Et si je vous racontais mes vacances à Bordeaux ? Non mais ne partez pas tout de suite, l'idée c'est de raccorder ça à une réflexion un peu plus profonde sur l'état de l'humanité, rien que ça.

Il y a un bout de temps que je n'ai pas raconté mes vacances sur ce blog, parce que finalement, des vraies vacances, j'en n'avais pas pris depuis des  années, pour diverses raisons, dont le Covid, comme tout le monde. Mes gosses ont grandi et sont maintenant âgés 17 à 22 ans et c'est donc sans doute une des dernières fois qu'on se retrouvait tous ensemble hors de la maison : les pièces rapportées commencent à roder autour de la maison et nous piquer nos filles, bref, il fallait marquer le coup et partir loin.

Prenez la France, marquez grossièrement un point au centre, et faites une symétrie centrale de chez moi, ça donne : Bordeaux. Les antipodes en quelque sorte. Et comme il s'agit d'être dépaysé, puisque nous habitons à la campagne, nous avons choisi un appart en plein centre ville, ce qui est plus pratique pour les activités vu que nous partons en train.

Partir en train, pourquoi ?

Ça reste le moyen de transport longue distance le plus écolo quoi qu'on en dise, et puis j'aime pas la voiture. De plus, en train on peut lire, jouer, manger, dormir, donc c'est déjà un peu les vacances dès qu'on arrive à la gare de départ. À l'arrivée, on est frais et dispo pour attaquer les visites, découvrir la ville, faire les courses de première nécessité... Et tout ça sans risque d'accident ou de bouchon. Même pas 5 minutes de retard sur les trains malgré la canicule, bravo la SNCF. Bon, la bizarrerie, c'est que tout passe forcément par Paris. C'est contre intuitif quand on regarde la carte, mais c'est peut-être parce qu'on ne se rend pas compte du relief. La ligne Bordeaux-Lyon qui a failli réouvrir en 2022 n'étant plus en service, y a pas trop le choix. Mais vu que Paris-Bordeaux c'est... 2h ! On comprend que toute autre alternative soit difficilement rentable puisque tous les chemins (de fer) mènent à Paris, ça fait que deux points de la France métropolitaines sont rarement plus éloignés que 7h de TGV. En l'occurrence dans notre cas, 4h30 de train et 1h30 de correspondance entre Gare de Lyon et Gare Montparnasse où il faut se taper le métro. Il fut un temps où on pouvait éviter ça en passant par Marne la Vallée chez Mickey, mais il semble que cela ne soit plus possible, va comprendre pourquoi.

Bref, le train c'est bien, mais c'est cher, pour 5 personnes, ça m'a coûté un peu plus de 1100 € aller/retour alors qu'en voiture électrique, c'était de l'ordre de 150€ A/R  (350€ pour une thermique). Bon j'ai payé en partie en chèque vacances, donc ce n'est pas un coût net, mais dans tous les cas, c'est plus cher, aucun doute. Et ça oblige à rationaliser un peu ses bagages, encore que à 5 dans ma voiture, il aurait fallu faire des choix aussi.

L'hébergement

L'idée est d'utiliser les transports en commun une fois sur place, pour continuer à ne pas trop émettre de CO2. L'appart choisi était au pied d'un arrêt de tram (Porte de Bourgogne pour ceux qui connaissent), comme ça, à nous les déplacements rapides et pratiques dans tous les coins de la ville, à commencer par le premier trajet Gare - Appart avec les valises chargées à bloc. Sauf que... ça ne s'est pas passé comme ça. Figurez-vous que le tram était en travaux précisément aux dates qu'on avait choisies, et sur le bout de ligne qui nous intéressait. Je vous jure. On l'aurait fait exprès c'était pareil. Je suis revenu de Bordeaux aujourd'hui et les travaux s'arrêtent... demain !

Alors il y a les "bus relais" qui sont censés remplacer les trams manquants. Mais on voit bien que les bus relais, c'est un truc à destination des gens qui connaissent un minimum le patelin. S'embarquer avec trouze valises dans un bus random bondé, avec le bruit des travaux à côté de la gare qui aide pas à se concentrer, j'ai pas osé. Faut dire que j'avais le syndicat des trois adulescents prêt à sortir les banderoles dans mon dos, donc j'avais pas le droit à l'erreur. Comme il ne faisait pas encore si chaud, on a fait le trajet à pied en traînant nos valises sur 2.2 km. Ça a calmé d'emblée les velléités syndicales.

