, pas un homme politique n'aborde les questions de société qui attendent pourtant des réponses urgentes.

Il est vraiment temps que l'on prenne les choses en main, non ?

Commentaires

1. Le jeudi, 5 janvier 2012, 15:35 par JeffRenault

Deux choses dans ton billet : notre système politique actuel est il démocratique, et les sujets de campagne sont-ils dignes d'une démocratie ?

A la première question, tu le sais, ma réponse est la même que la tienne. Nous ne vivons pas dans un système politique démocratique, et le système basé sur la représentativité et l'élection est plus une confiscation du pouvoir du Peuple que son exercice.

Je n'ai pas toujours pensé ainsi. J'ai longtemps cru que l'élection était le moyen le plus abouti de la démocratie. Je gobais la vérité vraie qu'on nous package sans exercer mon esprit critique.

Tu demandes : « Y a-t-il une seule personne en France encore capable de croire que ceci s'approche de près ou de loin d'une démocratie ? Y a-t-il un seul électeur capable de croire encore que les choses peuvent s'améliorer avec un tel niveau politique ? »

Hélas, oui. Pas plus tard que dans la semaine, j'ai eu deux débats sur Twitter avec deux personnes qui par hasard sont tous 2 militants EÉLV.

Le premier sujet concernait la Hongrie et la dérive autocratique du pouvoir opérée par M. Orban. On m'a opposé que ce qui se passait était le résultat d'une élection démocratique et que nous ne pouvions pas le contester. Bon, ben si quand même, j'ai contesté. En arguant que les hongrois n'avaient pas vôté pour ce qui se passait.

On m'a alors expliqué que la démocratie représentative était basé sur un mandat de confiance, et que le représentant disposait d'une carte blanche. J'ai réfuté cela comme étant démocratique, qu'on devait revenir vers le Peuple pour valider le changement du mandat initial. Non, non... trop coûteux, trop compliqué, et puis de toute façon il fera comme on lui dit !

Le deuxième sujet était lié un billet sur la reprise en main d'EÉLV par LV (et la mort d'EÉ selon l'auteur du billet) et qu'on avait préféré les arrangements d'appareil plutôt que la défense d'un projet de mutation écologique.

On a glissé doucement vers la nécessité qu'avoir des élus était incontournable puisque la démocratie marchait ainsi. Pas : « le système actuel le suppose » ; non : « l'élection et la représentativité, c'est la démocratie ».

J'ai réfuté cette idée, en arguant que le Peuple était bâillonné par cette prétendue représentativité, et qu'il fallait aller vers une démocratie participative, réelle, et l'introduction d'une dose de tirage au sort. Je me suis fait traité de dingue (in extenso) simplement parce que je soumettais une idée déviante de la pensée unique.

On est donc bien loin de s'en sortir, et les préjugés sont ancrés très profondément. Encore plus dur à discuter que le revenu de base. Ce dernier inspire au moins de l'empathie. L'élection et la représentativité suscite très vite le rejet souvent très radical (de l'interlocuteur).

Pour la deuxième question, je crains que la dignité soit aux sujets abordés ce que la nuit est au jour, mais je suis effaré par la capacité desdits sujets à attirer les feux des projecteurs, et donc à détourner l'attention des sujets essentiels.

Je pense qu'il ne faut surtout pas faire écho à ces pratiques, pas même pour les dénoncer, puisque c'est toujours et encore en parler et les amener au premier plan. Il faut marteler les sujets importants pour faire contrepoids, même déséquilibré...

2. Le jeudi, 5 janvier 2012, 19:41 par Merome

@JeffRenault : Une lueur d'espoir, car ton commentaire est un peu pessimiste : il y a ne serait-ce qu'un an, ni toi ni moi n'avions la conviction que le tirage au sort pouvait représenter une solution, et que l'élection portait en elle le problème. Cette conversion rapide, ainsi que la prise de conscience du problème financier, beaucoup d'entre nous peuvent l'avoir rapidement. Il faut juste pas lâcher le morceau et multiplier les allusions et les occasions d'en débattre.

