Nouvelle

Elle surgit de nulle part, d'entre deux nappes de brouillard. Il s'apprêtait à emprunter le passage piétons pour rejoindre le bureau. Elle ne l'a pas vu, concentrée sur sa conduite.
Il la regarde passer devant lui, s'empare de l'image de son visage à travers les reflets du pare-brise. Trois secondes, peut-être quatre, suffisantes pour se construire tout une histoire.

Les cheveux mi-longs encore humides évoquent la douche chaude dont elle vient à peine de sortir. Il imagine sans peine sa peau fumante saisie par un frisson doux, exhalant le parfum d'un savon acidulé. Il voit son corps parfait à travers le prisme déformant de la porte de douche qui s'entrouvre, son pied droit qui foule le tapis de bain moelleux pendant que sa main gauche cherche son peignoir.
Maquillage léger, boucles d'oreilles discrètes, une tenue de travail sobre mais élégante, bracelet et collier assortis. Infirmière ? Avocate ? Professeur ? Quel que soit son métier, il la plaint déjà pour cette nouvelle journée de labeur où sa féminité, sans doute, sera mise à mal, où sa délicatesse, probablement, sera écorchée.

La détermination dans son regard l'a frappé. Les sourcils froncés par la fatigue du petit matin ou par des soucis personnels ? Il aimerait pouvoir lui envoyer des signaux d'apaisement, la détendre à distance en lui effleurant le cou de ses lèvres tièdes. Rien ne mérite de crisper les traits d'un si joli visage.
Est-elle inquiète ou malheureuse ? Harcelée par son patron, tiraillée par un dossier compliqué ou urgent ? Blasée par une solitude devenue trop pesante au fil des années ?
Est-elle ou non mariée ? Il essaie de se remémorer l'image de ses mains sur le volant, alliance ou pas ? Y avait-il un siège-bébé sur la banquette arrière ?
Soudain, une vision d'effroi : il imagine un mari qui la retient entre ses griffes, qui abuse de ses charmes sans retour, qui profite de sa compagnie sans amour. Il se voit prince charmant la délivrant de ses chaînes et la couvrant de baisers.
À moins qu'elle ne soit mère célibataire et supporte à elle seule l'éducation de son enfant, le dépôt chez la nounou, le rendez-vous chez le médecin, la pression de l'école.

Elle disparait comme un fantasme dans les volutes de brume. Il traverse enfin la route, perdu dans son voyage intérieur. Il entre dans son bureau son collègue est déjà là. Il lui raconte son rêve éveillé, les yeux brillants, les mots enfiévrés. Sans quitter son écran des yeux, son collègue lui demande enfin :

- C'était quoi comme bagnole ?

Commentaires

1. Le samedi, 8 octobre 2011, 19:51 par 100

Pfuuu trop terre à terre les collègues...

Et la couleur de la voiture?

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1. Le jeudi, 29 septembre 2011, 16:11 par yoha

yoha's status on Thursday, 29-Sep-11 14:11:27 UTC

«La fille dans la voiture» http://ur1.ca/58mt4...

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