Le doute est-il permis ? Le doute est-il souhaitable ?

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais il y a des professions qui ne supportent pas le doute. Par exemple, quand vous allez voir votre médecin pour un petit bobo, il ne vous dit jamais "Je ne suis pas trop sûr, mais je crois bien que vous avez quelque chose qui ressemble à une angine". Il vous dit, et de préférence en utilisant des termes peu usités et d'un ton sûr de lui : "C'est une pharyngite". La fois suivante, vous revenez avec les mêmes symptômes, et vous arrivez en disant "Je crois que c'est une pharyngite", et il vous répond après auscultation : "pas du tout : c'est un oedème angio-neurotonique héréditaire".

Loin de moi l'idée de vouloir remettre en cause le diagnostic du médecin, mais cette assurance me trouble, car le corps humain est au moins aussi compliqué qu'un ordinateur et j'ai souvent bien de la peine à poser un diagnostic aussi précis quand je détecte un problème sur un ordinateur. Mais surtout, à force de suivre des médecins sur twitter ou de lire leur prose ici ou là, je me dis que du point de vue du placebo, le geste et la parole du médecin sont déterminantes pour la guérison. Si vous sortez de son cabinet en vous demandant s'il ne vous mène pas en bateau, vos chances de guérison diminuent. D'ailleurs, le plus souvent, on est soudain beaucoup moins malade dès qu'on atteint la salle d'attente, car le processus mental de guérison est déjà commencé.
Je ne sais pas si c'est une consigne donnée aux futurs médecins pendant leurs études (s'il y a un certain pharmacien qui passe par ici, il peut éventuellement nous en dire un mot), ou si c'est une sorte de déformation professionnelle qui s'acquiert rapidement, mais en tout cas, on ne retrouve pas ça chez un garagiste ou un réparateur de machine à laver.

Il y a un autre corps de métier où j'observe cette assurance à toute épreuve, c'est chez les cadres dirigeants. C'est incroyable l'aplomb que peuvent avoir ces mecs-là. Ici, il n'est pas question de placebo, car les résultats de l'entreprise ou du secteur dans lequel ils entreprennent ne réagissent pas à ce genre de stimuli. On est plus dans la prophétie, ici : "Notre objectif pour 2014 est de doubler notre chiffre d'affaire en réduisant les effectifs d'un tiers, et ceci sans aucun licenciement, et en améliorant notre empreinte écologique". Affirmer sans douter ce genre de choses, c'est surtout s'assurer de ne pas voir les grains de sable qui vont enrayer la machine.

Et on retrouve ça au plus haut niveau des managers, à savoir, les ministres. Ainsi quand Hollande demande à ses ministres de décrire la France en 2025, ils projettent leurs fantasmes avec un aplomb déconcertant|fr]. Moscovici prévoit le plein emploi pour dans 12 ans ! Rendez-vous compte ! Ce qu'on appelle le plein emploi dans les années 60 n'en était déjà pas (c'était le plein emploi des hommes, tout au plus, donc la moitié des gens n'avaient pas d'emploi salarié, ou si peu), mais lui est capable d'affirmer ce genre d'énormité sans sourciller.
Montebourg explique quant à lui que les industries vont devenir le fleuron français, sans expliquer comment et pourquoi elles se priveraient d'exploiter la main d’œuvre bon marché chinoise.

Les prévisions de croissance, examinées à posteriori sont également une belle occasion de se gausser de leurs affirmations péremptoires du passé. Ça ira toujours mieux demain... ou pas.

Dirigés par de telles pointures, pétries de certitudes et dans le discours desquelles le doute n'a pas sa place, nous sommes bien évidemment assurés... d'aller dans le mur. Incapables de reconnaître leurs erreurs passées, ni de tabler sur des objectifs raisonnables, ils vendent du rêve et on achète bêtement. Hollande disait le 9 septembre 2012 : "Nous devons inverser la courbe du chômage d'ici un an". Il n'a plus que quelques jours. Vous croyez qu'il va y arriver ? Moi j'ai comme un doute.

Commentaires

1. Le samedi, 24 août 2013, 19:53 par Galuel

Plus profondément il faut bien comprendre qu'il s'agit de prévisions concernant ce que NOUS déciderions de faire ou de ne pas faire.

Etant donné que c'est celui qui entend ce discours qui est censé faire ce qui est dit dans ce même discours, et qu'en réalité il est hors de question que celui qui entend ce discours fasse quoi que ce soit qui aille dans ce sens qui n'est pas celui souhaité, il est fatal qu'il ne peut s'agir que d'inepties.

