Episode 5 : Les stylos plume

Restons le nez dans notre trousse et abordons ensemble le sujet du stylo-plume. Encore une merveille de la technologie (j'utilise souvent cette expression, pardon), qui nous a dispensé des joies de la plume trempée dans l'encrier de nos ancêtres ainés. D'ailleurs, nos tables d'écolier ont gardé des vestiges de cette époque révolue : le trou de l'encrier est resté, ne servant plus qu'à se faire un petit golf avec une bille de cartouche en guise de balle et un crayon de papier comme club. La bille tombe direct dans le casier en dessous du trou, discret, pratique.

Mais je m'égare : le stylo-plume, disais-je. Faisons le tour des marques, par qualité croissante :

Le sans-marque était banal jusque dans sa couleur. Il n'a strictement aucun intérêt, si ce n'est son prix.
Le Reynolds : Le bas de la gamme. Un chouilla mieux que le sans-marque, mais tout juste. Plusieurs modèles ont circulé, cédant à la mode du fluo à la grande époque (j'en avais un vert fluo, je me souviens).
Pelikan : Vous m'excuserez si je classe mal les marques, j'avoue ne pas être très sûr de moi. Le Pelikan était si je me rappelle bien le stylo tout en métal, sobre, qui était très en vogue. Cela commençait à être du bon matériel.
Waterman : Il me semble me rappeler que cette marque proposait à la fois de l'entrée de gamme et du haut de gamme. Je n'ai pu tester que les premiers, ils étaient déjà d'une qualité correcte. Bien meilleure que les Reynolds.
Mont Blanc : Finalement assez rare à l'école. Trop cher, sans doute.

Le stylo-plume était le compagnon obligatoire des dictées, rédactions et de tout ce qu'il fallait s'appliquer à écrire correctement. La plume en métal était profilée pour une écriture fine et précise, alimentée en encre par un ingénieux système (que je n'ai jamais compris) qui allait jusqu'à une cartouche.
D'ordinaire, l'encre était bleue. Mais assez rapidement, l'élève original diversifiait sa palette et passait au cyan, couleur discrète et passe partout, en plus d'être parfaitement hideuse. Le collectionneur poussait le vice jusqu'à avoir un stylo plume par couleur. Pouvoir souligner en rouge au stylo plume, c'était un luxe dont tout le monde rêvait, à un moment ou un autre de sa scolarité. Pour ces élèves aux multiples plumes, la trousse ressemblait davantage à un chapelet multicolore de cartouches d'encre qu'à un objet purement scolaire. Des petites cartouches, des grandes cartouches. Et oui, il y avait deux formats. Certains stylos se payaient le luxe de n'accepter qu'un seul des deux (en général, le petit format).
J'ai longtemps hésité à faire un billet complet sur les cartouches. Il y a beaucoup à dire... Les cartouches avaient une vraie odeur d'école, très particulière, très plastique. Une fois vidée, elles gardaient une valeur inestimable en elle, comme une perle dans une huitre : la petite bille. Je crois me rappeler de certaines marques mal inspirées qui avaient remplacer la bille par un bête opercule cylindrique et inintéressant. Un scandale !
La bille était donc au fond de la cartouche, il fallait la chercher au cutter ou au ciseau, selon le nombre de mains gauches qu'on avait à disposition. La cartouche était vide, mais ... encore très salissante. L'encre imprégnée sur ses parois n'attendait que nos doigts pour se jeter sur notre peau encore rose et intacte. La bille elle-même était un piège sordide. Entièrement imprégnée d'encre, il fallait la faire tourner de longues secondes entre ses doigts avant de la voir enfin apparaître transparente, limpide. Il n'y avait plus alors qu'à se badigeonner à l'effaceur, qui du coup devenait tout noir, comme si bizarrement nos mains n'étaient finalement pas si propres et roses qu'on le pensait, avant même d'avoir éventré la cartouche. Après s'être convenablement nettoyé les doigts à l'effaceur, que faisait-on ? Inutile de nier, je sais que vous l'avez fait : on sentait nos doigts. Parce que l'odeur de l'effaceur sur les doigts , ça aussi, c'est une odeur purement scolaire qui nous reste entre les narines, n'est-ce pas ?
Après quelques années d'étude, la collection de billes grandissant, on affinait la technique pour sauver quelques effaceurs. On se munissait d'un mini-chiffon, toujours présent dans la trousse. Cela n'empêchait certes pas ladite trousse d'être maculée de tâches d'encre venues d'on ne sait où, mais cela permettait au moins de récupérer la bille sans trop se salir. Accessoirement, cela permettait de faire proprement la vidange périodique du stylo plume, sans passer par chez Midas. On enlevait la cartouche, on enveloppait la plume dans le mini-chiffon et on soufflait dans le tuyau. Ca faisait des bulles, ce qui méritait déjà toute notre attention. Evidemment, on a tous eu un copain pas malin qui a aspiré le tuyau et s'est retrouvé avec la langue toute bleue. Bien sûr, il avait l'air idiot, mais au moins lui, il avait une bonne excuse pour tester le goût de l'effaceur. Avec une pareille odeur, ça devait être une expérience unique que vous enviiez, finalement.

