Quelques réflexions à l'approche de l'anniversaire de la naissance du mouvement des gilets jaunes.

Bientôt un an que le mouvement des gilets jaunes "s'essouffle" de semaine en semaine aux dires du gouvernement et des médias aux ordres et tout le monde y va de son petit commentaire pour expliquer ce que les gilets jaunes devraient faire pour relancer la machine et atteindre la "maturité politique".

Ne voir qu'une seule tête, pour mieux la couper

La "maturité politique" dans un système représentatif comme le nôtre, c'est se ranger sagement derrière un parti ou un syndicat et ne plus manifester que si la direction dudit parti ou dudit syndicat l'a décidé, et comme elle l'a décidé. Les éminents penseurs qui font ce genre de propositions aux gilets jaunes n'ont décidément rien compris à la nature-même du mouvement, multiforme et horizontal dès sa naissance.

Bien sûr, c'est extrêmement confortable de fédérer contre une idée (la taxe sur le carburant, l'abandon de l'ISF) ou une personne (Macron) et bien plus difficile de se mettre d'accord pour une alternative construite. C'est tout l'enjeu de la poursuite du mouvement qui se trouve là, et qui pousse les éditorialistes à exiger des gilets jaunes une clarification de ce qu'ils désirent, plutôt que d'empiler les raisons de leurs colères, samedi après samedi. Mais c'est un piège, à mon sens, qui a pour but de diviser le mouvement et le diluer dans la démocratie représentative moribonde contre laquelle les gilets jaunes se battent depuis le début.

Les anti contre les lobbies

Les écologistes sont depuis longtemps confrontés au même type de problème puisque leur existence même vient de leur opposition à un modèle industriel qui détruit les éco-systèmes. Ce qui les rassemble, c'est d'être contre quelque chose. Ainsi on trouvera de nombreux anti-nucléaires qui ne seront pas d'accord sur la ou les alternatives à mettre en place : décroissance, éoliennes, photovoltaïque, hydraulique... Si un groupe parvient à se mettre d'accord sur une alternative, on le qualifiera alors péjorativement de lobby (on parle de plus en plus du "lobby éolien", qui englobe à la fois les industriels peu scrupuleux qui exploitent les moulins à vent et les ONG qui défendent le recours aux énergies renouvelables). Être dans l'opposition à quelque chose, c'est toujours se trouver dans cet entre-deux malaisant.

Les exemples politiques d'oppositions qui ont véritablement construit et débouché sur une alternative sont peu encourageants. Que ce soit le programme commun de Mitterrand, la gauche plurielle de Jospin ou plus généralement le parti socialiste, il y a toujours eu un cocu dans le groupe, et souvent ce fut celui le plus à gauche.

Comment représenter les différences ?

Si la démocratie représentative fait aujourd'hui référence dans la plupart des pays occidentaux, il ne faut pas oublier qui l'a théorisée, mise en place, dans quel contexte et dans quel but. Se souvenir d'abord que les penseurs de l'époque révolutionnaire, aux États-Unis comme en France, étaient farouchement opposés à la démocratie qu'ils considéraient comme dangereuse et inefficace. Francis Dupuis Deri les qualifie même d'agoraphobes, car leur haine du peuple et surtout du peuple qui prétend gouverner par lui-même n'est même pas dissimulée :

suivant l’esprit des fondateurs, le système représentatif n’est qu’une forme raffinée
d’incarnation de cette agoraphobie qui a toujours caractérisé la pensée
et l’action politique.

 

Personne n'aurait eu l'idée, à l'époque, de qualifier de démocratie le régime représentatif qui se voulait justement opposé à la démocratie. Ce n'est qu'à partir du milieu du XIXème siècle que le concept de "démocratie représentative" a été inventée à des fins de marketing politique, pour attirer les suffrages populaires qui, déjà, boudaient les isoloirs.
 
La démocratie, la vraie, prend acte des différences de point de vue, au lieu de chercher à les catégoriser dans des courants de pensée représentés par des structures établies. Et ce faisant, elle organise le débat public pour permettre la prise en compte des différents avis de la meilleure manière possible : en organisant la rotation des charges, permettant à chacun d'être gouvernant puis gouverné, et en sélectionnant les personnes à qui l'on confie des responsabilités politiques par le tirage au sort plutôt que l'élection (dont les défauts sont connus et théorisés depuis des siècles).
 
Trouver un socle commun et devenir constituant
 
Dès lors que l'on admet que nous sommes tous différents et tous légitimes à participer à l'organisation de la cité, se pose la question du plus petit dénominateur commun qui nous permette de vivre ensemble, ce qui devrait ressembler à une Constitution. Et les gilets jaunes qui très tôt ont demandé un RIC en toute matière ont fait preuve d'une pertinence remarquable. Il s'agit en effet d'organiser la prise en compte de nos différences de point de vue afin d'apaiser les tensions qui se créent inévitablement entre les avis divergents, même lorsqu'ils sont tous légitimes. On est loin, très loin, du discours TINA (There Is No Alternative) qui considère au contraire qu'une seule politique est possible, puisque l'on constitutionnaliserait avec le RIC le fait de pouvoir changer d'avis autant que nécessaire.
 
La seule issue positive du mouvement des gilets jaunes, c'est de parvenir à écrire et imposer de nouvelles règles du jeu, sous la forme d'une Constitution avec laquelle chaque citoyen se sentirait à l'aise. Les assemblées des assemblées des gilets jaunes ainsi que de nombreux autres rassemblements s'y exercent et progressent à une vitesse vertigineuse, malgré leurs différences de points de vue.
 
Revendiquer une opposition radicale
 
Les gilets jaunes doivent résolument rester contre tout pour aboutir à quelque chose. Toute tentative de construction politique dans le cadre des institutions actuelles sera vaine et contre-productive car elle désactivera le germe révolutionnaire qui a fait éclore le mouvement. Il ne s'agit plus de négocier la longueur des chaînes.

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