En marche funèbre

Dans quel système politique tordu les citoyens doivent-ils manifester pour que les évidences scientifiques soient prises en compte par les tenants du pouvoir ? Va-t-on bientôt défiler pour faire prendre conscience aux gouvernements que la terre est ronde et que deux et deux font quatre ?

Si l'on y réfléchit bien, cette situation n'a vraiment aucun sens et nous rappelle que la dernière fois qu'un pouvoir s'est élevé contre la science, l'Église a enfermé Galilée. Pris dans le tourbillon de l'habitude, et parce qu'on a toujours fait comme ça, manifester pour se faire entendre, on ne sort même plus la tête de l'eau pour réaliser à quel point ce moment est absurde. Il me semble que l'une des promesses de la démocratie représentative, c'est la hauteur de vue supposée de ses dirigeants, par rapport au vulgum pecus tourmenté par ses affaires quotidiennes et réputé incapable de penser au-delà de son entourage et de ses affects immédiats.

On a donné le pouvoir aux élus pour qu'ils voient plus loin que le bout de notre nez, or, les problèmes posés par la croissance infinie sont connus depuis les années 70, au moins, grâce entre autres aux travaux du Club de Rome de Dennis Meadows. Non seulement rien n'a été entrepris depuis pour inverser la vapeur, mais au contraire tout a été multiplié, précipité, accéléré.

On a donné le pouvoir aux élus pour qu'ils gèrent doctement le budget de l'État, or, cela fait des décennies qu'ils n'ont pas voté un seul budget à l'équilibre. Pardon, quatre budgets ont été voté à l'équilibre depuis 1965. Quatre misérables budgets à l'équilibre sur cinquante-quatre !

On a donné le pouvoir aux élus pour qu'ils aménagent le territoire, or, ils ont artificialisé les sols, dépeuplé les campagnes, entassé les gens en ville, tracé des routes, des autoroutes et dessiné des grands projets inutiles à longueur d'années, n'obéissant qu'à leur folie des grandeurs, leur copinage avec le monde du BTP et leurs impératifs électoraux.

On a donné le pouvoir aux élus pour qu'ils administrent notre patrimoine, or, ils ont bradé et continuent de vendre à la découpe tous nos fleurons industriels et ils ont saccagé notre biodiversité en s'agenouillant devant les lobbies sanguinaires.

On a donné le pouvoir aux élus pour qu'ils décident du meilleur pour nos retraites, or, ils s'aperçoivent sur le tard que la baisse continue des cotisations ne permettra plus de les financer. Mais quelle surprise ! Alors que la richesse produite a été multipliée par cinq ou six depuis la mise en place de notre régime de retraites par répartition, il n'est plus possible, parait-il, de le financer.

On a donné le pouvoir aux élus pour qu'ils fassent preuve d'intégrité et de probité, or on ne compte plus le nombre d'affaires politico-judiciaires ou politico-financières qui secouent les plus hauts niveaux de responsabilités. Pendant que les caissières sont renvoyées pour des fraudes de quelques dizaines de centimes, pendant que des gilets jaunes éborgnés croupissent en garde à vue préventive, Isabelle Balkany, condamnée à trois ans de prison ferme pour fraude fiscale, dirige la mairie de Levallois-Perret à cause de l'empêchement de son mari maire et condamné lui aussi.

On observe ces incongruités partout sur la planète, quel que soit le gouvernement, quel que soit le parti au pouvoir. La droite, la gauche, l'extrême-droite, l'extrême-gauche... échouent toutes à proposer un modèle viable. Ce n'est pas Macron, Balkany, Trump ou Bolsonaro, le problème, puisque c'est partout dans le monde et à toutes les époques que la situation peut et a pu s'observer. C'est bien le système électif qui est cause : il ne permet pas de sélectionner les bonnes personnes et donc de prendre les bonnes décisions.

En conséquence, dans tous les pays, les citoyens se soulèvent et marchent pour le climat, obtenant dans le meilleur des cas l'attention des médias, et dans le pire, des coups de matraques, de lacrymogènes et de flash-ball.

Des coups de matraques pour oser dire dans la rue que la Terre n'est pas le centre de l'Univers à des gens qui sont élus et (grassement) payés pour le savoir mieux que nous, et agir.