Résistance & contre-culture ouvrière : les chaînes de montage de Peugeot (1972-2003)

Laissez-moi vous parler d'un (vieux) bouquin qui m'a passionné ces dernières semaines :



Je l'ai échangé avec son auteur contre deux barils de ma propre lessive, il n'y a même pas un mois et depuis, j'ai déjà dévoré les 400 pages.
Ce livre écrit par un ouvrier de chaîne dans l'usine PSA toute proche de chez moi est une sorte de blog avant l'heure (commencé d'écrire en 1972, pensez-donc l'avance de Marcel Durand, alias Hubert Truxler, l'auteur du livre !). Il décrit le quotidien infernal et ubuesque des ouvriers sur une chaîne de montage de voiture. Sans complaisance ni pour les patrons, ni pour les ouvriers, ni pour les syndicats, et sans filtre dénaturant le propos puisqu'écrit le soir, de la main-même qui visse les boulons graisseux la journée.

Ces écrits sont rares, car peu d'ouvriers écrivent. Encore plus rares sont ceux qui le font sans appartenir à une centrale syndicale pour donner une vision très orientée et revendicative de la réalité des choses, ou encore en romançant leur propos.
Je ne vous cache pas que si le bouquin m'a personnellement touché, c'est parce que j'y ai retrouvé une part de mon histoire familiale. Il y a quelques décennies, ici, tout le monde travaillait chez Peugeot. La région ne vivait que par et pour l'usine. C'est comme Michelin à Clermont Ferrand et les mines de Forbach, c'est inscrit dans le paysage, cela a façonné les carrefours et le relief, tracé des autoroutes et rythmé la vie sociale du coin.

Mon père travaillait de tournée, prenait sa mobylette, par tous les temps, et partait s'esquinter les oreilles et les mains à l'usine. En rentrant, il nous racontait les histoire du "petit portugais", du "milo", et de tout un tas d'autres sobriquets dont s'affublaient les ouvriers entre eux et dont on retrouve trace dans le livre.
Et parfois, il y avait la grève. Le livre en raconte deux plus dures que les autres, et j'ai retrouvé dans ces mots l'inquiétude, la révolte, l'impuissance, le doute, qui habitaient les yeux de mon père dans ces périodes, mais qu'à l'époque, je ne saisissais qu'en partie. Les cadres mobilisés malgré eux pour encadrer les grévistes, souvent de leur famille. Les fins de mois difficiles. Les menaces à peine voilées. Les samedi rattrapés...

Le management, l'arrivée de la "qualité" sont particulièrement écorchés également, ce n'est pas pour rien que l'auteur a apprécié "Pôle H" et a provoqué notre rencontre, on retrouve des idées communes !
On mesure bien, aussi, la distance de certains ouvriers avec les syndicats prétendant les représenter, entre ceux qui collaborent ouvertement avec le patron et les autres qui organisent leur puissance sur le dos des travailleurs.

Succession d'anecdotes drôles ou pathétiques, plus ou moins chronologiques, ce livre m'en a appris davantage sur la condition ouvrière, et mesurer encore ma chance de travailler dans un bureau au calme avec un salaire sans comparaison.

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