Les craintes de nos parents se sont vérifiées, mais peut-être pas dans le sens qu'ils imaginaient.

Dans les années 80, quand j'étais gosse, la population active et notamment ouvrière s'inquiétait de la place grandissante donnée aux machines dans le processus de production.

Les tâches facilement automatisables ont rapidement été confiées à des robots, dès que ceux-ci sont devenus fiables et moins coûteux que les humains effectuant le même travail. De mes yeux d'enfants, je ne voyais pas trop le problème : d'une part les robots pouvaient s'acquitter de tâches pénibles et peu valorisantes, laissant les plus valorisantes et difficilement mécanisables aux hommes ; d'autre part, si effectivement le robot prenait un emploi, il en créait un ou plusieurs autres pour sa fabrication, son entretien, ... Bref, l'opération ne me semblait pas si négative, somme toute.
Idéalement, même, chaque robot supplémentaire aurait dû diminuer la charge de travail de chacun, pour une même production de richesses, et nous devrions donc tous aujourd'hui regarder oisivement travailler des machines, dans un niveau de confort tout à fait correct.

C'était ma vision naïve de l'époque, ne m'en tenez pas rigueur. D'autres choix ont été faits, et notamment celui de ne pas s'arrêter à un niveau de production stable et suffisant, mais au contraire de chercher à vendre toujours plus, et donc produire toujours pour moins cher, en dépit de toute considération écologique, sociale et sociologique.

Aujourd'hui, le robot n'est pas celui qu'on croit. Produire n'est plus le soucis premier, tant qu'on se moque de l'épuisement des matières premières. Le soucis premier aujourd'hui, c'est de vendre. Et comme on n'arrive pas à inculquer à la machine la pulsion d'achat, le plus simple a encore été de transformer, petit à petit, l'Homme lui-même en robot.

La technique est au point et fonctionne à merveille. Vous inondez le paysage de publicités, vous multipliez les nouveautés-gadgets sur tous les produits, vous réduisez sciemment leur durée de vie, vous médiatisez à outrance le luxe et ceux qui se vautrent dedans en les érigeant en héros des temps modernes, vous entretenez savamment une inégalité de revenus gigantesque et croissante... Et le tour est joué.

J'ai le regret de vous l'apprendre, si vous ne vous en êtes pas rendu compte avant : je suis, et vous êtes, bref, nous sommes devenus des robots.
Si vous avez déjà acheté un produit le jour de sa sortie, si vous avez déjà désiré un objet (une voiture, un téléphone, un gadget quelconque), si vous avez déjà pratiqué l'achat compulsif, fait les soldes, ou si vous vous êtes rendu compte, un jour, que votre grenier était rempli d'objets inutiles que vous avez pourtant achetés, alors, je vous le confirme : vous êtes un robot.

Pas convaincu ? Regardez ce document édifiant :

Observez le regard déshumanisé des personnes au premier plan, bousculées, mais agrippées à leur bout de tissu sans pouvoir même le regarder ou l'essayer. C'est pathétique, comme un jouet mécanique qui s'obstine à marcher contre un mur ou une voiture radio-commandée qui s'apprête à faire le grand saut dans les escaliers.

Oh, je vous entends d'ici, dire que vous n'êtes pas aussi débile que les clientes du H&M de Toulouse et que ma démonstration ne s'applique pas à votre cas. C'est juste que le processus de robotisation n'est pas tout à fait terminé chez vous, mais soyez patients, vous allez recevoir bientôt des mises à jour du firmware pour corriger ces petits bugs.

À moins...

À moins qu'on s'asseye une fois pour toute sur les lois de la robotique, et qu'on reprenne le contrôle de nous-même. Boycott total de la publicité (autocollant sur la boite aux lettres, ne jamais regarder la télé en direct, utiliser AdBlock sur Firefox, ...). Plus d'achat compulsif, plus d'achat inutile, que des achats en circuit court, de matériel d'occasion ou du troc.

Y êtes-vous prêts ?

Commentaires

1. Le lundi, 5 avril 2010, 19:20 par Nath

Édifiante cette vidéo en effet ! C'est à espérer qu'il n'y ait pas eu de mort par étouffement !

2. Le lundi, 5 avril 2010, 22:57 par Stef

J'ai soupiré en lisant le début, m'attendant a un Xème constat des méfaits de la croissance mais j'ai bien aimé cet angle de vue au final, tres bon article, la vidéo est édifiante, je ne sais pas si on doit en rire ou en pleurer ?

Petite remarque au passage, sans être aussi "avancé" que toi au niveau de la consommation responsable, j'ai tendance a me poser 3 fois la question "Ais-je vraiment besoin/envie de ça ??" avant n'importe quel achat et j'essaie de limiter -un peu- les achats familiaux de ma chérie (pas ses achats perso, je n'ai pas ce super-pouvoir !! ^^). C'est juste une bonne habitude d'éducation et ça passe parfois pour du radinisme, j'imagine qu'on t'attribue encore plus -pas forcément a raison- ce trait de caractère ?

