J'aime bien cette notion d'une somme de détails qui passent inaperçus, mais peignent un tableau d'ensemble que seul l'observateur attentif peut déceler.

Bon, ça fait dix ans que je vois des signaux faibles partout, et que j'en parle ici. Ça doit vous fatiguer à force, en fait non, vous ne me lisez plus depuis longtemps et vous avez bien raison.
Un signal faible, bien sûr, par définition, ne fait pas les gros titres des journaux. Pas même les petits d'ailleurs. Je ne vous parlerai pas du blocage des raffineries, même si ça fait partie du même tableau que je vois se dessiner trop lentement à mon goût.

La semaine dernière, j'étais à une réunion de famille. Une grosse réunion pour une grosse famille. On était une bonne centaine, quatre générations descendant d'un seul et même couple d'agriculteurs du Haut-Doubs décédés il y a plus de vingt ans. L'événement se produit de temps en temps, mais cette fois-ci, tout a changé. C'était la première réunion de famille 2.0. Organisée par mail, partage des photos sur un cloud privé, on a changé d'époque. Mais surtout, ce qui m'a frappé, ce sont nos discussions. Entre cousins, entre oncles et neveux, on a parlé de permaculture, de voitures électriques, de démocratie. Pas que, bien sûr, et pas tout le monde. Mais ces sujets sont revenus plusieurs fois sur le tapis, de diverses manières, et toujours constructive. Ma famille, comme tout le monde je crois, est inquiète pour ses enfants. Quel meilleur endroit qu'une réunion familiale élargie, où la peur du jugement d'autrui est atténuée par ce qu'on a partagé depuis tant d'années, pour aborder ces sujets ?

Autre signe, spontané, incongru. Au détour d'un jeu anodin pendant cette même journée, les personnes exerçant un métier lié à la banque sont invités à se lever (il s'agissait pour un groupe de personnes de deviner qui se levait et pourquoi). Deux (ou trois ?) employés de banques se lèvent, et lorsqu'est dévoilé ce qui les réunit, la banque, ils sont spontanément hués par tout le reste de l'assemblée. Cela n'avait rien de personnel bien sûr, et c'était potache plus que méchant. Mais que ce métier s'attire un tel mépris m'a semblé éloquent sur l'époque que nous vivons.

Pour terminer avec cette journée en famille dont vous n'avez que faire, un de mes cousins s'est lancé dans la fabrication de cajones. Ce sont des instruments de percussion en forme de caisse sur lesquels on s'assied, ou qu'on prend entre ses jambes pour taper dessus avec les mains. Et bien devinez quoi ? Ils sont faits à partir de bois de récupération, des chutes de planches destinées à être brûlées, sauvées de la fournaise pour un usage noble. Si le concept vous intéresse, allez faire un tour sur le site de Fen & Cole, ils font des chouettes trucs.

Autre signal faible, autre monde. Le 17 mai dernier, la Quadrature du Net publiait un communiqué de presse intitulé La Quadrature du Net sort de l'état d'urgence. La Quadrature, c'est cette association qui épluchait les textes de lois pour mieux déposer des recours juridiques contre toute loi liberticide, et veillait à faire transposer dans le droit français tout ce qui permet aux internautes de surfer librement, comme si nous étions dans une démocratie (ce qui n'est pas le cas, je le rappelle - et ça ne veut pas dire que nous sommes en dictature, je vous vois venir).
Dans un article du 31/12/2014, je parlais de la neutralité de tout (et pas que du net) et me désolait que les agitateurs comme la Quadrature se bornaient à raisonner dans un cadre déterminé (le gouvernement représentatif) au lieu de sortir du cadre. Eh bien voilà, eux aussi se sont rendus compte que leur combat était vain, ils abandonnent l'espoir de changer le monde par les institutions en place. Je cite le communiqué :

Ce n'est pas la multiplication des consultations et autres embryons de processus participatifs qui redressera le cap, tant que les logiques politiques d'autrefois continueront de prévaloir.
(...)
Nous espérons que cette réorientation de notre action incitera encore davantage de personnes à s'engager à nos côtés et à travailler à la construction d'un monde numérique digne d'une société démocratique. Nous invitons les autres associations ou groupes avec qui nous travaillons déjà ou qui partagent nos objectifs et constats à nous soutenir et accompagner dans cette démarche de ré-enrichissement du débat, afin de mieux peser dans les combats politiques et législatifs de demain.

Bienvenue à bord, les gars. Objectif : la démocratie.

Commentaires

1. Le mardi, 24 mai 2016, 08:56 par Nath

J'y crois également aux signaux faibles. Dans le même temps, la "bête" sera dure à abattre. Et elle a les moyens de se défendre...

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