Nous arrivons "Porte de Bourgogne", charmant endroit en face du "Pont de Pierre" (le prénom, pas la matière, d'où la majuscule), plus ou moins mal fréquenté selon les heures car c'est un quartier qu'on pourrait qualifier de "populaire" quand on est politiquement correct. Et c'est un truc que j'ai trouvé bizarre à Bordeaux, mais je n'ai pas énormément d'expérience d'autres métropoles comparables : des quartiers de natures très différentes se côtoient pour le meilleur et pour le pire. Dans la rue dans laquelle se trouvait l'appart, on avait à 100 mètres à gauche les commerces les plus chics, les restos qui vont avec, les beaux quartiers, et à 100 mètres à droite des impasses sinistres qui sentent la pisse et où des troupeaux de mecs se finissent à la bière et s'interpellent d'un bout à l'autre de la rue.

Les travaux du tram n'arrangent rien puisque l'arrêt de bus qui fait "relais" est largement sous-dimensionné et sous-équipé (en poubelles notamment), donc des hordes de gens attendent là en plein cagnard, avec les glaces, sodas, cannelés, crêpes, emplettes qu'ils viennent de faire dans la rue Sainte Catherine toute proche, et... jettent tout ça avant de monter dans le bus dans l'unique poubelle riquiqui qui doit être pleine à ras-bord dès 8h du matin. Résultats : l'endroit est dégueulasse, et comme on imagine les apparts mal isolés, et trop petits, tous les habitants du coin attendent dehors que la température redescende en picolant sur le trottoir. L'originalité du lieu est que les alcooliques prolétaires qui se purgent à la bière bon marché croisent les jeunes bourgeois(es) qui se mettent minables au vin de Bordeaux. Tous passaient sous nos fenêtres (ouvertes, à cause de la canicule) à 2 du mat', avec leur trottinette/scooter/planche à roulettes sur les pavés... On voulait du dépaysement citadin, on l'a eu !

Bordeaux border-line

Bon c'est pas en six jours que je vais faire une thèse sur Bordeaux, d'autant qu'il y a forcément un biais de confirmation d'hypothèse dans ce que je vais dire là, sans parler du contexte canicule/feux de forêts particulier. Mais il m'a semblé que Bordeaux était l'illustration parfaite de la chute inéluctable et déjà entamée de notre civilisation thermo-industrielle. C'est aussi pour ça que j'aime bien être en vacances sans voiture : ça nous force à voir la ville en vrai, pas depuis un safe-space climatisé qui nous téléporte de l'hébergement de vacances à l'activité et vice-versa.

La ville m'a donné l'impression d'être en surrégime permanent :

- La plage d'entretien de la ligne de tram, pourtant sans doute choisie pour sa plus faible fréquentation, sature les voies de circulation de voitures, de piétons, de vélos, de trottinettes...

- La canicule durable excite les gens, force à ouvrir les fenêtres (et donc à entendre les gens excités, qui empêchent de dormir, ce qui excite d'autres gens), à monter les clim ce qui augmente la fréquence des canicules. Des tas de magasins climatisent encore la rue, portes grandes ouvertes et températures presque glaciales à l'intérieur.

- Les bagnoles qui circulent au pas en plein soleil ont les clims qui tournent à plein régime aussi. Entre les voitures et les bâtiments qui crachent leur calories la chaleur ressentie est détestable.

- Les gens boivent des hectolitres de sodas ou d'alcool, dont ils jettent les contenants partout, il faut sans cesse faire passer les camions de poubelles qui font un boucan d'enfer toutes les nuits. Faut-il fermer les fenêtres et lancer les clims qui font encore plus de bruit pour les autres ? D'autres camions livrent au petit matin des palettes de trucs qui seront vendus et consommés dans la journée qui feront autant d'emballages à collecter avec de nouveaux camions de poubelles.

- Comme le ramassage ne suit pas car il n'y a plus assez d'heures dans une journée, plus assez d'éboueurs peut-être, de camions ? Les rats finissent le boulot, on en a vu plusieurs dans la rue, dans les parcs.

