Le manichéisme ambiant me pose problème.

Contrairement à ce que certains de mes articles peuvent peut-être laisser penser, je suis un modéré. Considérant, selon la formule consacrée, que l'excès en tout est un défaut, je veille à ne pas avoir d'opinion trop tranchée, sauf si c'est pour troller et appeler du pied une réaction, mais ça devient rare, je me fais vieux.

Il se trouve que je côtoie, sans doute comme tout le monde, des gens de différentes classes sociales, de différentes opinions, et avec qui j'échange des propos socio-politiques, In the Real Life ou sur internet, selon mon interlocuteur. Et ça me fatigue un peu, à la longue, de voir deux clans irréconciliables, là ou la réalité est bien plus diverse et toute en nuance. Entre ceux qui défilent contre la réforme des retraites et ceux qui l'applaudissent, entre ceux qui vomissent les fonctionnaires et ceux qui en sont eux-mêmes et donc les défendent, entre les gauchistes à la tête dure et les conservateurs à la couille molle, j'ai un peu de mal à faire le médiateur.

D'autant que, comme je le disais dans le paragraphe précédent, dans les faits, tout n'est pas si blanc ou noir. L'espérance de vie augmente, certes, mais cela ne justifie pas forcément une telle réforme des retraites. Les fonctionnaires sont privilégiés et je suis le premier à le reconnaître (en plus d'en bénéficier), mais ils ne méritent pas qu'on les accuse de crimes que leurs élus de tutelles ont commis à leur place. Etc etc... Le cul entre deux chaises, je ne peux décidément m'associer à aucun des deux clans dont on voudrait faire croire qu'ils sont les seules alternatives possibles.

Dans le schéma politique actuel, en France - je ne sais pas ce qu'il en est dans les autres pays -, si l'on est pas pour, c'est qu'on est forcément contre. Mais je suis ni pour ni contre, bien au contraire (c). Je veux pouvoir définir plus finement mon opinion. Je veux être force de proposition et qu'on m'écoute. Je veux un espace où je puisse élaborer un projet de société à niveau égal avec l'énarque et le rmiste. Un projet apolitique où le bon sens serait le guide, où l'on pourrait marier la bonne gestion des finances publiques, avec la recherche du meilleur pour tous, et la sauvegarde de l'environnement.

Cet espace, aujourd'hui, n'existe pas. Le monde politique se sclérose dans un statu-quo moisi. Personne n'écoute personne, et rien n'avance. La presse relaie les dépêches fournies par les partis qui ont le pouvoir de les fournir. Les diversions succèdent aux fausses nouvelles. On ne sait même plus si l'affaire Woerth est un scandale de plus ou un contre-feu pour faire oublier les retraites. Les nouvelles fusent dans tous les sens, et aident à bien catégoriser les pour et les contre, pour compter les points comme dans un match de foot. On ne réussit pas un projet de société en comptant des points. C'est au contraire en réfléchissant ensemble et en composant avec les idées de chacun qu'on arrivera à quelque chose.
Internet me semblait un formidable outil pour parvenir à cet idéal, mais je le sens au contraire glisser peu à peu vers une énorme machine à diviser. Il faut trouver un second souffle, une troisième voie, un nouvel élan pour le web, et je n'en vois pour l'instant par l'ombre.

Le risque, c'est de voir arriver un leader charismatique qui saura fédérer une majorité de "contre" derrière lui. Dans notre modèle actuel, ce leader serait forcément à gauche ou à droite et dans les deux cas, son action sera néfaste pour nous. Parce que, je crois, nous ne sommes ni à gauche, ni à droite. Nous sommes tous différents et c'est en tirant parti de ses différences que l'on fera de grandes choses.

Commentaires

1. Le mercredi, 30 juin 2010, 07:00 par agase

Je me reconnais tout à fait dans cette présentation !
Nous sommes effectivement tous différents et c'est peut être ce qui peut faire notre force, encore faut-il avoir pour première règle de respecter l'autre. Et ce n'est pas le chemin que nous prenons.

2. Le mercredi, 30 juin 2010, 12:38 par Fil

Entre le noir et le blanc, je crois qu'il n'y a que l'Utopie que tu écris là.

Le respect d'autrui et l'acceptation des différences implique une profonde remise en cause des systèmes de perception d'autrui de la part de 7 milliards de gugus, une remis en cause beaucoup trop grande pour être envisageable, même pour quelqu'un qui le souhaiterait comme toi par exemple.
Déjà dans des micro-sociétés comme la famille, il arrive qu'il y ait des problèmes relationnels dus aux différences de perception mais quand la "famille" est composée de 65Millions de personnes, et quand on réunit les cousins, ça nous monte à 7milliards, c'est utopique.

