La gestion malsaine des comptes publics

On a l'habitude de qualifier la tenue correcte d'un budget de "gestion en bon père de famille". Une remarque un brin sexiste qui laisse entendre que celui qui ramène l'argent à la maison a aussi suffisamment de jugeotte pour éviter de le jeter par les fenêtres et assurer la durabilité de l'équilibre financier de son foyer.

À en juger par l'état de la dette française, et des budgets parfois déséquilibrés des collectivités, on ne peut pas en dire autant des hommes et femmes politiques qui pourtant n'hésitent pas à nous faire la leçon sur la saine gestion de notre argent (à l'image de Christine Lagarde mouchant Eric Cantona la semaine dernière).

On a coutume de résumer ce problème en une phrase qui veut tout et rien dire : les fonctionnaires coûtent trop cher.
Permettez-moi de vous soumettre ma théorie sur la question, et je vous invite volontiers à la commenter car je suis loin d'être un spécialiste du domaine, même si j'espère être, au sens propre comme au figuré, un bon père de famille.

Un budget, quel qu'il soit, peut-être séparé en deux parties distinctes : le fonctionnement et l'investissement. Par exemple, quand vous achetez une voiture, c'est un investissement. L'essence que vous mettez dedans, c'est du fonctionnement. Il ne faut pas forcément être très riche pour acheter une voiture qui en jette. Il faut en revanche avoir les moyens pour l'entretenir. Mais l'important, n'est-ce pas d'avoir une belle voiture ?

Le raisonnement des hommes politiques est souvent basé sur ce type et ce niveau de réflexion. Car derrière chaque fonctionnaire, il y a un ou plusieurs élus qui tranchent les choix budgétaires, et souvent même plus que cela : ils décident de la politique à conduire et des investissements à faire. En règle général, le fonctionnaire n'a pas dans son portefeuille une partie de l'argent public qu'il dépense comme bon lui semble. Stigmatiser le fonctionnaire, c'est en quelque sorte faire porter la responsabilité de la déroute de votre budget familial à vos enfants.

Nous avons donc des élus, qui ont été méticuleusement sélectionnés par le suffrage universel pour gérer les finances publiques, notre argent, comme il se doit. On peut s'attendre à ce qu'ils s'acquittent de leur tâche avec tout le sérieux et les compétences nécessaires. En fait, non. Le principal soucis de l'élu, dès qu'il atteint un certain niveau, c'est d'être réélu. Or, pour être réélu et avoir une certaine crédibilité, l'élu doit faire des choses qui se voient. Souvent, ce sont des bâtiments. Un stade, une piscine, un musée, une bibliothèque, ... quelque chose qui reste, et dont on puisse dire "c'est Machin qui l'a fait". Au niveau national, ça va être de grands projets structurants, l'autoroute A??, la ligne à grande vitesse ou le douzième aéroport de Paris. L'utilité du bâtiment ou le service qu'il rend n'a finalement qu'une importance secondaire. Ce n'est qu'un prétexte en guise de bilan du mandat électoral.

Tant que la croissance était au rendez-vous, tout cela passait relativement inaperçu. Quand la crise fut venue, on se rendit compte que cela n'allait finalement pas être si simple.
Tous ces jolis bâtiments, ces beaux stades, ces équipements sportifs et culturels... Il faut les chauffer. Il faut les éclairer. Il faut du personnel pour les entretenir. Bien sûr, comme le but était qu'ils soient beaux, ils ont été construits en dépit du bon sens, avec une isolation sommaire, des matériaux qui vieillissent mal, des grandes surfaces difficiles à éclairer, à entretenir et à chauffer. Bref, il faut dépenser une fortune chaque année pour les entretenir. Croyez bien que les fonctionnaires qui voient s'engloutir le fuel dans les chaudières, le compteur électrique tourner à plein régime, les locaux se dégrader ... le déplorent tout autant que nous.

Ces dépenses de fonctionnement grèvent d'autant plus le budget disponible pour l'investissement, mais cela n'empêche pas les politiciens d'aujourd'hui, de continuer à prôner l'investissement massif, et à faire des coupes sombres dans le fonctionnement. Un peu comme si vous préfériez équiper chacune des pièces de votre maison d'une télé à écran plat, plutôt que de continuer à manger ou chauffer votre habitation correctement.

Cette dérive, on peut l'observer chez les politiciens de gauche comme de droite. Le politicien de droite ayant le défaut supplémentaire de vouloir réduire les impôts, notamment des plus riches, par pur électoralisme clientélisme toujours, ce qui réduit encore la part du budget consacré au fonctionnement.
Remarquez que l'impôt n'est pas la solution ultime, dans certaines collectivités, une augmentation annuelle des impôts de 10% ne suffirait pas à financer les dépenses de fonctionnement au bout de cinq ans.