- La canicule assèche la Garonne, les moustiques prolifèrent dans les eaux stagnantes qui se forment au bord du fleuve, on a cumulé pas loin d'une centaine de piqûres à nous 5, car obligés de dormir les fenêtres ouvertes à cause de la chaleur.

etc etc, vous voyez que rien que sur le thème Canicule / Déchets / Bruit (et je vous passe le thème Tourisme / Transports / Inégalités, le thème Handicap / Culture / Education... et des dizaines d'autres qui eux-mêmes s'entrecroisent), on se trouve dans des boucles de rétroaction qui ne sont pas faciles à résoudre. En informatique on appellerait ça des fuites mémoires ou des boucles infinies et on sait que ça finit toujours mal. Il y a un problème de conception du modèle, un problème systémique que chacun (y compris moi) va voir du petit bout de sa lorgnette. Pour les uns, c'est parce qu'il y a trop de vélos et de pistes cyclables que ça ne roule pas bien, pour d'autres, c'est au contraire le tout-voiture qui fout la merde. D'aucuns incrimineront l'alcool, la religion ou les hommes en général pour les incivilités observées. Tant qu'on ne prend pas le truc dans sa globalité, il n'y a aucune chance qu'on en sorte.

Les activités

Je ne voudrais pas réduire mon séjour à ce constat écolo-décroissantiste qui déborde largement des frontières de la métropole bordelaise. Donc voici pêle-mêle ce qu'on a fait de plus marquant et les commentaires qui vont avec :

Le miroir d'eau : La place de la bourse est recouverte de quelques centimètres d'eau ce qui donne un effet miroir, puis ça se vide, puis on devrait avoir un effet brouillard, mais on n'a jamais pu l'observer. À cause de la température ? En tout cas, c'est vraiment pas magique comme spectacle à cette période au moins. Peut-être plus rigolo par temps froid quand tout le monde ne patauge pas dedans ?

En revanche, les quais de la Garonne sont bien animés le soir, les gens s'installent pour pique niquer entre les rangées de fleurs pseudo-sauvages qui ont été semées là et entre deux animations de rues plus ou moins improvisées. On a aimé les jeunes qui font de la break-dance/du hip hop, les patineuses à roulettes qui sont là tous les soirs, une vraie ambiance d'été qu'on n'a pas dans notre village de 700 habitants.

La base sous marine : Les allemands ont pris le temps de construire une base de U-Boot quand ils occupaient Bordeaux. Les allemands et les sous-marins sons partis, mais la base est restée, et c'est devenu un lieu d'exposition d'art numérique. Concrètement, à l'intérieur des bassins qui accueillaient jadis les sous-marins teutons, sont projetées des images sur toutes les parois sur le thème de l'exposition du moment au rythme d'une musique classique. En ce moment, c'est "Venise, la Sérénissime" et donc ce sont essentiellement des oeuvres peintes de Venise et de vénitiens qui éclaboussent les murs et le sol de la base sous-marine pendant un peu plus d'une heure. On a trouvé ça à la fois bluffant et décevant. Bluffant parce que techniquement c'est chouette, bien réalisé, une ambiance particulière au milieu de ces grands hangars où l'on peut déambuler pendant le spectacle. Ça m'a fait penser à ces "mégadémos" qu'on collectionnait sur Amiga/Atari (d'ailleurs, il me semble que l'une d'elles avait comme bande originale "Das Boot" des U96 qui a été utilisée en intro de l'expo de la base sous-marine). Décevant parce que le spectacle n'a ni queue ni tête. Aucun but pédagogique, aucune trame, on voit défiler des tableaux, apparaître/disparaître des morceaux, pas de chronologie, pas de progression didactique, c'est juste censé être beau, et ça l'est la plupart du temps, mais bon, zoomer sur des tableaux sans autre contexte que "Venise" pendant une heure de temps, ça va bien...

