Une fracture.

Vous vous souvenez de Jacques Chirac ? Mais si : un grand chauve, avec une vilaine en tailleur à côté et un sac à main. C'était un président, je crois. Un jour, il avait dit "Il y a dans ce pays... Une fracture", et il parlait de la fracture sociale. Sur le fond, d'ailleurs c'était pas faux. C'était juste drôle que ce soit lui qui le dise.
M'enfin, c'est pas vraiment le sujet de cet article. Je me vois contraint d'utiliser la même formule pour noter l'apparition d'une autre fracture : celle de l'accès à l'information.

Ces derniers mois, elle m'est apparue comme une évidence, comme un nez au milieu d'une figure : il y a ce qui se passe en réalité, d'un côté, et il y a la manière dont les médias diffusent l'information, de l'autre. Mais surtout, il y a ceux qui ont accès à la véritable information, ceux qui la recherchent, la consolident, la recoupent, la réfléchissent ; et puis il y a les autres, qui la reçoivent passivement, prémâchée, entre deux spots de pub et une gorgée de Coca Cola.

Les gesticulations du gouvernement après l'affaire Woerth s'appuient sur cette certitude que la plupart des français ne verront rien à la diversion. Parce que la plupart des médias vont s'engouffrer dans le piège qui leur est tendu, et gonfler la baudruche de l'insécurité, se gargariser des petites phrases assassines et insensées des lieutenants de l'UMP, du FN qui se réveille en se frottant les mains...
Les ministres redorent leur blason en posant avec les athlètes français pour faire oublier les footeux et afficher un vieux patriotisme dégoulinant.
Et pour boucler la boucle, on publie un sondage qui certifie que les français sont tous en parfait accord avec ce qui se passe.

Par exemple, l'autre jour, comme pour justifier la proposition de déchoir certains délinquants de la nationalité française, Frédéric Lefebvre tenait ces propos sur Europe 1 : Quand on prend, par exemple, les mises en cause pour les vols à la tire, c'est 50 % d'étrangers. Je ne parle pas de gens issus de l'immigration, je parle d'étrangers. Est-ce à dire que ces étrangers doivent être déchus de la nationalité française qu'ils n'ont pas ?
Et quelques jours plus tard, le Figaro publiait un sondage fort à propos qui, grâce à des questions savamment orientées ("Êtes vous pour ou contre la fin des camps illégaux de Rom") et un mode de consultation sujet à controverse (sondage en ligne), justifiait les propositions du gouvernement, et l'UMP s'en vantait sans honte !

Regardez les JT, les journaux, écoutez les radios, c'est savamment orchestré. Chaque rédaction donnant du crédit à sa concurrente en parlant des mêmes choses avec le même ton sérieux et les mêmes analyses confondantes de conformisme. On finit par y croire. On finit par considérer les sons discordants provenant des derniers médias libres pour des hérésies. Remettre en cause la communication officielle revient à se ranger parmi les conspirationnistes déments et paranoïaques.

Sur twitter, des centaines de messages défilent et, malgré la limite drastique des 140 caractères, les analyses sont bien plus poussées et réalistes que dans la plus prestigieuse des rédactions.
Seulement voilà, qui s'informe sur twitter ? Quand j'éteins mon PC, j'ai autour de moi une majorité de gens qui n'a pas eu accès aux mêmes informations que moi. Le fossé est énorme et la discussion impossible. Le quatrième pouvoir est passé premier et les hommes politiques l'ont bien compris. Avant de faire quelque chose, il faut d'abord et avant tout que cela se sache. Il faut paraître. Il faut une posture et une caméra. En dehors de ça, rien n'existe.

Je repense souvent à ce roman de Fred Vargas, Pars vite et reviens tard, où un crieur public annonce les nouvelles dans la rue. Je me demande si les blogueurs et tweeters boulimiques d'informations, qui emmagasinent et restituent à longueur de journée des analyses un peu originales et plus crédibles que les experts des journaux officiels, je me demande donc s'ils ne devraient pas éteindre une heure par jour leur PC pour faire la même chose dans la rue, dans les bibliothèques ou sur les marchés.
Une sorte de journal non-télévisé, en direct, avec des vrais gens qui peuvent intervenir et donner leur point de vue sur l'actualité.

Aucune révolution, ni même aucune évolution positive ne sera possible tant que tout le monde ne sera pas au même niveau d'information. Il reste une majorité de gens qui n'ont même pas conscience de se faire abuser chaque jour par ceux qui tiennent le micro. Et dans la bulle internet, dans la microsphère des blogueurs z'influents, personne ne semble s'en rendre compte.

Commentaires

1. Le dimanche, 8 août 2010, 22:53 par Etheriel

Reste à savoir si cet article n'est pas lui-même destiné à abuser ses lecteurs. Après tout, que connais-tu du sujet dont tu parles en début d'article ? réellement ? Pourquoi tes analyses, et celles de tes "camarades de Twitter" seraient à prendre "pour argent comptant" ?

2. Le lundi, 9 août 2010, 08:54 par Merome

@etheriel : Je ne dis rien de tel. Ce que je dis c'est que toutes les grosses rédactions se paluchent sur les communiqués officiels et les analyses d'une poignée de politologues. Toutes sont liées à des grands groupes industriels et commerciaux, et il y a conflit d'intérêt évident. Maintenant, mes "copains de twitter", ils ne font que relayer des infos, ou faire des micro-analyses qui sont tout à fait censées. Ils se gargarisent pas avec des gros mots plein de suffisance. Ils citent leur source. Ils ne parlent pas au conditionnel. Parfois, ils sont spécialistes du domaine dont il parle (genre Eolas pour le droit ou Nitot pour internet).%%%
Cela ne veut pas dire qu'ils ont raison, mais que leur analyse mérite d'être entendue, et confrontée à celle qu'on entent partout ailleurs. C'est pour ça que je les invite à diffuser leurs propos hors du net.

3. Le lundi, 9 août 2010, 23:49 par Stef

On en a deja parlé, je rejoins ton opinion a 100%, les "journaux télévisés" ne sont que d'infâmes magasines insipides et leurs chefs de rédaction de vrais moutons !!
Je vois comment est déformée ou présentée l'information sur les sujets que je connais (plus ou moins, dans l'ordre) : santé, sports, informatique par exemple et je suis catastrophé. J'imagine donc que c'est la même chose pour les autres sujets.

Et même en étant conscient de ce fait, j'avoue que je ne prend pas toujours le temps de chercher les infos, de me renseigner pour avoir une vue plus complète sur un sujet. Je le fais quand j'ai le temps, le courage et un de l'intéret pour le sujet, autant dire que ça se limite assez vite.

4. Le mardi, 10 août 2010, 17:08 par Merome

Heureusement, TF1 est sur la brèche.

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