Tes deux zigotos d'EELV, un jour, tomberont sur mon blog ou celui de Chouard et se diront "Tiens, oui, j'ai déjà entendu parlé de ça". Et le gentil virus se diffusera.

3. Le jeudi, 5 janvier 2012, 20:57 par JeffRenault

Oui, c'est vrai, et je le dis d'ailleurs dans mon commentaire, j'ai très longtemps perçus le système actuel comme la démocratie incarnée, alors tu as forcément raison, il y a sans doute du pessimisme dans mon commentaire.

Néanmoins, des deux anecdotes que je relate, l'une au moins a suscité un tel déni qu'il en est devenu rejet assez violent (dans sa TL, elle a évoqué la journée du troll et a cessé l'échange). C'est terrible de voir quelqu'un avoir recours à des réactions d'exclusion pour rester bien ancrer dans ses certitudes.

Je ne peux m'empêcher de dire que toi et moi avions au minimum de la curiosité, voire une réelle appétence pour des idées différentes, une sensation diffuse que le schéma ne collait pas tout à fait. Et pour ce qui me concerne, je ne me suis jamais enfermé dans des convictions. En réalité, je déteste les convictions. J'aime la (re)mise en cause de ce qui est établi, ou de ce qui semble l'être.

Alors, tu vois, et peut-être n'est-ce qu'une nouvelle manifestation du pessimisme qui m'assaille ce jour, mais une idée pour fermer puis progresser a besoin du terreau fertile de l'esprit critique et du libre-arbitre. Or, les partis politiques verrouillent les esprits et disposent des militants pour empêcher tout débat.

Alors, c'est pas gagné quand même, mais ne désespérons pas et soyons des colibris.

Saloperie de pensée unique !

4. Le jeudi, 5 janvier 2012, 22:22 par Stef

Pour relayer la pensée de Merome et ajouter une dose d'optimisme, j'aurais moi aussi, il n'y a pas si longtemps, défendu la thèse du "il fait ce qu'il veut puisqu'on l'a élu démocratiquement". J'aurais aussi pouffé de rire devant l'idée du tirage au sort. Je ne suis pas encore aussi convaincu que vous par les idées que vous (Merome et JeffRenault) défendez, mais je suis de plus en plus conscient que le systeme actuel est vicié. Et je commence a en parler autour de moi. Ca fait son chemin...

5. Le jeudi, 5 janvier 2012, 23:23 par Bob

Comme je l'ai déjà expliqué à Merome à pas mal de reprises depuis maintenant quelques années, pour moi le problème est surtout de trouver comment mettre en place une alternative puisque précisément le système électoral actuel ne permettra (fort logiquement) pas l'accession au pouvoir d'une personne qui remettrait le système en cause. Les règles du pouvoir rédigées par ceux qui détiennent le pouvoir, etc.

En gros, le système est verrouillé de l'intérieur, pour de bon, et depuis longtemps. Donc réfléchir à des alternatives, certainement, mais après : que peut-on bien en faire, concrètement ? Pour autant que je puisse dire aujourd'hui, nous ne disposons d'aucun moyen réaliste de mettre en place de telles alternatives à une échelle ne serait-ce même que municipale.

Donc : exercice intellectuel intéressant, certainement. En pratique ? Pas convaincu de l'utilité finale.

6. Le vendredi, 6 janvier 2012, 08:41 par Merome

@JeffRenault : Les partis politiques, comme les religions, les syndicats, ou toute forme de groupement, je crois, enferment les gens dans une sorte de pensée unique. C'est certain. Le mouvement des indignés et des anonymous a ceci de rafraichissant : il n'a pas de chef, pas de ligne directrice, pas de courant. La difficulté aujourd'hui, c'est que la plupart des gens "engagés" qui ont un peu envie de changer les choses, qui sont prêts à y passer du temps, ils sont affiliés aux partis qui leur sont les plus proches et il est difficile de les en déloger. Néanmoins, pour prendre encore une fois le contrepied optimiste de tes propos : avant 2005, j'étais bel et bien dans la même logique de bipartisme, avec des oeillères de partout. Et je crois que Chouard raconte son "réveil" politique de la même façon brutale. Je crois beaucoup en cette phase de prise de conscience, qui est plus facile à susciter pendant les crises (ce dont joue d'ailleurs les partis extrêmistes). La pédagogie de la catastrophe est vraiment efficace, et comme financièrement, politiquement et écologiquement, nous courons à la catastrophe, il y a paradoxalement de quoi être optimiste !