La situation de la France aujourd'hui est celle-là : au bord d'une crise écologique et économique majeur, nous avons une quantité astronomique de grands projets d'investissements du passé à faire fonctionner, avec un budget en constante diminution. Je vous laisse imaginer ce que ça va donner quand, inéluctablement, le prix des énergies fossiles va être multiplié par deux ou trois et que le chauffage et l'éclairage des passoires qui servent de faire-valoir à nos élus deviendra prohibitif.

Après la Grèce et l'Irlande, la France va être en faillite. Ce ne sera pas de la faute des fonctionnaires, mais bien celle des innombrables dirigeants irresponsables qui se sont succédés aux commandes de nos finances publiques.

Commentaires

1. Le dimanche, 12 décembre 2010, 22:53 par kelux

« Un budget, quel qu'il soit, peut-être séparé en deux parties distinctes : » les dépenses et les recettes, non ?

En fait en commençant à lire l'article je pensais que ça allait parler des baisses d'impôts successives qui grèvent le budget et qui nous mettent dans le rouge. Bien que ce que vous dîtes est vrai, s'agit-il là d'une grande partie du budget qui est écoulée en fuel ou électricité inutile à cause d'une mauvaise qualité à la construction ?

Je ne peux que vous recommander la lecture de cet article http://www.mediapart.fr/journal/fra...
« À titre d'illustration, en l'absence de baisses de prélèvements, la dette publique serait environ 20 points de PIB plus faible aujourd'hui qu'elle ne l'est en réalité générant ainsi une économie annuelle de charges d'intérêt de 0,5 point de PIB ».
0,5 point de PIB économisé uniquement sur les intérêts ça représente quand même 10 milliards d'euros par an...

Ou encore :
« Mais l'intérêt de ce rapport écrit (avec un indéniable courage pour un membre de la majorité UMP) par Gilles Carrez, c'est qu'il s'applique aussi à évaluer qui ont été les principaux bénéficiaires de ces 77,7 milliards d'euros de baisses d'impôts depuis dix ans. Et là encore, la réponse est très éclairante. S'appuyant sur le graphique ci-contre, le rapport écrit: «La moitié des allègements fiscaux décidés entre 2000 et 2009 ont concerné l'impôt sur le revenu. Le manque à gagner en 2009 sur le produit de cet impôt s'établit en effet à environ 2% de PIB, contre 0,6% de PIB pour la TVA et 0,5% de PIB pour l'Impôt sur les sociétés (IS).» »

Un autre élément : les intérêts de la dette. Jusque dans les années 80 environ, l'inflation était relativement forte (et la hausse des salaires également) ce qui permettait de diminuer automatiquement la charge de la dette. Depuis, au nom de la sacro sainte compétitivité, il a fallu réduire les salaires et donc l'inflation (sinon ça aurait rendu quelques gens mécontents...). La charge de la dette s'est rapidement élevée comme le montre un billet récent de A.-J. Holbecq sur le blog de Jean Gadrey. Son observation : s'il n'y avait pas eu les intérêts à financer, il n'y aurait pas de souci.
http://alternatives-economiques.fr/...

Ce sont des éléments qui me paraissent plus important dans le cadre de la gestion du budget que l'isolation des bâtiments publics. Je ne dis pas pour autant qu'elle est sans importance, puisque évidemment il faut réduire notre consommation mais dans le cadre du budget je ne pense pas que ce soit un facteur fondamental.

2. Le lundi, 13 décembre 2010, 08:35 par Merome

@kelux : Effectivement, c'est loin d'être le seul problème de gestion de nos collectivités. Le point commun avec le vôtre, c'est qu'il résulte des mauvais choix qui sont faits par des élus de droite ou de gauche.

3. Le lundi, 13 décembre 2010, 20:25 par Etheriel
HS
Tu t'es mis à Facebook ? Y'a le petit icone "J'aime" maintenant :)

/HS

4. Le mardi, 14 décembre 2010, 08:08 par Merome

etheriel : non, je n'ai toujours pas de compte facebook. Cela ne m'empêche pas de permettre à ceux qui en ont un de faire ma promo sur facebook :)

5. Le mardi, 14 décembre 2010, 10:39 par agase

@merome

Je suis tout à fait d'accord avec toi sur le fait que d'investir beaucoup dans la pierre entraine forcément des frais de fonctionnement qui explosent. Mais je fais une tout autre analyse que toi des causes.
Je trouve en effet que tu sous estime fortement le rôle des fonctionnaires dans les choix qui sont faits pas les élus. Ce ne sont pas de simples victimes.
Je pense qu'il est déjà nécessaire de faire un distinguo entre l'Etat et les collectivités.
En effet, l'Etat a un budget qui n'est pas obligatoirement équilibré d'un point de vue comptable. En effet, dans des temps pas si anciens, l'Etat, pouvais faire marcher la planche à billets pour combler son déficit. La conséquence était que sa monnaie s'en trouvait dévaluée par rapport aux autres. Ce n'est tellement possible avec la monnaie unique.
En revanche, les autres collectivités, elles, n'ont pas ce "pouvoir" et donc doivent présenter un budget équilibré. Pour ce faire, elles ont trois choix principaux pour combler un déficit :
- faire des économies
- augmenter les impôts
- faire un emprunt
En fonction des affinités politiques et de la taille des collectivités, ces pourcentages entre ces trois choix varient mais ils sont toujours utilisés.

