Développement durable vs décroissance

Les différences de vision entre les deux notions

Le film de Yann Arthus Bertrand ayant été vu par des millions de (télé)spectateurs, il doit y avoir un paquet de gens qui se rendent compte aujourd'hui de certaines impasses que la société et les médias nous "cachent", plus ou moins volontairement. Tout ceux qui ont voté pour Europe Ecologie ont a priori fait confiance à ce qu'on appelle communément, le développement durable. C'est à dire, selon Wikipédia : un mode de développement appliqué à la croissance et reconsidéré à l'échelle mondiale afin de prendre en compte les aspects écologiques et culturels généraux de la planète.

Vous noterez le mot "développement", qui sous-entend la notion d'augmentation de richesses. Inévitable. Nécessaire. Car c'est bien connu : tout augmente. Quand vous avez deux voitures, vous rêvez d'en avoir une troisième. Avec trois enfants, vous avez l'impression qu'il en faut quatre pour être mieux. Et pourquoi pas deux lave-vaisselle ou carrément deux cuisines par maison, pour varier les plaisirs ?
Bref, la notion de développement, à mon sens, est discutable. Mais c'est la règle.

Pour continuer à être plus riche, sans piocher trop dans les ressources épuisables, comme le suggère le développement durable, il faut consommer plus intelligemment, et compter sur les progrès techniques pour diminuer les besoins.
Par exemple, en matière d'énergie, il y a plein de progrès à faire. En matière d'auto, on sait aussi qu'on n'a pas les modèles les plus sobres, dans les cartons, des tas de projets électriques, hybrides, hydrogène, air comprimé... attendent simplement que l'on soit prêt mentalement à abandonner le moteur à explosion. On y est si attaché...

Cette logique se heurte, à mon sens, à deux problèmes conceptuels :

L'effet rebond :
Chaque fois qu'une nouveauté technologique nous a permis de grands progrès, cela s'est accompagné d'une augmentation de l'utilisation de ressources. L'exemple le plus criant de vérité, et qui me touche de près, c'est l'avènement de l'informatique, et l'utopie du "zéro papier".
Plus on a mis des ordinateurs et des imprimantes à disposition des gens, plus au contraire ils ont imprimé des tonnes et des tonnes de papier. Pensez-donc : auparavant, il fallait se cogner toute l'écriture manuscrite, ou faire imprimer le document par un fournisseur, ça coutait cher, ça prenait du temps. Aujourd'hui, vous cliquez sur un seul bouton pour obtenir 300 exemplaires d'un même document. Pourquoi s'en priver ?

Ce qui est vrai pour l'informatique est vrai, a priori, pour toute autre domaine technologique. Les voitures sont infiniment plus sobres qu'en 1960, pourtant, leur nombre et les kilomètres parcourus font que nous consommons bien plus de carburant et rejetons bien plus de gaz à effet de serre. Les écrans plats consomment moins, mais on a multiplié la taille de la diagonale et entre l'ordinateur, le cadre photo numérique, les lecteurs portables et les télés, on peut avoir jusqu'à 10 écrans par foyer, là où on en avait un seul avant.

Le progrès technique conduit donc inévitablement à un effet rebond.

L'énergie grise :

Admettons pourtant que l'effet rebond n'existe pas, et que chacun de nous va simplement remplacer sa bonne vieille bagnole qui pollue par une toute neuve qui crache moins de CO2 et s'arrête moins souvent à la pompe.
Cette fois, c'est la production même des nouveaux matériels sobres qui va poser problème. Car l'industrie automobile, comme toute industrie, ça pollue aussi au moment de la production. On estime, en matière de rejets de gaz à effet de serre, que le changement d'une voiture ne devient "rentable" qu'à partir de 100.000 ou 200.000 km. En d'autres termes, vous culpabilisez avec votre vieille 205 diesel qui fume et voulez la remplacer par une petite 107 qui rejette 30g de moins au kilomètre (les spécialistes affineront les chiffres en commentaire, merci :) ), ce n'est qu'après une centaine de milliers de kilomètres que vous aurez "amorti" les émissions de gaz à effet de serre dues à la production même de votre nouvelle voiture.
C'est là qu'on se rend bien compte de l'absurdité totale de la prime à la casse. On subventionne et donc, on anticipe et facilite un changement qui n'est pas un gain direct pour l'écologie. Et, paradoxalement, cette prime à la casse n'est pas attribuée si l'on choisit de se déplacer en vélo, à pied, ou en transport en commun. Cette mesure n'a vraiment rien d'écologique.

Bref, tout ce qui a été consommé en matière d'énergie pendant la fabrication d'un bien de consommation, et donc le consommateur final ne se rend pas du tout compte, c'est ce qu'on appelle l'énergie grise.

Effet rebond et énergie grise sont deux raisons qui me font préférer la décroissance plutôt que le développement durable.