Parce que l'Humain sait mentir, sait cacher, est 24/24 partagé entre ce qu'il sait qui serait bien pour tous et ce qu'il sait qui pourrait être encore mieux pour lui.

A part habiter sur une île désert en autonomie et autarcie complète, je suis certain que ce dont tu rêves est impossible. Et tu le sais aussi très bien de toute façon ;-)

3. Le mercredi, 30 juin 2010, 14:08 par Merome

@Fil : Il y a néanmoins une réalité : nous DEVONS vivre ensemble. Que ça nous plaise ou non, les 7 milliards de cousins existent, et on a autant de raisons de craindre qu'ils nous pourrissent la vie par leur choix, que de se satisfaire de pourrir la leur. Alors il doit bien exister une façon intelligente de gérer cette fatalité. On n'est d'ailleurs pas si loin d'un équilibre acceptable, on ne passe pas notre temps à nous foutre sur la gueule, et des semblants de partage et de solidarité existent un peu partout. J'ai plus l'impression que c'est une question de mentalité de ceux qui sont un peu plus haut que nous. À notre niveau, je vois assez peu de freins à mieux partager les choses et à les faire de façon sensée. C'est au niveau plus haut que ça pêche. Un niveau assez verrouillé car pour y accéder, il faut avoir cette mentalité pourrie. Comme il faut être prétentieux et mal élevé pour être dans l'équipe de France, par exemple. Pas parce que c'est une qualité nécessaire pour le jeu, mais parce que c'est un pré-requis pour arriver à ce niveau, en dehors du terrain, sous les douches.

4. Le mercredi, 30 juin 2010, 14:15 par Bob

"Internet, un formidable outil"... Tu vois c'est exactement ça que je veux dire quand on en parle : tu t'es laissé persuader (comme plein d'autres gogos) qu'Internet était une super innovation technique qui allait donner aux gens des moyens de changer le monde malgré les politiques.

La réalité est qu'Internet n'est ni plus ni moins qu'un système de téléphonie amélioré et accéléré. Ça permet de communiquer plus vite, ce qui ne veut pas dire qu'on communique mieux. J'aurais même tendance à dire que l'accélération des échanges a tendance à accentuer beaucoup de problèmes de communication qui existaient avec les media précédents.

C'est vrai que ça permet à une poignée d'éditorialistes amateurs de s'offrir un public qui dépasse le comptoir du café du coin. Pendant ce temps-là les vendeurs de temps de cerveau ont trouvé un mass-media encore plus efficace que le précédent. Devine dans quel sens ça fait pencher la balance ?

Et comme tu l'as (enfin) remarqué Internet n'est en tout cas pas un outil fédérateur de différences : le fonds de commerce d'Internet est, précisément, de créer des "communautés". C'est la même chose qu'avant, il n'y a que l'échelle qui a changé - et ça ne fait qu'accentuer les écarts.

5. Le mercredi, 30 juin 2010, 14:23 par Agaagla

sauf que ce que tu définis comme apolitique, c'est précisément ça, le politique.

6. Le mercredi, 30 juin 2010, 16:17 par Fil

Nous vivons déjà ensemble et par la grâce de conflits déjà meutriers par le passé, il a été inventé la diplomatie. L'art d'être hypocrite pour éviter de se foutre sur la gueule. J'estime que la situation actuelle n'est qu'une apogée n'existant que par la proximité de 60 petites années du dernier grand conflit mondial. Il y en aura d'autres quand le devoir de mémoire se sera tu et que les intérêts des uns et des autres prendront le pas sur la raison.

Par contre, ton parallèle avec l'EDF tient assez moyennement je pense. Des mecs honnêtes et intègres comme Lloris, Toulalan ou d'autres se sont retrouvés embarqué là alors qu'ils n'ont sans doute rien à voir avec les caractères ingérables de certains "Anglais".

7. Le jeudi, 1 juillet 2010, 06:45 par agase

@Bob : je trouve ton analyse sur internet très pertinente et je pense que merome commence à percevoir aussi le fait que ce n'est pas forcément l'outil ultime
@Fil : la différence entre les guerres du moyen age et les guerres du XXème siècle, c'est justement la communication. Qui est là pour nous raconter les guerres les guerres de Clovis, Charlemagne Alexandre le grand ? Les "exploits" de ces dirigeants étaient contés avec toutes les dérives que cela comportaient. Maintenant, la réalité de la guerre est présentée crue, nue sans autre forme de procès (même si on peut aussi détourner les images). Donc je pense qu'il faudra du temps ou inventer une autre forme de guerre pour que cela ne se voit pas, ne choque pas les 7 milliards d'individus que nous sommes. Et en plus es-tu près pour aller te battre pour la France ? Regarde l'EDF, et ce n'est que du sport, ils ne sont pas capables de le faire.
Et pour revenir sur ton dernier commentaire. Je suis d'accord avec merome, pour arriver au niveau ou ils sont, il a fallut écraser du monde. Côtoyant régulièrement des jeunes footballeurs, je peux te dire que s'ils n'ont pas un caractère fort et qu'ils ne s'impose pas, ils ne grimpent pas. C'est comme ça. Soit tu écrase, soit on t'écrase. Choisis ton camp. Et c'est valable dans tous les domaines.

