Critique du film éponyme.

Derrière ce titre un brin complotiste sur la forme se cache en réalité un documentaire sur la crise financière américaine de 2008. Inside Job était diffusé hier en VOSTF dans un petit cinéma d'un bled pas loin de chez moi, à l'initiative des amis du monde diplomatique, et des amis de l'émancipation sociale locaux et donc, j'y étais.

On a déjà tout dit sur cette crise financière, les subprimes, les crédits immobiliers tout pourris agglomérés et notés triple A par des agences de notations complices et manifestement dans l'erreur jusqu'au cou mais qui continuent pourtant de donner le la de la finance aujourd'hui. Le documentaire ré-explique tout ça, de façon un peu longuette et pas forcément des plus pédagogiques, je n'ai pas particulièrement apprécié cette première partie.

En revanche, trois éléments abordés dans le film m'ont permis de confirmer certaines de mes craintes :

Une théorie qui traverse l'océan
Charles Ferguson, auteur du documentaire, arrive à des conclusions proches de celles de Frédéric Lordon, en France, ou les auteurs des Nouveaux chiens de garde (bien que ces derniers ne traitaient pas exclusivement de la crise financière). En Amérique comme partout ailleurs dans le monde, une certaine élite financière parie sur la misère des gens, provoque des catastrophes économiques, institutionnalise l'augmentation des inégalités.
Non seulement la dénonciation de cet état de fait est la même sur le fond, mais les documentaires prennent aussi la même forme : des interviews avortées, des responsables mis mal à l'aise, du déni à tour de bras, de la langue de bois bien râpeuse, des refus d'interview purs et simples. Le système est parfaitement cloisonné, et on ne peut apercevoir ce qu'il y a sous le vernis du business as usual qu'au prix de manipulations à la limite du journalisme, caméras cachées (pas utilisées dans Inside Job, mais dans les documentaires de Pierre Carles par exemple), sujets d'interviews trompeurs, montages border-line...

Bref, ça dysfonctionne partout de la même façon, les critiques dénoncent la même chose dans tous les pays, avec les mêmes méthodes, et pourtant l'édifice financier libéral reste dans l'ensemble extrêmement stable dans sa démence. La prise de conscience n'est pas encore assez massive.

Les inégalités écoeurantes et abjectes
Partout où le pognon devient roi, l'inhumanité devient la règle, l'arrogance fait force de loi et la démesure règne. Le documentaire montre le lien entre richesses extrêmes et drogue ou prostitution. A un bout de la chaîne, un honnête homme rembourse péniblement ses traites d'un emprunt fourgué par un prêteur véreux, à l'autre, le banquier parie sur les défauts des emprunts qu'il a lui-même encouragés et gagne sur tous les tableaux. Les bonus pleuvent et prennent la forme de jet privés, de tableaux de maître, ou au pire de filles dépravées et de cocaïne.
Après avoir pillé des pauvres gens, tordu la loi, foutu l'ensemble de l'économie par terre, les dirigeants des grandes banques partent avec un petit cadeau du conseil d'administration pour bons et loyaux services qui se chiffre en millions de dollars.
Ça commence à se voir, mais ça n'émeut toujours pas grand monde, et surtout pas ceux qui pourraient y changer quelque chose.

Le conflit d'intérêt à son paroxysme
Là encore, il est étonnant de constater comment les conclusions sont les mêmes que celles de Frédéric Lordon : l'ensemble de la science économique est pourrie jusqu'à la moelle. Les plus éminents universitaires du domaine font partie des conseils d'administration des plus grosses banques, des plus gros industriels. A la fois, ils enseignent à toute une génération d'étudiants en économie l'orthodoxie libérale, et ils interviennent en outre sur toutes les télés en tant qu'experts indépendants, bien cachés derrière leur titre universitaire et évidemment sans mentionner leurs potentiels conflits d'intérêts.
Le film prend une métaphore assez parlante : "imaginez qu'un médecin vous préconise un médicament pour soigner telle maladie. Vous apprenez ensuite que ce médecin tire 80% de son revenu des ventes du médicament en question, est-ce que ça vous pose un problème ?"
Nous en sommes là en matière économique. Les "experts" défilent aux micros et TOUS ont des intérêts privés qui ne sont pas mentionnés à l'écran. Comme ils sont nombreux, et peu connus, le téléspectateur a l'illusion d'observer un consensus objectif de toute une profession : there is no alternative.

Selon Frédéric Lordon, le désastre est tel que tout étudiant souhaitant défendre une thèse quelque peu hétérodoxe ne peut pas trouver de tuteur pour l'accompagner. L'essentiel de la profession est gangrenée, et par contagion, empêche toute idée contraire d'émerger de façon sérieuse. Pourtant, ces gens qui n'ont pas vu venir la crise, qui l'ont nié alors même qu'elle se produisait, continuent de faire figure d'experts d'un domaine qui leur a échappé totalement.

Evidemment, la classe politique n'est pas en reste, et continue d'employer à tour de bras, et sans doute encore plus aux Etats-Unis qu'ici, les pires félons issus des finances et de l'industrie. Chose amusante : Christine Lagarde et DSK sont presque présentés comme des révolutionnaires gauchistes dans le film. Ils expliquent en effet comment les banquiers américains ont abusé des gouvernements et se sont ris des lois et de la morale.

Bref, un film de plus dont on ressort écœuré et énervé, mais sans doute pas le mieux foutu ni le plus intéressant pour nous autres français. Je vous inviterais plutôt à (re)voir les nouveaux chiens de garde ou les films de Pierre Carles et les conférences de Lordon pour vous donner une vraie idée de ce qui se passe de par chez nous.

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