À la manifestation, on rêvait de révolution

Demain, c'est la grande manif' intersyndicale, intergénérationelle, intersidérale et internet. Et moi, qui revendique souvent à l'abri de mon clavier, je n'y serai pas. Je vais essayer d'expliquer pourquoi.

D'abord, j'ai un grand respect pour les grévistes, parce que les batailles les plus humaines, les avancées sociales les plus marquantes ont été obtenues par eux et pour nous. D'ailleurs, quand je vois passer sous les fenêtres de mon bureau climatisé mes parents (retraités) qui défilent dans le froid et/ou sous les intempéries, pour des mots d'ordre qui ne les touchent plus depuis longtemps, j'ai toujours un problème de conscience.

Ceci étant posé, la grève est-elle aujourd'hui le meilleur moyen de se faire entendre ? Est-ce même seulement un moyen de se faire entendre ?
Cela fait des décennies que les médias dominants nous montrent les "prises d'otage" d'usagers, les casseurs qui gravitent autour des défilés, des syndicalistes forcenés qui ne s'expriment pas forcément intelligiblement (Souvenez vous de Krazucki !) ou qui présentent de mauvais arguments...
Résultat aujourd'hui : un tel mouvement social est surtout l'occasion de décrédibiliser un peu plus la classe populaire qui ne comprend décidément rien à rien et ne fait preuve d'aucun civisme, salauds de pauvres. On peut remplacer "classe populaire", par "fonctionnaire", voire "cheminot", ça marche aussi.

En allant défiler, on envoie donc un message brouillé à l'opinion publique : certes, on est nombreux et on est mobilisés, mais on fait chier le monde, ce qui n'est pas forcément constructif.

De plus, une journée de mobilisation, c'est beaucoup et c'est bien peu : une journée de salaire en moins (contrairement aux idées reçues, les grévistes ne sont pas payés pendant qu'ils sont dans la rue), c'est déjà un effort conséquent pour beaucoup, mais en même temps, un jour de mobilisation, ça ne laisse pas une grosse trace dans les comptes des grosses boites...
L'idée qu'ont eue certaines professeurs des écoles de mon coin était un peu plus originale : elles ont fait une grève "virtuelle", en faisant leur travail normalement et sans déclarer à leur hiérarchie qu'elles étaient en grève mais en versant leur salaire de la journée aux restos du cœur. Ce versement à une association caritative faisant l'objet d'une déduction d'impôt... Non seulement l’État paye le salaire normal du jour, mais en plus, il est non-imposable, et profite aux moins aisés, tout en ne perturbant pas l'ordre public et donc en ne provoquant pas le mécontentement des usagers (qu'elles avaient pris soin de mettre au courant de leur action)...

La désinformation, en ce genre de circonstances, est un véritable conflit dans le conflit. Et à ce jeu, les grévistes sont souvent les plus faibles. Il n'y a pas si longtemps, la gare St Lazare faisait l'objet d'une attaque terroriste "prise en otages" des usagers par le syndicat Sud Rail. Les médias, parce qu'on les y a sans doute un peu poussé, ont commenté la chose comme il se doit, avec les micro-trottoirs et Mme Michu qui n'a pas pu prendre son train pour aller voir ses petits enfants dans le sud de la France, et le gouvernement, bienveillant, qui agit aussitôt et propose des mesures pour régler le problème à coup de talon et de matraque, s'il le faut.
Les journaux ont oublié de mentionner, ou bien l'ont fait un peu tard, que la gare a été fermée aux usagers par la Direction de la SNCF (et non par le syndicat incriminé), et que le conflit durait depuis plusieurs semaines déjà, sans aboutir (et qu'il ne s'agissait donc pas d'une grève surprise, sans préavis).

Le mouvement social, aujourd'hui, en est là : mal médiatisé, ou surmédiatisé, il a plutôt des effets négatifs. Bien sûr, on peut gagner dans la rue certains bras de fer, et certaines batailles ne sont pas tout à fait vaines. Mais je n'ai sans doute pas assez de courage pour me battre pour des idées avec aussi peu d'efficacité dans le résultat. Voilà pourquoi je ne serai pas dans la rue demain.
J'ai l'impression que ma place est plutôt ici, à faire passer des messages à trois lecteurs et demis, ou bien dans l'acte du citoyen-consommateur que je suis et qui, lui, est quotidien et permanent. C'est chaque jour et individuellement que nous faisons le monde à notre image, pas lors d'une journée nationale avec des organisations plus ou moins représentatives...
Enfin, c'est mon avis, et je veux bien en discuter...