Le stylo plume était parfois capricieux, il avait deux défauts, mais jamais en même temps :
Soit il s'asséchait : Au détour d'une ligne, la plume se séparait en deux sous la pression de vos doigts et entre les deux morceaux de plume, le désert du Sahara, plus d'encre. Un coup d'oeil sur la cartouche, elle était pourtant pleine. Il fallait réamorcer, en pressant sur la cartouche (d'où l'utilité du mini-chiffon), ou en trempant la plume elle-même dans l'encre de la cartouche, ce qui faisait un peu plus pro mais ne marchait pas mieux. Restait à secouer le stylo de bas en haut, comme maman faisait pour faire baisser le thermomètre. Mais le mercure du thermomètre, lui, ne finissait pas par gicler sur le blouson de votre voisin de devant.
Soit il coulait : Et c'était la catastrophe pour vos doigts, la trousse, le mini-chiffon et vos copies. A peine le bouchon retiré, c'était l'hémorragie, des cartouches entières se déversaient. Des hectolitres sur votre cahier du jour jusque là blanc comme la neige. Et là, pas de solution, le nettoyage ne faisant qu'empirer la situation. Il fallait donc faire une gymnastique périlleuse en retirant la cartouche ouverte de temps en temps, ce qui achevait de repeindre la trousse.

Je terminerai par le souvenir du papier buvard rose. Je n'ai jamais bien su à quoi cela pouvait bien servir, mais il n'était pas pour autant inutile. En plaçant son stylo plume sur le buvard, on pouvait admirer des heures durant, tant qu'on avait des cartouches, des magnifiques ronds d'encre augmenter leur surface inlassablement. C'était magique. C'était beau, cette varicelle bleue.

Commentaires

1. Le lundi, 21 mars 2005, 14:58 par Black n White

à l'époque Creeks en faisait c'était les plus volé :S

2. Le dimanche, 22 mai 2005, 22:42 par Kitchissime

Moi aussi, je me rappele très bien de mes stylo plumes... il y a avait ce stylo plume au corps très rond que la classe nous obligeait àavoir. Il était en plastic, soit bleu, soit rouge, soit orange, soir vert. Mais écrivait toujours de ce joli bleu foncé (cartouche avec bille réglementaire et non bille carrée). Le truc, c'était que ces stylo écrivait très "rond", c'était nos premiers stylos plumes, il me semble que c'était des "Stypen"... le plastique était de couleur unie (couleurs énoncées plus haut), mais avec des marbrures de bleu, rouge, orange, ou vert. L'attache du capuchon (pour mettre à la poche du polo) était aussi en plastique et n'a que très rarement survécu.. j'aimerai bien en récupérer une photo, si vous avez ça dans vos vieilles trousses. e-mailez :)

3. Le dimanche, 28 août 2005, 14:47 par patz

Ah, souvenirs souvenirs... J'étais (et je suis toujours) gaucher. A la fin des années 1960, les instituteurs commençaient à accepter ces graves handicapés dans leurs classes.
En même temps, d'ingénieux savants avaient découvert un outil miraculeux: le porte-plume pour gaucher. Je me souviens qu'il était en plastique vert mais j'ai oublié la marque (Geha?). En principe, ce bijou technologique était censé assurer un séchage rapide de l'encre pour éviter les traînées causées par la main malhabile sur le texte à peine écrit. Si mon stylo, pour des raisons obscures, n'atteignit jamais ce but, en revanche il présentait trois caractéristiques remarquables.