Commentaires

1. Le dimanche, 21 juin 2009, 12:23 par Frak

Oh mon dieu! Depuis les quelques mois que je suis votre magnifique blog, je n'avais pas encore lu une telle escroquerie. Elle tient essentiellement en deux points: le premier c'est la forme du texte qui consiste à faire le portrait en creux de la décroissance à travers une attaque, certes justifiée et pertinente mais néanmoins en règle, du développement durable. Ca donne l'illusion que la décroissance se calque sur le développement durable en gommant ces deux défauts. Ce qui est évidemment faux, même pour moi qui ne suis qu'un humble amateur (j'ai presque envie de dire consommateur...) sur ces sujets. Il me semble quand même que la décroissance pose des problèmes économiques, et donc sociaux important. Ce qui est peut-être cher payer la résolution des deux problèmes mentionnés. J'en viens donc au second point: les thèses sur le développement durable et la décroissance ne sont pas figées. Il me semble qu'en augmentant le développement durable avec une taxe carbone, par exemple, on arrive à avoir des consommateurs avertis du problème de l'énergie grise. Dans le fond, qu'un modèle ne soit pas parfait n'est pas une raison pour le mettre à la poubelle complètement pour un autre qui l'est tout autant (c'est un peu comme la 205 diesel qui pollue quoi). A moins que je ne me fourvoie complètement?

2. Le dimanche, 21 juin 2009, 18:08 par Fil

Le truc c'est que tout ce bel (ironique) argumentaire se repose sur une énorme connerie :
"Vous noterez le mot "développement", qui sous-entend la notion d'augmentation de richesses. Inévitable. Nécessaire."

Le développement, et juste le développement n'est pas une cause de la croissance économique, c'en est une conséquence. C'est grâce à la croissance que les pays se sont développés, en d'autres terme ont amélioré leur niveau de vie mesuré par un indicateur connu de tous ceux qui ont un minimum d'éducation socio-économique (matière qui ne devrait pas être limité à une seule filière au bac) : l'IDH, l'Indice de Développement Humain.
Or, cet indice n'est pas calculé sur le nombre de voiture, de cuisines ou de gamins possédés par les ménages, il est calculé par 3 critères :
- l'espérance de vie. (côté santé)
- le taux d'alphabétisation (côté education)
- le niveau de vie (côté pouvoir d'achat, je te laisserai voir le calcul là [ fr.wikipedia.org/wiki/Ind... ]pour voir qu'il ne s'agit pas de collectionner les produits polluants)

Par conséquent toute la suite de ton laius commençant par "Pour continuer à être plus riche," est à côté de la plaque puisque là n'est pas la question.

3. Le dimanche, 21 juin 2009, 20:14 par Merome
Eh ben, vous êtes bien virulents pour un dimanche :) Tant mieux.

Frak : Mon idée initiale était de développer un peu le concept de décroissance (telle que je la conçois) à la fin du billet et donc de ne pas faire "un portrait en creux". Mais entre temps, j'ai été dérangé par un triplon de gamins qui voulaient me faire la fête en me récitant des poèmes ("quand tu es sur l'ordinateur, j'ai peur"). Bref, j'ai du diminuer un peu la voilure ce qui donne au billet un petit air bancal.
Pour ce qui est des problèmes sociaux engendrés par la décroissance, cela se discute. Moi je vois des problèmes sociaux quand il y a de la croissance, au contraire.
En revanche, je suis d'accord sur un point : les thèses ne sont pas figées, et même : quand c'est Sarko-Fillon qui parle de développement durable, ou quand c'est Cécile Duflot, c'est pas du tout la même chose. Cécile Duflot, comme pas mal de vert(e)s n'hésite plus à prononcer le mot. Tant mieux.

Fil : Même réponse que plus haut, selon les gens qui prononcent le mot "développement", il va prendre une toute autre signification. On entend aussi "croissance verte". La bonne blague. Jusqu'à aujourd'hui, aucune croissance économique ne s'est accompagnée d'une baisse de consommation des ressources, à commencer par l'énergie. Or, les ressources manquent, et manqueront à l'avenir, cette baisse est inévitable, qu'on la souhaite ou non. Alors décroissance choisie ou récession subie ? J'ai choisi.
4. Le dimanche, 21 juin 2009, 21:38 par Pierre

Salut,

"un triplon de gamins qui voulaient me faire la fête en me récitant des poèmes ("quand tu es sur l'ordinateur, j'ai peur")"

...la vérité sort de la bouche des enfants...

pour revenir au débat qui pour moi commence franchement par dériver et devenir n'importe quoi car j'ai l'impression que l'on mélange tout, expliquez moi une bonne fois pour toutes :
1- C'EST QUOI ETRE DECROISSANT

2- Peut-on l'être, CONCRETEMENT et OBJECTIVEMENT, dans notre société.

Parce que j'en ai un peu marre que ce soit toujours les mêmes (nous consommateurs) que l'on montre du doigt.

Au fait, c'est mon dernier message, mon ordi vient de mourir, je n'en rachèterai pas un autre ni le réparerai (trop vieux plus de pièces), je l'emmènerai à pied à la déchetterie (pas prendre ma bagnole trop de CO2) dans laquelle tout commence par s'entasser puisque les employés des dites déchetteries, pour rester cohérents, ont supprimé les camions (hypers pollueurs) qui se chargeaient du transport des bennes etc, etc...Comment vais-je faire avec mes réfrigérateur, congélateur, machine à laver...