Maintenant revenons en aux fonctionnaires ! tu les présentes un peu dans ton article comme des victimes du système. Je pense qu'ils ont également leur part de responsabilité et je dirais même plus, ce sont les principaux responsables.
Encore une fois, je ne vais pas parler du cantonier ou de la secrétaire qui ne fait que ce qu'on lui dit de faire, mais plustôt des "petits" chefs de la fonction publique et dieux sait si il y en a !
Je vais d'ailleurs commencer par un domaine que tu connais bien : l'informatique. Prenons le cas d'une collectivité moyenne d'environ 500 agents ayant plutôt un travail de bureau et donc la nécessité d'avoir un système d'information performant sans plus. Qui à ton avis va proposer, vendre et mettre en place ce SI ? le fonctionnaire ? l'élu ?
Je n'ai aucun doute la dessus : c'est clairement pour moi le fonctionnaire. C'est lui qui va selon ses connaissances, définir la technique, le coût (d'investissement), parfois, omettre le coût de fonctionnement inhérent (de façon volontaire ou non). Il devra ensuite convaincre les élus qui eux vont décider en fonction d'une multitude de paramètres. Donc si le fonctionnaire sait se vendre, il aura souvent une bonne partie de ce qu'il demande, l'élu n'étant là que pour garantir la cohérence de l'ensemble de la collectivité.
J'irai même plus loin, l'élu n'est pas responsable du nombre de véhicules de services, de l'isolation d'un bâtiment,... c'est bien les fonctionnaires qui proposent les projets et qui les vendent.

Je pense aussi, mais je peux me tromper, que ce gaspillage est d'autant plus décuplé lorsque l'on a beaucoup de petits chefs.

Je te concède toutefois, qu'il existe des projets (cathédrales) que chaque élu souhaite mettre en place et impose aux fonctionnaires. Mais il revient toujours et encore au fonctionnaire de trouver la meilleure solution pour y arriver. Mais cela ne représente que très peu dans le budget général d'une collectivité. La marge de manœuvre de l'élu pour imposer sa politique est faible. Je l'estime de l'ordre de 10% seulement.

Voilà mon analyse personnelle. Les fonctionnaires ne sont pour moi pas vraiment que des victimes.

6. Le mardi, 14 décembre 2010, 11:35 par Merome

@Agase : Effectivement, il faut encore distinguer l'homme à tout faire du service bâtiment, du DGS qui s'octroie la grosse voiture de service et le bureau en noyer. Mais malgré ça, au final, c'est toujours l'élu qui tranche et vote le budget. C'est à l'élu de vérifier, car c'est son job et il est rétribué pour ça, que l'argent public est dépensé correctement. Problème : l'élu local qui le plus souvent à un travail à côté n'est pas disponible aux heures de bureau. %%%
Enfin, l'objectif de l'article n'était pas de défendre le fonctionnaire à tout crin, mais de rappeler que derrière chaque fonctionnaire, il y a un élu de droite ou de gauche qui supervise les comptes et parfois qui dilapide l'argent public, tout en s'offusquant publiquement de la dérive des dépenses publiques. On a pu voir des élus de droite mettre en place les 36h/semaine bien avant que les socialistes n'ait eu l'idée de passer à 35.

7. Le mardi, 14 décembre 2010, 13:35 par agase

@merome

Voilà, dans ton commentaire, les choses sont remises en place. C'est l'élu qui décide et qui prend la responsabilité.
Au delà du fait qu'il fait plusieurs choses : emploi privée, gestion de plusieurs collectivités,... il n'est pas forcément expert dans tous les domaines, et je persiste à dire que si le fonctionnaire (ou le conseiller) est un bon vendeur, il fera avaler toutes les couleuvres du monde à l'élu.
Si on veut changer un peu les choses, je pense qu'on pourrait peut être prendre exemple sur le fonctionnement de nos voisins européens : Allemagne ou Suisse où les élus doivent quitter leur travail pour exercer des fonctions de maire (Allemagne) ou de ministre (Suisse). Je pense en effet qu'être maire d'une commune, c'est presque déjà un métier en soit.

Mais ce n'est que mon avis.

8. Le mardi, 14 décembre 2010, 13:48 par Merome

Tiens, voilà un article fort à propos.

9. Le mardi, 14 décembre 2010, 15:29 par agase

Qu'en retenir ?
Il faut réduire les subventions aux partis politiques.
Car une fois qu'elle est donnée, quel peut être le contrôle de l'état ? et quelle est la législation en vigueur ?

10. Le mercredi, 22 décembre 2010, 10:30 par Tassin

Sur ce sujet Mérome, je te conseille (et aux autres!) le dernier numéro de Fakir, un journal avec des vrais morceaux d'enquête dedans!

http://www.fakirpresse.info/sommair...

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