En cadeau, pour donner du courage à ceux qui seront dans le froid et demain, et aux autres aussi, la chanson des cowboys fringants qui est de circonstance :



Je vous mets les paroles, parce que j'ai l'impression que c'est pas immédiatement compréhensible pour un francophone de France :)

Sont arrivés en westfalia
en criant sos gaia
accoutrés comme des hippies
avec les yeux rougis
cheveux longs et surplus d'armée
en bédaine et jouant du tam-tam
on se s'rait crus 30 ans passés pendant la guerre du vietnam
il y avait tout les clichés de l'époque des granolas
des chemises en macramés aux filles poilues en dessous des bras
v'nant en grand majorité du cégep du vieux montréal
tous là pour manifester contre les multinationales

et la mince foule grelotait en ce froid jeudi d'printemps
et aux étudiants qui foxaient s'ajoutaient quelques passants
les marxistes-leninistes, des militants pour le pot
et une couple d'écologistes ont investi le spot
on écoutait le vieux cinglé qui se prenait pour castro avec
son képi d'officier et son couteau de rambo
mais on a vite constaté qu'il lui manquait un marteau
quand il nous a proposé de faire un concours de limbo

À la manifestation, on rêvait de révolution,
se gelant le cul avec une poignée de comparses
sous la pluie froide du mois de mars

sur le boulevard René Lévesque
y'ont envoyé l'anti-émeute
et des policiers sur leur bikes
pour contrôler la meute
ça se déroulait pacifiquement sans trop écorcher le système
et on scandait des beaux slogans contre les OGM
quand soudain sont débarqués des types un peu extrémistes
sorte de ninjas cagoulés se proclamant activistes
comme des ptits ché guévara y'ont pitchés 2-3 pétards
les bœufs sont rentrés dans le tas
j'te jure qu'y'ont pas veillé tard

À la manifestation, on rêvait de révolution,
se gelant le cul avec une poignée de comparses
sous la pluie froide du mois de mars

et là ça a dégénéré
car en guise de protestation
les beatniks se sont déshabillés pour faire un danse-o-thon
les policiers en beau fusil
ont sorti menottes et matraques
et ont tapochés les hippies a grands coups de jarnac
pendant que les écologistes pleuraient devant tant de civisme
en implorant Jésus le Christ de stopper l'injustice
on entendait le chien japper à travers le bruit des sirènes
bien étouffé par la fumée des gaz lacrymogènes
au même moment la gang de beatnicks qui dansait à poil sous la pluie
faisait comme un remake de grease en version hillbilly
quand le ciel s'est déchainé il s'est mis a tomber des clous
y'ont pris leur jambes a leur cou et ce fut terminé
fait qu'on est rentrés déçus tout mouillés et abattus en croisant les écolos
dans le portique de mcdo
j'en suis v'nu a conclusion qu'ça va prendre
bien du soleil sinon c'est pas demain la veille
qu'on va faire la révolution

À la manifestation c'est vrai qu'on n'a rien changé
on a causé un bouchon de circulation
ça fait toujours bien ça de gagné

Commentaires

1. Le jeudi, 29 janvier 2009, 17:26 par Pierre

Salut,

"on envoie donc un message brouillé à l'opinion publique": l'opinion publique était dans la rue, "mais on fait chier le monde", le monde aussi.

Certes les cowboys fringants n'ont pas tort, mais je crois que en plus du "C'est chaque jour et individuellement que nous faisons le monde à notre image" ça vaut la peine d'essayer (la manif), et pour y avoir participé (à la manif) cet après midi sans être attaché à une organisation quelle qu'elle soit, j'en suis revenu soulagé qu'il reste encore un esprit de solidarité et pas seulement un individualisme qui n'aboutirait qu'à une satisfaction personnelle, et j'en suis revenu troublé car c'est aussi dans ce type de rendez-vous que l'on se rend compte du malaise et de l'inquiétude de certains.

Vivement je ne sais pas quoi, mais vivement...

PS: c'est ma deuxième grève et ma première manifestation...donc ne voyez pas dans mes propos une quelconque leçon, mais surtout un ressenti.

2. Le vendredi, 30 janvier 2009, 07:45 par Etheriel

Il est vrai que le micro-trottoir avec Mme Michu n'apporte guère d'éléments, mais c'est tout aussi vrai avec l'interview de Raymond Grosbidon, conducteur SNCF depuis 25 ans et prix Nobel d'économie, qui nous offre une analyse socio-economique de qualité, avant de nous délivrer quelques pistes imparables pour sortir de la crise...

3. Le samedi, 5 novembre 2011, 22:48 par Danquebec

J'aime beaucoup l'idée de la grève virtuelle.

Par contre wat « Je vous mets les paroles, parce que j'ai l'impression que c'est pas immédiatement compréhensible pour un francophone »
francophone ≠ Français

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