D'abord, à la base du manche, il y avait trois zones ovales numérotées 1, 2 et 3 pour placer les doigts. C'est bien connu, les gauchers sont comme les Martiens, ils n'ont que trois doigts et en plus ils ne savent pas les compter. Grâce à ces repères, mes doigts étaient toujours maculés au même endroit, en particulier si le stylo coulait.

L'autre caractéristique, c'était la cartouche. Dans le premier stylo de ce modèle (j'en ai eus trois durant ma carrière d'écolier), il fallait enfoncer la cartouche non pas du côté de la bille, mais du côté de l'opercule qui d'ailleurs avait une forme spécialement conçue pour le stylo. Le libraire du coin me voyait toujours arriver avec joie: "tu as besoin de cartouches pour gaucher?" Et d'aller chercher au fond de son arrière-boutique le paquet de cartouches trois fois plus coûteuses que les autres.
La méthode préconisée et en principe infaillible consistait à mettre la cartouche en place (côté opercule donc) sans l'enfoncer, puis à visser le manche, qui en appuyant progressivement sur la cartouche en assurait le bon positionnement. Mystérieusement, l'opercule parfois résistait, se déchirait mal, et un Niagara bleu royal envahissait alors l'intérieur du manche. Frustration suprême, lorsque la cartouche était vide, la bille était toujours en place. Plus tard, sans doute suite aux actions de protestation menées par les gauchers à qui ce stylo refusait la joie de sentir le petit déclic indiquant que la bille s'était enfoncée sans encombre, les modèles plus récents acceptèrent enfin les cartouches côté bille.
A sa décharge, le stylo acceptait au choix les petites ou les longues cartouches. Comme ces dernières étaient moins courantes, j'ai toujours employé des cartouches courtes. Quel plaisir de tomber en panne sèche au milieu d'une dictée et de pouvoir néanmoins continuer à l'encre, le changement effectué! A début, malhabile, j'en appelais à la bienveillance de mon instituteur afin qu'il marquât une pause à cet effet. L'expérience venant, je parvins plus tard à ravitailler pratiquement sans m'arrêter, comme en Formule 1.

Il y avait enfin le hublot dans le manche, permettant de contrôler le niveau d'encre. Que de moments miraculeux j'ai passés à admirer les jeux de lumière, le stylo levé en direction de la fenêtre. Quand le soleil traversait l'ouverture de part en part, c'était magique. Et si la cartouche avait coulé à l'intérieur du manche (voir plus haut), les plus beaux vitraux du monde ne supportaient pas la comparaison. Aujourd'hui, bien des décennies plus tard, j'ai un stylo Mont Blanc pour les grandes occasions: je me surprends parfois à regarder avec nostalgie les délicates nuances que ma lampe de bureau fait danser sur la paroi translucide du réservoir à encre.

4. Le mercredi, 25 janvier 2006, 01:20 par Bonal

Mon premier stylo-plume (1985 ou 1986 ? Avant cette date, la coopérative de notre école nous fournissait des stylos-bille bleus Reynold's) était en fait un stylo publicitaire de la société Desso, une marque de moquettes et de revêtements de sol pour laquelle mon père VRP travaillait. Il était gris, le bord du capuchon était rouge (comme le logo de la marque) et l'agrafe était en métal doré, ainsi que la plume. Lui ont succédé plusieurs Reynold's de qualité médiocre et, les années passant, des stylos un peu plus chers, dont le magnifique Waterman chromé que l'on trouve toujours en supermarché.

Il ne fallait surtout pas mettre une cartouche bleue effaçable dans un stylo ayant utilisé de l'encre turquoise ou noire, car il restait toujours un peu de cette dernière dans la tête du stylo, et le mélange involontaire des deux encres résistait à l'effaceur...

Je n'ai jamais compris à quoi pouvaient servir ces fameux buvards roses que nos instits exigeaient : s'ils étaient indispensables du temps où les écoliers utilisaient encore de l'encre de Chine et des porte-plume, en revanche leur intérêt était assez réduit en présence d'encres bleues effaçables dont le temps de séchage était relativement rapide. Mais je me rappelle que la plupart de mes instits avaient 45-50 ans... ceci explique cela.

5. Le dimanche, 3 août 2008, 14:53 par mike

En ce qui me concerne c'est plus ancien (60- 67),j'aimerais retrouver ,au moins en photo,ce porte plume ayant la forme des trois doigts ;donc ne permettant pas aux gauchers d'écrire de la "main du coeur" , à l'époque où nous écrivions encore à l'encre violette .

Merci, si vous l'avez ...

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