L'envers du décor

Je suis informaticien, et à ce titre, j'apporte professionnellement ou personnellement mon aide aux utilisateurs qui me le demandent. La plupart d'entre nous se plaint régulièrement des questions de novices et des problèmes paranormaux que peuvent rencontrer les gens, ce qui nous fait conclure régulièrement que le véritable problème se trouve entre le dossier de la chaise et le clavier.
Et puis de temps à autre, je me retrouve en position inverse : pour faire dépanner ma box ADSL, mon imprimante récalcitrante, récupérer mon mot de passe sur un site mal foutu, ... Je dois trouver les mots justes pour expliciter mon cas, en laissant entendre que je comprends un peu ce qui se passe derrière les interfaces homme-machine tout en essayant de ne pas prendre mes interlocuteurs de haut.
C'est fort enrichissant et ça permet d'adapter ensuite son propre comportement face aux newbies, et de ne les envoyer péter qu'après deux échanges au lieu d'un seul.

Ma secrétaire est dans l'enseignement. Elle voit défiler nombres de parents complètement dépassés par leurs progénitures, incapables de suivre leur scolarité comme il se doit, attendant de l'école, l'éducation qu'ils n'ont pas su leur donner. Elle partage souvent ces constats avec des collègues qui confirment la bêtise et le sans-gêne des parents d'élèves.
Nos propres numéros ne sont pas exempts de difficultés scolaires et malgré nos efforts pour gérer la plupart des situations de façon autonome, nous devons rencontrer parfois les enseignants pour leur faire part de nos angoisses et de nos doutes. Les rôles s'inversent alors et nous prenons les mêmes défauts que ceux dont on s'amusait jadis.

Je suis en train de lire "La maladie de Sachs" de Martin Winckler. Le roman décrit le quotidien éreintant d'un médecin de campagne, et l'avalanche de symptômes dérisoires ou improbables que les patients déversent en un flot continu dans l'oreille du praticien. Sur Twitter, je suis @jaddo_fr qui nous livre en quasi direct les premières phrase de consultation les plus épiques qu'elle puisse entendre. Et parfois, je retrouve mes propres mots, mes vraies angoisses hypocondriaques, mes symptômes tels qu'ils sont perçus objectivement ou subjectivement par le soignant.
Je comprends alors une partie de la difficulté du métier, et les réponses décevantes ou insuffisantes que l'on peut recevoir de la Médecine, quand dans l'attente inquiète du diagnostic, on aimerait être rassuré tout en étant légitimé dans notre douleur et plaint pour le malheur profond que nous ressentons.

Toujours se mettre à la place de l'Autre, pour comprendre sa peine.