Trois enfants dans la ville (partie 7 : visite du musée d'art moderne)

Et plus particulièrement l'exposition Braco Dimitrijevic

Dernière visite à Saint Etienne, fin de la semaine de vacances. Nous avions repéré l'atelier pour enfants organisé par le musée d'art moderne, qui permet aux parents de visiter l'exposition sans tirer une soixantaine de kilos récalcitrants à bout de bras. Nos trois numéros sont donc confiés aux mains expertes d'une malheureuse dont la mission consiste à occuper les gosses pendant une bonne heure, dans un local rempli de peinture, de papier, et autre matériel dédié aux arts plastiques...

L'exposition phare du moment, ''Louvre is my studio, street is my museum", qui est l'objet principal de la visite guidée que nous allons suivre, est de l'artiste Braco Dimitrijevic dont le nom ne vous dit certainement rien. Pourtant il est parait-il très connu dans le "milieu".

L'art moderne, c'est souvent assez spécial, et on est toujours à la frontière du foutage de gueule. Une frontière que Braco Dimitrijevic franchit allègrement par moment, même si on peut quand même lui reconnaître une certaine constance et une cohérence dans le message qu'il souhaite délivrer dans ses œuvres.
La visite guidée nous a permis, en effet, de comprendre un peu mieux les desseins de l'artiste. Sans les commentaires du guide, sans doute aurions-nous encore plus mal considéré l'ensemble de son œuvre.

Pour être concis, Braco Dimitrijevic réfléchit à la place de l'artiste dans l'élaboration d'une œuvre (est-ce celui qui réalise l'œuvre ou celui qui la pense, le véritable artiste ?), et à ce qu'il appelle pompeusement le "post-historique", c'est à dire la mise au même niveau de l'anonyme et du célèbre, de la création artistique et du naturel ou de l'objet.

Qui est l'artiste ?

Pour apporter des éléments de réponse à cette question, Braco Dimitrijevic réalise des performances (au sens artistique du terme) qu'il qualifie d'"accidentelles". C'est à dire qu'il imagine une scène où c'est un anonyme passant, un hasard fortuit, un objet, ... qui va être le réel exécutant de l'œuvre. Par exemple, il dispose une brique de lait dans une rue, et attend qu'une voiture l'écrase pour prendre une photo du moment où cela se produit, et quelques autres de la scène après l'"accident". Le lait répandu sur le sol, bien sûr, ne représente rien, ni même n'a d'intérêt artistique. Mais la photo qui est prise de l'instant, et l'idée qui est derrière, elles, sont-elles l'œuvre de Dimitrijevic ou de l'automobiliste anonyme ? Par extension, un artiste a-t-il besoin d'avoir un véritable talent graphique ? Ou bien est-ce l'idée qui prime sur la réalisation de son œuvre ?



Chacun se fera son opinion en fonction de ce qu'il attend de l'art et de la conception qu'il en a. Néanmoins, même si en apparence, il s'agit d'un énorme foutage de gueule, il faut bien avouer que la question posée n'est pas totalement dénuée d'intérêt, non ?
Sans la visite guidée, aucun doute que je serais passé à travers tout ça, car l'ignare que je suis attends d'une œuvre, fût-elle d'art moderne, qu'elle soit agréable à voir, et/ou réalisée avec talent.

Les triptyques post-historiques

L'artiste semble attacher une grande importance à la "mise à plat" des choses de la vie, et notamment des individus, considérant sans doute que tout et tout le monde est également important sur Terre. Ainsi, il a commencé par prendre des portraits d'anonymes passants pour en réaliser de gigantesques affiches qu'il a pendues aux fenêtres de grandes villes.



Il a également exposé de nombreuses photos de gens connus dans leur domaine mais peu célèbres et peu médiatisés. Des écrivains, des scientifiques qui ont fait d'importantes découvertes, mais dont les visages ne sont pas connus du grand public. Il tente de montrer ainsi que l'important n'est pas forcément ce qui est le plus visible, et que n'importe qui, à son niveau, est important. Du passant anonyme au génie universellement reconnu, en passant par l'artiste méconnu.

Encore une fois, j'avoue ne pas être insensible à cette idée, qui me semble aller tout à fait dans le sens de l'internet, et de la mise au même niveau du célèbre et de l'anonyme : il y a autant de facilité à consulter google.fr que merome.net. Mon site, ou le vôtre, sont à portée de clic de n'importe qui sur la planète. Et potentiellement, à leur façon, ils peuvent être important pour quelqu'un.

Poursuivant cette idée que tout est également important, Dimitrijevic a réalisé une série d'œuvres qu'il a intitulées les "triptyques post-historique", et qui consiste, à chaque fois que l'artiste est exposé quelque part, à prendre une œuvre célèbre appartenant à la collection du musée qui expose ses propres œuvres et d'y associer un objet et un élément naturel pour constituer une nouvelle œuvre, la sienne.

Il essaie de montrer ainsi que l'œuvre universellement reconnue comme géniale, l'objet d'utilisation courante, et un fruit ou un légume, méritent autant l'éclairage des projecteurs l'un que l'autre.



Ici, un tableau de Malevitch avec un vélo et un melon.



Et là, un Modigliani avec un meuble et une citrouille...

Evidemment, si vous passez devant une telle composition, sans être informé des intentions de l'auteur, votre conclusion inévitable sera : foutage de gueule. Une fois qu'on a le contexte, sans adhérer totalement, au moins, on comprend ce que l'artiste a voulu faire.

Notre guide a, dans la suite de la visite, émis une réflexion qui m'a fait réfléchir et que je vous livre de mémoire, ce ne sont pas ses mots exacts : à partir du moment où l'on n'a pas tous les éléments pour juger une œuvre et que cela nous pousse donc à réfléchir, c'est de l'art.

Une phrase avec laquelle je ne me sens pas en totale adéquation. Pour moi, l'art commence où l'œuvre évoque un sentiment. En écoutant une musique, en voyant une peinture, une sculpture, si cela m'évoque un sentiment, positif ou négatif, alors il y a eu une démarche artistique. Je suis curieux de connaître votre propre définition de l'art, n'hésitez pas à me la fournir en commentaires.

La visite s'est poursuivie avec l'exposition "Fragiles" où plusieurs artistes assez peu connus exposent des œuvres qui évoquent la complexité et la fragilité de notre quotidien. Quelques petites choses intéressantes, et cette fois avec un "vrai" talent derrière.

Enfin, à l'étage se tenait une exposition de Pierre Jouve, écrivain, journaliste et photographe français qui a suivi la brigade criminelle à Paris pendant plusieurs mois pour témoigner par ses photos de la violence quotidienne de notre société. Des photos parfois assez dures, d'arrestations musclées, de misère à nos portes, de moments insolites, qui sont le plus souvent "cachées" pour des raisons plus ou moins valables par les médias ou les pouvoirs publics.
Le photographe était là au moment où nous visitions les lieux et notre groupe a eu un échange improvisé avec lui. C'était un moment... étrange.

Mais il était temps pour nous de retrouver les trois œuvres dont nous sommes les auteurs. Je ne sais pas si on peut dire que ce tryptique là est "post-historique", mais il y a fort à parier que ce seront eux, entre autres, qui vont faire le monde de demain.

Commentaires

1. Le mardi, 11 août 2009, 10:31 par Nath

Et au final, qu' ont pensé les enfants de ces vacances à la ville ?

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