Le novlangue nous empêche de réagir.

Ça n'a l'air de rien, un mot. C'est neutre, innocent, sans défense, croit-on. Et pourtant parfois, un simple mot nous empêche de voir la solution.

Prenez par exemple le mot "démocratie". Depuis qu'on est tout petit, on nous explique qu'en France, nous sommes en démocratie depuis la Révolution de 1789. Et on associe volontiers ceci à l'élection au suffrage universel. Pensez-donc : n'importe qui peut voter ! Même les femmes depuis 1945 ! C'est dire !

Pourtant, que vous le vouliez ou non, notre régime ne s'appelle pas "démocratie", mais "gouvernement représentatif". Pire que ça, les révolutionnaires de 1789 n'ont JAMAIS VOULU d'une démocratie. Ce n'était pas leur but. À l'époque, "démocratie" était d'ailleurs un mot assez péjoratif.

Prenez l'Abbé Sieyès, je cite wikipédia : en 1789, élu député du tiers état aux États généraux, il joue un rôle de premier plan dans les rangs du parti patriote du printemps à l'automne 1789 et propose, le 17 juin 1789, la transformation de la Chambre du Tiers état en assemblée nationale. Il rédigea le serment du Jeu de paume et travailla à la rédaction de la Constitution.

Bref, ce mec là fait la révolution et participe à la rédaction de la Constitution, institue l'Assemblée Nationale. On peut raisonnablement dire qu'il connaissait un peu la question. Et bien, retenez ce qu'il disait :

Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; donc ils n'ont pas de volonté particulière à imposer. Toute influence, tout pouvoir leur appartient sur la personne de leur mandataire, mais c'est tout. S'ils dictaient des volontés ce ne serait plus un état représentatif, ce serait un état démocratique.

Notez l'opposition qu'il fait entre "état représentatif" et "état démocratique". Et confrontez ça à ce qu'on nous a appris à l'école, et à notre intime conviction. Vous ne sentez pas comme une gêne ?

En appelant notre régime actuel "Démocratie", ce qu'il n'est manifestement pas, on s'empêche, voire on s'interdit, nous mêmes, d'imaginer une solution qui s'appellerait "démocratie". Imaginez un mec qui vient sur un plateau télé en disant "Ce qu'il nous faudrait, c'est une démocratie". Tout le monde va se foutre de sa gueule, et ne pas l'écouter, alors qu'il a carrément raison !

Si c'était un exemple isolé, peut-être ne serait-ce pas trop grave. Mais c'est tout le contraire. Les mots qui sont omniprésents dans les médias sont tous galvaudés. On leur fait porter un sens qu'ils n'ont pas, pour nous éviter d'envisager des alternatives. La TVA sociale, le développement durable, le parti socialiste... Tous nous interdisent de réfléchir correctement. Ils cloisonnent. Ils enferment. Ils réduisent.

Il faut arrêter d'utiliser les mots à contresens. Commençons par ce mot "démocratie" qui ne qualifie pas le moins du monde ce que nous connaissons aujourd'hui. Comme dit Chouard : faisons la grève du mot démocratie.

Commentaires

1. Le samedi, 14 janvier 2012, 14:38 par JeffRenault

Oui, les mots ont un sens, et donc nommer donne le sens. À la lecture de "1984", j'avais fait un exposé sur le novlangue, et j'avais très tôt pris conscience de la puissance des mots et du langage. Depuis, j'aime les mots pour la précision qu'ils peuvent offrir, et notamment le français.

Il y a un an aujourd'hui, jour pour jour, la Tunisie vivaient une journée historique. L'avenue Bourguiba était emplie d'une foule scandant un désormais inoubliable "Dégage !". Et le despote et sa clique s'enfuirent du pays.

Les quelques mois qui suivirent aboutirent à la mise en place d'une élection pour désigner une Assemblée Constituante. Lorsque je m'aventurai à débattre du bienfondé d'une élection versus un tirage au sort, au mieux on pouffait, au pire on me méprisait. Étonnamment (ou pas) l'élection était considérée comme l'expression absolue de la democratie, et on s'étonnait qu'un français qui avait la chance de connaître un tel système le déconseille à ses amis nouvellement libérés. J'avais beau tenter de démontrer que l'élection n'est qu'un système représentatif qui en réalité prive le Peuple du pouvoir (cf ta citation de l'abbé Sieyès), mes arguments ne portaient pas.

Il est possible que j'argumentais mal, mais il est surtout évident que la force du modèle électif est une représentation universelle (quoique fausse comme tu l'as démontré) de la Démocratie.

Résultat : l'AC est constituée par ceux qui demain aspireront à gouverner, à occuper le pouvoir. Ils vont écrire les règles du jeu et ils seront les joueurs :(

Retour à "la cause des causes"...

