Politique et mathématiques ne font décidément pas bon ménage

Je reviens une nouvelle fois sur cette tendance à se fier à des données chiffrées pour faire des choix politiques. Deux discussions récentes sur les rézosociaux me montrent à nouveau les dégâts que peuvent causer l'application d'une méthode soi-disant scientifique pour faire un choix politique.

Sur un forum lié à la voiture électrique, nous parlions de l'opportunité de se passer du nucléaire pour alimenter nos bagnoles. L'un de mes interlocuteurs me dit alors de "comparer les nuisances à puissance équivalente" (entre les énergies renouvelables et le nucléaire), pour déterminer ce qui est le plus judicieux/intéressant.
De prime abord, cela ressemble à une démarche objective et neutre, propre à se forger une opinion éclairée. Mais en fait non. C'est une méthodologie réductionniste.
On part en effet du principe qu'entre deux sources d'énergie qui fournissent la même puissance, c'est forcément celle qui apporte le moins de nuisance qui est préférable. Sauf que pour comparer les nuisances, il faut tenir compte du contexte. Si l'endroit où l'on produit et consomme l'énergie est très ensoleillé, le bilan global du photovoltaïque sera meilleur. Sans cours d'eau à proximité pour le refroidir, un réacteur nucléaire ne pourra simplement pas fonctionner, même si sur le papier, sa capacité à produire de l'énergie est gigantesque.
Par ailleurs, cette formulation sous-entend que nous sommes d'accord sur ce qu'est une nuisance. Or nous ne le sommes pas. L'intermittence des énergies renouvelables qui va occasionner des coupures, ou nécessiter des solutions de secours potentiellement polluantes, cette intermittence est-elle une nuisance plus ou moins importante que la gestion des déchets nucléaires sur plusieurs générations ?
Pour se mettre d'accord sur ce qu'est une nuisance, les mathématiques ne suffiront pas, à la fin, il y aura un choix politique. Chacun, en fonction de sa propre perception des choses, aura à se positionner sur les risques et les intérêts de telle ou telle technologie.

Deuxième exemple, l'agriculture conventionnelle comparée à l'agriculture bio. Jacques Caplat explique très bien la chose suivante : lorsqu'on compare les rendements du bio et du conventionnel, on se contente généralement de prendre une semence sélectionnée pour sa faculté à être cultivée intensément (homogénéité du produit, adaptation au climat tempéré, résistance aux insecticides, réaction positive aux engrais...), et de la cultiver conventionnellement d'une part, et sans engrais ni pesticides d'autre part. Devinez qui l'emporte à chaque fois ? Et les études "scientifiques" de conclure : l'agriculture bio ne permettrait pas de nourrir la planète, parce que les rendements sont tout pourris.
Mathématiquement, c'est imparable, on trouve d'ailleurs des dizaines d'études parfaitement bien documentées et chiffrées pour expliquer tout ça.
Mais l'agriculture bio, c'est d'abord et avant tout l'association de cultures, et la sélection de la semence la plus adaptée au contexte, au lieu d'adapter l'environnement à la semence. Les cultures multiples comme les trois sœurs ont des rendements à l'hectare imbattables, mais qui ne correspondent à rien en agriculture conventionnelle car ce n'est pas mécanisable. Dès lors, les maths seules ne suffisent plus à déterminer ce qui est le meilleur pour l'Homme et/ou la planète. Il faut nécessaire en passer par la politique, au sens noble du terme c'est-à-dire l'organisation de la société que l'on souhaite.

Les exemples sont nombreux de "réductionnisme" pour faire échapper à la politique des décisions importantes. Le recul de l'âge de la retraite se base ainsi sur des calculs contestables de l'espérance de vie (fortement influencée par la mortalité infantile, donc sans rapport avec l'âge de la retraite).

Il faut donc bien garder en tête qu'une démonstration scientifique ne suffit pas à déterminer le meilleur choix politique. C'est un élément de décision, bien sûr, mais loin, très loin d'être suffisant.

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