@Stef : ton commentaire fait plaisir à lire parce que tu es mon cœur de cible :) Déjà que je t'ai fait mettre des panneaux solaires :)

@Bob : On a déjà eu effectivement cette discussion cent fois. Ça ne va pas être facile, mais pour résumer : à l'échelon global, ça ne peut passer que par la rédaction d'une nouvelle Constitution par une assemblée tirée au sort. Ça s'est déjà vu, ou presque (1789 chez nous, et en ce moment en Islande), mais ça présuppose qu'une masse critique de gens ait moins à y perdre qu'à y gagner. Donc faudra qu'on soit vraiment dans la merde pour y arriver, ce qui ne saurait tarder :) En attendant, reste les multiples combats locaux que l'on peut mener sans l'assentiment d'une masse critique. En "hackant" le système, comme le font les anonymous ou d'autres à leur niveau confidentiel, mais réel. Les monnaies locales, les amap,... vont dans ce sens.

Dans tous les cas, et c'est vraiment là-dessus que j'insiste : si vous avez, ne serait-ce qu'un doute sur notre système actuel, si vous pensez, même sans avoir approfondi le truc, qu'un autre monde démocratique est possible, il faut évidemment ne pas cesser d'en parler autour de soi, et chercher à s'informer. Il faut semer des graines partout, et tout le temps. Et trouver pour chacun de nos interlocuteurs le bon angle d'attaque, non pas pour lui prêcher la bonne parole, mais pour l'inciter à chercher par lui-même les solutions et à faire les bon constats.

7. Le vendredi, 6 janvier 2012, 16:43 par JeffRenault

Je te rassure, je ne suis pas pessimiste. Je relatais simplement la difficulté à relever le challenge et la vanité que cela me semble être parfois (ce qui peut être vu comme du pessimisme, ok).

Mais je fais ma part, tel le colibri, et tu as bien raison, il nous faut semer le doute qui seul éveille et incite à la réflexion.

Pour nous inspirer, deux citations. La première, de Ghandi : « Tout ce que tu feras sera dérisoire, mais il est essentiel que tu le fasses »

La seconde, de Heidegger, a été porté à ma connaissance par notre ami @Paul_Itique (http://twitter.com/Paul_Itique) et prolonge ta remarque sur les crises qui peuvent représenter des opportunités : « Là où est le danger, là aussi croît ce qui sauve »

8. Le jeudi, 12 janvier 2012, 23:19 par Changaco

@Bob:
« Comme je l'ai déjà expliqué à Merome à pas mal de reprises depuis maintenant quelques années, pour moi le problème est surtout de trouver comment mettre en place une alternative puisque précisément le système électoral actuel ne permettra (fort logiquement) pas l'accession au pouvoir d'une personne qui remettrait le système en cause. »

Ce n'est pas le système électoral qui empêche l'avènement de la démocratie, c'est le fait que les démocrates sont minoritaires.

9. Le dimanche, 15 janvier 2012, 18:51 par Bob

De fait, le système électoral est bel et bien un élément important du problème et fait que nous ne sommes pas en démocratie au sens strict du terme. Cf d'ailleurs le nouvel article de Merome à ce sujet.

Dans les faits, d'ailleurs : d'une part la candidature à la présidentielle est soumise aux fameuses 500 signatures préalables des maires (cooptation, disais-je donc), et d'autre part une personne lambda qui ne serait pas passée par le formatage des partis politiques en place n'a virtuellement aucune chance d'être élue.

Grosso-modo, les partis en place verrouillent bien tout le truc. Au final notre système "électoral" n'est en fait qu'une mascarade qui permet aux gouvernants de donner le vernis de la légitimité à ce qui n'est en réalité ni plus ni moins que de la cooptation.

Plus bien sûr d'avoir envie de cautionner ça, moi.

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