2. Le dimanche, 15 janvier 2012, 05:54 par agase

A ma connaissance, nous sommes dans une république (et déjà la cinquième). Et il me semble mais je peux me tromper que les révolutionnaires n'ont pas voulu d'une démocratie.
La république se rapproche plus de la démocratie que le despotisme ou l'anarchie.
Donc je ne vois rien de choquant dans le fait que nous ne soyons pas dans une démocratie puisque ce n'est pas ce qui a été mis en place.
Et pour finir, est-ce que le peuple veut d'une démocratie ? Ca c'est une bonne question !

3. Le dimanche, 15 janvier 2012, 10:46 par Merome

@agase : Je ne dis pas autre chose : notre système n'est pas une démocratie et n'a pas été pensé comme tel. Pourtant aujourd'hui, on associe facilement démocratie et élection ou suffrage universel.

Le fait que notre système soit plus proche d'une démocratie qu'une dictature peut l'être me fait une belle jambe. Ce n'est pas suffisant selon moi.

Ps : je croyais que tu ne lisais plus mon blog :)

4. Le dimanche, 15 janvier 2012, 23:01 par agase

Une grosse erreur !!
Juste pour finir donc : DEMOCRATIE = UTOPIE selon moi

5. Le lundi, 16 janvier 2012, 08:20 par Merome

@agase : "utopie" prend un sens péjoratif dans tes propos. Pour moi l'utopie est nécessaire. La réalité d'aujourd'hui, ce sont les utopies d'hier.

6. Le mercredi, 18 janvier 2012, 10:49 par wiwi

Qu'est-ce qu'une démocratie alors ?
Et existe-t-il un pays dans le monde qui serait une démocratie ?
Pour pousser un peu plus loin, existe-t-il sur terre une organisation humaine quelconque qui pourrait s'apparenter à une démocratie ?

7. Le mercredi, 18 janvier 2012, 13:46 par Merome

@wiwi : une démocratie est un système où le peuple gère ses affaires. Des pays s'en approchent : la France est plus démocratique que la Chine, la Suisse plus que la France. Mais on peut garder la démocratie comme un objectif et tenter de s'en approcher le plus possible. L'élection a tendance à nous en éloigner. L'Islande a mis en place un processus constituant intéressant, ils ont de l'avance sur nous dans le domaine.

8. Le jeudi, 19 janvier 2012, 13:23 par wiwi

@Merome : Dans sa définition du dictionnaire donc. Je prends ;-)

Démocratie (dictionnaire de l'académie française) :
Système d'organisation politique dans lequel la souveraineté et les décisions qui en découlent sont exercées théoriquement ou réellement, directement ou indirectement, par le peuple, c'est-à-dire par l'ensemble des citoyens.

Donc si le peuple décide de créer un système totalitaire, c'est une démocratie ?

Je plaisante un peu mais en poussant le raisonnement, on en est pas loin. Maintenant, il conviendrait de définir le peuple également ;-)

Autre façon de voir les choses, et je m'excuse si je déplace un peu le sujet. On peut très bien se trouver (plus ou moins) en démocratie dans son pays, mais par exemple être complètement soumis à l'autorité dans le monde du travail. Il arrive même très souvent que l'on soit soumis à la dictature de personnes très proches, ou en tout cas à des relations unilatérales sans aucun espace de discussion.

Il me semble très intéressant, au-delà de "la démocratie en France" de se plonger également dans : la démocratie chez soi, la démocratie au travail, la démocratie dans mon club de ping-pong, etc, etc. Et je me demande parfois si ces "démocraties particulières" ne sont pas encore plus éloignées de notre définition de départ et finalement symptomatiques d'un malaise beaucoup plus profond dont la "démocratie française" ne serait que la partie immergée.

9. Le jeudi, 19 janvier 2012, 13:37 par Merome

@wiwi : théoriquement, tu choisis ton travail et ton club de ping pong. Et donc théoriquement toujours, tu peux en changer s'il ne te plait pas. Du fait de l'absence de démocratie réelle au niveau politique, tu ne peux pas choisir ton travail parce que le chomage est artificiellement maintenu haut pour mettre la pression (NAIRU). Bref, tu as raison dans l'ensemble, mais il faut s'attaquer à la "cause des causes", sinon on s'éparpille et on ne fait finalement pas grand chose.

10. Le jeudi, 19 janvier 2012, 16:19 par wiwi

Quand tu dis :

il faut s'attaquer à la "cause des causes", sinon on s'éparpille et on ne fait finalement pas grand chose.

Je pense qu'il n'y a pas un "combat" plus efficace qu'un autre. La somme des petites choses peuvent amener de grands changements. Et inversement^^

N'importe quelle personne qui souhaite par exemple "plus de démocratie" peut le faire/le vivre à tous les niveaux. En tant qu'individu, nous avons de l'influence sur le monde qui nous entoure. Et heureusement ;-)

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