HELP , AU SECOURS, c'est comme en politique, je perds mes repères...

5. Le lundi, 22 juin 2009, 08:33 par Merome
Pierre : La question est vaste, c'est comme si on se demandait "c'est quoi être socialiste". Néanmoins, je vais tenter une réponse globale : ce qui rassemble tous les décroissants, c'est la remise en cause de la recherche de croissance économique à tout prix.
Tu noteras que la plupart des partis politiques de droite ou de gauche ont dans leur programme un truc pour "relancer la croissance". Les plus fourbes disent "une croissance verte". C'est donc un vrai clivage que de proposer, non pas directement l'inverse (décroissance ne veut pas dire qu'on fait exprès de décroître dans tous les domaines), mais quelque chose de différent. Certains parlent d'"a-croissance", pour montrer que ce n'est pas non plus le retour à la bougie.

La décroissance est un projet de société. À titre personnel, ce n'est pas totalement transposable puisque nous restons dépendant de la société dans laquelle nous sommes. Cependant, on s'accorde à dire que la meilleure façon d'encourager la décroissance est de pratiquer la "simplicité volontaire" qui bien sûr ne va pas changer le monde, mais qui montre au moins de quel bois on se chauffe (parce que le fuel, c'est moins bien).

La croissance économique, jusqu'à aujourd'hui au moins, s'est toujours accompagnée : d'un accroissement des prélèvements de ressources, d'un accroissement de la consommation d'énergie, d'une augmentation des inégalités. Cela n'empêche pas tous nos partis traditionnels de continuer à la prôner comme seul modèle valable. Les ressources s'épuisent (voire Home), l'énergie fout le camp (pic pétrolier en vue), et on est en pleine crise. Je ne vois pas comment on peut continuer à soutenir ce modèle moribond. Mais on peut en discuter !
6. Le lundi, 22 juin 2009, 09:58 par G2

Article sympa, les 2 effets décrits sont intéressants, on a d'ailleurs tendance à les oublier facilement.

Le problème de définition de la décroissance ou autre n'a que peu d'importance, il suffit de regarder le problème social, environnemental, technologique sous le prisme énergétique et ça donne une bonne ligne de conduite.

En fait, on devrait changer la monnaie "papier" par une monnaie "énergétique". Le Watt/minute ? Le GEP (Gramme Equivalent Pétrole) ?

7. Le mardi, 23 juin 2009, 22:09 par Nath

Je ne sais pas si tu as déjà visionné "La Vie d'un truc", c'est une animation crée par Annie Leonard, une américaine qui explique en 20 minutes pourquoi notre mode de consommation actuel n'est pas viable.
Son site : www.storyofstuff.com
Sinon, on trouve la version sous-titrée en français sur Dailymotion.

8. Le mercredi, 24 juin 2009, 08:10 par Merome
Nath : ça a fait l'objet d'un article ici il y a 6 mois :) Mais c'est gentil d'y avoir pensé :)
9. Le vendredi, 3 juillet 2009, 18:15 par Nath

Quelque soit le terme employé, il est bien délicat de trouver ce qui peut réellement être bénéfique pour l'environnement.
J'ai reçu aujourd'hui cette vidéo sur les ampoules basse conso que l'on retrouve sur youtube à cette adresse :
www.youtube.com/watch?v=n...
Si on les infos brut de fonderie, ça fait peur !

Quelqu'un aurait-il des infos ?

10. Le samedi, 4 juillet 2009, 17:20 par Merome
Nath : j'ai reçu la vidéo et on m'a déjà demandé mon avis dessus. Je le copie/colle ici, c'est tiré de ce que j'ai trouvé sur le web à ce sujet :

"Dans le pire des cas de figure mesurés par la CRIIREM (ampoule de 20 W, 130 mA), on obtient à 30 cm de la lampe un champ électrique de 3,80 V/m (et de 180V/m à 5 cm, chiffre mis en avant par la presse, mais qui passe ses journées avec une LFC à cette distance ?...). Ce chiffre de 3,8 V/m, à 30 cm de la source, est alors à comparer aux 180 V/m d'un récepteur radio, aux 120 V/m d'un frigo, et aux 60 V/m d'un classique téléviseur cathodique." La mesure que fait la gonzesse à 3 cm de la lampe est élevée : normal. Le parallèle qu'elle fait, sans preuve, entre les cancers en Guadeloupe et la pub faite par EDF/Ademe pour les lampes basse conso relève de la pure manipulation... Donc un document à regarder avec beaucoup de recul.
11. Le dimanche, 5 juillet 2009, 07:58 par Nath

Merci Merome.
Sa démo m'a fait penser à certains articles que j'ai pu lire dans "Science et Vie", avec de pseudos démonstrations et des rapprochements abusifs (étudiante, dans le cadre d'un exercice, j'avais décortiqué un de leurs articles sur le lien téléphone portable/cancer du cerveau et la démonstration était loin d'être rigoureuse).

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