Les transports en commun : Ce n'est pas vraiment une activité, mais il fallait que j'en parle quelque part : Bordeaux a eu la bonne idée d'intégrer à son offre de TEC des navettes en bateau sur la Garonne. Et donc, plutôt que de prendre le tram qui de toute façon était en travaux, on a fait un bout de chemin en bateau et c'était super agréable, d'autant que les bateaux sont hybrides diesel/électriques, et font donc très peu de bruit et ne puent pas. Chose amusante également : le tramway de Bordeaux est "hybride" d'une certaine façon : quelques portions sont alimentées par le sol et d'autres sont alimentées par des fils aériens. Et lorsque c'est alimenté par le sol, c'est sans danger pour les piétons bien sûr, au contraire du métro parisien. Du coup, je me demande pourquoi ils n'ont pas tout fait par le sol, c'est quand même bien moins moche...

La grande roue : C'est un peu un attrape-touristes mais au final, c'était pas désagréable à faire, de nuit. Aucune sensation si on n'a pas le vertige, mais ça reste impressionnant de voir la ville d'aussi haut. À noter que la place des Quinconces sur laquelle la roue est posée est gigantesque, la plus grande de France et parmi les plus grandes d'Europe.

Escape-room "La lettre d'Einstein" (Le passage) : Au milieu de dizaines d'escape-room sur le thème "fantastique-horreur" qu'il y a à Bordeaux, il y a cette salle plus classique qu'on a trouvé excellente. J'ai particulièrement aimé le souci de la cohérence qui va jusque dans les détails du décor et la mise en contexte. Et je ne parle pas de l'accueil et du contact avec Barnabé-qui-se-marie-dans-un-mois qui étaient exceptionnels. Bref, j'ai pas testé les autres escape de Bordeaux, mais si vous ne devez en faire qu'une, faites celle-là quand même, elle est bien (j'ai pas d'actions, mais faut aider les créations artisanales et originales plutôt que les grosses franchises).

Un petit tour à Arcachon : Vu que la moitié de la famille est allergique au soleil et que mon dermato m'interdit de sortir entre 11h et 16h sans manches longues depuis mon mélanome malin, on n'est pas trop du genre à se dorer la pilule à la plage. On a donc pris le TER pour Arcachon (60€ aller/retour pour 5 personnes : qui a dit que le train était cher ? Moi, mais je parlais du TGV) sur la journée et on a vu l'océan et le parc Mauresque. Arcachon semble plus propre que Bordeaux. Par contre, ça a l'air d'être un enfer semblable en voiture. Allez-y à vélo ou en train !

Calicéo : Les derniers jours étaient encore plus caniculaires que les premiers, on a cherché un endroit pour se baigner sans le soleil et sans la foule, on a trouvé ce truc de balnéothérapie à l'autre bout de Bordeaux, mais c'est un bout où le tram n'était pas complètement en travaux ! Donc après bus + tram, on arrive dans des quartiers à nouveau très mélangés où d'une rue à l'autre, le loyer doit faire *2. C'est une piscine de vieux, sans toboggan (donc sans gosses qui crient !), mais avec sauna et hammam (j'ai pas testé mais mes filles, oui), bains bouillonnants et piscine chaude intérieure et extérieure (pas bon pour le bilan CO2, ça). C'était pas désagréable et sans doute une des rares choses qu'on pouvait faire cet après-midi là sans mourir desséchés.

Pour conclure

Je suis bien content d'habiter à la campagne et d'aller au boulot en vélo (électrique). Mais voir de temps en temps une métropole et pratiquer simplement toutes les activités qui vont avec, c'est enrichissant. Je ne sais pas quel modèle de société pourrait nous permettre d'avoir le meilleur des deux mondes, mais il me semble que plus on centralise les choses, plus on va vers de gros problèmes. Notre société est encore beaucoup trop verticale et hiérarchique pour affronter les défis écologiques qui sont déjà là. Internet a commencé de faire éclater tout ça, mais si on repart dans un modèle en silos avec tout le monde chez Google / Meta / Twitter, ça va pas s'arranger. Et quand le tram Google sera en travaux, ça sentira la pisse et y aura des rats dans toutes les ruelles d'internet...

Message à ceux qui le peuvent parce qu'ils ont la compétence technique : monter votre serveur, alimentez-le par des panneaux solaires, ouvrez votre propre blog et votre cloud privé, votre serveur de messagerie, même. Il faut éparpiller l'internet façon puzzle, et faire pareil avec les villes ensuite. ce sera bien plus résilient en cas de canicules durables.

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