Il suffit donc juste de comprendre qui donc a véritablement les mains sur les manettes. Jouer ou ne pas jouer, telle est la question.

2. Le samedi, 24 août 2013, 21:19 par Stef

Déjà pour répondre partiellement a ta question, il n'y a pas de formation ni de consignes dans les études de santé quant au ton employé avec les patients. Par contre c'est un peu une déformation professionnelle en effet, il faut juste faire attention de ne pas aller trop loin et ne pas tomber -même involontairement- dans la promesse impossible. Il m'arrive fréquemment de dire à mes patients "Non, ça ne va pas vous guérir mais ça va diminuer les symptômes".
Chez le médecin, l'échec est mal perçu (surtout par le patient !), donc en général il est préférable de proposer une solution pour botter en touche (examens complémentaires, orientation vers un spécialiste).
De nos jours on a du mal à entendre que la médecine ne peut pas résoudre tous les problèmes de santé alors j'imagine que le corps médical adapte son discours. Par chance on est encore loin de l'optimisme démesuré des politiques qui nous prennent vraiment pour des cons. D'ailleurs j'ai aussi trouvé que ces dernières semaines ont été très fortes dans ce domaine...

3. Le samedi, 24 août 2013, 21:52 par viconte

Quelqu'un a entendu Copé répondre sur France 2 ce soir ?

Lui propose de baisser les impôts de 10 % et de compenser avec la TVA et en revoyant les salaires de certains fonctionnaires, ainsi que leurs temps de travail ! Faut de l'aplomb pour dire ca sans sourire...

Je me suis demandé ce que la majorité des moutons ont dû retenir...
- Il va baisser les impôts,
- si le pays va mal, c'est parce qu'il y a trop de fonctionnaires.

... En gros, suffit de supprimer quelques fonctionnaires, et la crise va passer sans que ca nous coute rien (...enfin, si on n'est pas fonctionnaire ;)), ce qui statistiquement, est le cas d'une majorité de français...)

Les gens retiennent ce qu'ils ont envie d'entendre, surtout quand c'est affirmé avec aplomb... Ca doit s"analyser en étude de comportement ca ! En tous les cas, tous les beaux parleurs le savent, consciemment ou pas !

4. Le samedi, 24 août 2013, 22:37 par FilGB

Sans être médecin mais pour cotoyer des étudiants en médecine régulièrement, et notamment ma pote interne actuellement en 7e année, non y'a pas de formation à l'aplomb.
Et apparemment, c'est plutôt une déformation professionnelle due aux patients qui s'attendent à ce que le médecin trouve avec certitude LA cause de leur mal. Alors que selon elle, qui bossait aux urgences gyneco quand on en parlait, donc imaginez la complexité des situations, parfois, c'était vraiment des pronostics au doigt mouillé (sans jeu de mots sur ce coup) et elle, jeune interne, n'hésitait pas à dire clairement aux patients que la médecine n'était pas une science exacte.

Pour le reste : +1

Quoique les garagistes, ils sont quand même assez fort pour affirmer des diagnostics avec aplomb et te rendre une bagnole qui marche moins bien que quand tu l'as amenée...

5. Le mardi, 27 août 2013, 22:33 par davidc

Nos ministres sont donc atteints d'une myopie aiguë doublée de troubles bipolaires bloqués sur la phase optimiste et de perte de mémoire (ACV? Alzeimer?) à court terme...

Plus sérieusement, attention à ne pas confondre "objectif" et "prévision".
Le discours donnant l'objectif de doubler le chiffre d'affaire n'est pas forcément une prévision mais un but fixé. Cela ne signifie absolument pas qu'un facteur 2 est utilisé dans les calculs économiques de l'entreprise pour préparer les mois à venir dont les embauches,...
Il en est de même avec les scénarios prospectifs énergétiques (quelle que soit l'échelle territoriale): ce ne sont pas des prévisions mais des buts fixés pour motiver les troupes et donner des signaux, et réellement pensés comme tels (certains sont connus pour ne pas être réalistes). Les prévisions devraient être bien moins optimistes...

En revanche les "prévisions de croissance" sont bien des prévisions utilisées dans les calculs nationaux et les valeurs utilisées sont effectivement totalement délirantes aux vues de la réalité ce qui n'est pas du tout acceptable! ou comme tu dis : nous allons droit dans le mur avec de telles valeurs.

David

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