8. Le jeudi, 1 juillet 2010, 14:07 par Merome

J'ai déjà eu des discussions sans fin avec Bob sur le web comme outil révolutionnaire ou pas. Ma position est la suivante : ce n'est pas le web qui va changer le monde, ce sont les gens, et le web pourrait les aider. Bref : un outil. Un tournevis ne sait pas, seul, dévisser une vis qui coince. Un homme, sans outil, a bien du mal aussi. Pourtant, les deux ensembles...

9. Le jeudi, 1 juillet 2010, 21:34 par Marti

Tu as sans doute un peu raison mais peut-être un peu tort aussi. Je m'explique.

Il est clair qu'aujourd'hui, la politique est devenue un conflit. Conflit, comme tu le dis, entre les partis de gauche et de droite. La vérité n'est sans doute pas d'un côté ou de l'autre. La logique de parti est une horreur. On en arrive à un point où l'individu ne compte même plus, il faut qu'il se soumette à une idéologie commune.
L'avenir n'est sans doute pas là. Il est dans chacun d'entre nous. Plus d'affrontements directs, tout le monde contribue à donner son avis pour améliorer la gestion de la cité (La politique au sens strict). C'est le genre de mouvement que développe Pierre Rabhi par exemple.

Maintenant, je ne te suis pas sur l'opposition gauche/droite. Certes, l'utopie est la création d'un monde satisfaisant "les énarques et les rmistes". Mais quand on voit la droite actuelle, peut-on dire qu'on est pas d'accord ? Se dire apolitique n'a aucun sens pour moi. Il n'y a pas de honte à avoir une sensibilité de gauche (comme avoir une sensibilité de droite ceci dit). Le problème ce sont les partis, ce n'est pas les côtés.
Et enfin, l'autre gros problème, c'est la société ultra-individuelle qui nous régit. Chacun ne pense avant tout qu'a ses intérêts et ne réfléchit même pas à un monde viable. Le problème n'est pas que le PS veuille satisfaire les rmistes et l'UMP les énarques. Le problème c'est que le PS ne veut rien savoir sur les énarques et l'UMP sur les rmistes (pour caricaturer).

J'espère que mon message est compréhensible =S.

(J'adhère totalement à l'analyse d'internet de Bob)

10. Le jeudi, 1 juillet 2010, 22:03 par Marti

C'est marrant je viens de relire mon commentaire et j'ai de plus en plus de mal à ne pas voir l'opposition droite/gauche.

Parce qu'à la limite un monde où cohabitent des rmistes et des énarques, c'est sûrement possible. Mais alors un monde où vivrait ensemble des banquiers et des prolos, j'arrive pas à l'envisager...
Qu'en pensez-vous ?

11. Le jeudi, 1 juillet 2010, 22:09 par Merome

Le clivage gauche/droite existe parce qu'il y a des inégalités. Mais il est ultra réducteur et source de beaucoup de trop d'incompréhensions de part et d'autre. C'est pour ça que je le combats, tout en me situant plutôt à gauche moi-même.

12. Le dimanche, 4 juillet 2010, 21:57 par Marti

Mais tu crois vraiment que dans un monde égalitaire, le clivage gauche/droite n'existerait pas ?

Comment veux-tu réussir à faire cohabiter deux visions du monde totalement contraire ? (Ne serait-ce que sur la croissance par exemple).

D'autre part, les ultras-riches chercheront toujours à garder leurs privilèges. Donc pour moi, ce clivage existera toujours.

13. Le lundi, 5 juillet 2010, 09:47 par Merome

@Marti : Attention, je ne dis pas que dans un monde égalitaire, il n'y aurait pas de clivage, je dis que le clivage ne serait pas celui-là. Et précisément, le nouveau clivage, je le verrais plus sur "croissance/décroissance" que sur "droite / gauche".

14. Le vendredi, 9 juillet 2010, 12:18 par Marti

Je crois qu'il faudrait un monde débarrassé de toute injustice et de toutes inégalités. A partir de là, la lutte des classes n'aurait pu besoin d'exister et chaque citoyen pourrait donner son avis sur des sujets aussi variés que l'école, la culture, ...

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