3. Le mardi, 6 avril 2010, 10:48 par Merome

@Stef : Je pense qu'on me reproche bien plus souvent d'être donneur de leçon que radin. Parce que d'un autre côté, quand j'achète quelque chose, je le paye généralement plus cher parce qu'il est bio/éthique/renouvelable/local/etc/etc

Un radin ne payerait pas plus cher pour correspondre à ses idéaux. Par contre, la vraie difficulté est de faire comprendre que je ne suis pas, et de loin, un modèle. Dans cet article, j'ai essayé de bien insister sur le fait que je m'inclus dans le troupeau de robots. Je suis le premier à acheter des trucs le jour de leur sortie (des jeux, des CD...), je regarde Koh Lanta en direct et c'est pourtant totalement contraire à plusieurs de mes convictions, ...

Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais. C'est ça la grosse difficulté que j'ai à gérer aujourd'hui. À une autre échelle, c'est ce qu'on reproche à Hulot et Yann Arthus Bertrand. Je n'ai pas encore trouvé le bon moyen pour éluder ces difficultés.

4. Le mardi, 6 avril 2010, 12:55 par Vadaskerty

Je me suis bien reconnu en lisant le début sur la robotique, car dans une autre vie j'ai travaillé dans l'automatisme et je peux affirmer que l'amélioration de la productivité (pas la fuite en avant productiviste, hein...) et l'élévation (salariale et technique) du personnel ne sont pas incompatibles mais souhaitables et réalisables.

Par contre le constat sur la "robotisation" de la société me laisse froid au sens oú je ne me sens pas concerné, mais alors pas du tout.
J'explique:

Je travaille loin de chez moi, passe 3 heures/jour dans les transports en communs. Arrivé á la maison, plein de choses á faire, allumer du feu en hiver, bricoler au jardin en saison, soigner les animaux (poules, lapins), aider Vadaskertie á préparer ceci ou cela, m'occuper de Vadaskertiot qui est impatient de voir son papa (ou plutot "Apa", parce qu'entre nous il ne me parle que dans sa langue maternelle, le hongrois, ah oui, j'habite á 30 km de Budapest., fin de la parenthese). Bref le monde consumériste, la télé, la pub c'est pour nous une autre planete, car, tout simplement n'avons PAS LE TEMPS de nous en occuper...

D'autre part nous sommes "pauvres". Propriétaire de maison (retapéee par nous) et de voiture (que l'on économise) malgré tout, notre revenu total est inférieur á un smic francais. Et donc nous faisons tres attention á ce que nous dépensons. J'ai été par le passé traité de "radin" par mon épouse, mais le temps passant, elle s'est apercue que je ne suis pingre qu'avec moi-meme, et elle a appris a respecter et meme á apprécier ce comportement. Nous ne faisons pas de "décroissance", d'aiileurs le mot n'existe pas (encore) en hongrois. Ma moitié s'absente quelquefois mystérieusement avec une amie pour aller dans un "hipermarket" et revenir avec ce dont elle avait envie, c'est heureusement tres rarement des saloperies. Nous connaissons donc la valeur des sous que nous gagnons durement et faisons attention á qui nous les donnons. Notre chance est que par chez nous il y a encore beaucoup de petits commerces variés et des marchés qui tiennent le coup et nous pouvons ainsi dépenser localement nos modestes revenus.

Bon j'ai assez raconté ma vie, mais sache, cher Merome, que:

1 - ton "autoflagellation" est tout á ton honneur mais on peut, abusivement ou pas, y renifler de la résignation, ce qui ne devrait pas etre ton but.

2 - bien que daubant devant la télé et dans des magasins de m**** tu trouves le temps de faire de billets intéressants m'inspire le respect.

Bonne journée.

5. Le mercredi, 7 avril 2010, 09:36 par Tassin

@ Mérome :

"Je n'ai pas encore trouvé le bon moyen pour éluder ces difficultés."

J'ai une solution : vends ta TV, tu gagneras en temps disponible et en argent, ainsi qu'en baisse de vouloir d'achat.

Et vends ta 2ème bagnole pour acheter un vélo couché : tu gagneras beaucoup de sous et donc tu auras moins besoin de travailler!

Par contre "l'autoflagellation" je ne pratique pas, j'ai toujours réduit ma consommation de manière positive et en appréciant ensuite les conséquences de ces choix. Le tout dans l'optique de mon bien-être et non pas de "sauver la planète" ou ce genre de choses à dominante catholique qui m'énerve.

@ Vadaskerty :

Merci pour ce commentaire, ça permet de voir que bien que la Décroissance soit une notion réservée aux pays "les plus riches", le regard critique sur la société de consommation est partagée un peu partout dans le monde. Même en Chine d'ailleurs.

6. Le jeudi, 8 avril 2010, 20:09 par Etheriel

Félicitations pour le lien vers cet excellent titre de Luke :)

7. Le jeudi, 8 avril 2010, 20:18 par Merome

@Etheriel : manie de décroissant : tout est recyclé et réutilisé, même les chansons de Luke...

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