Le problème du voyageur de commerce

Six ans après un précédent article, j'aborde le cas d'une autre espèce de commercial nuisible.

Je suis un indécrottable bouseux casanier de province. C'est un fait, et je n'en ai même pas honte. Aussi, quand l'occasion se présente à moi de fréquenter professionnellement, le temps d'une journée, un pigeon voyageur censé me vendre des trucs, croyez bien que je fais tout pour l'éviter. Et parfois, je ne l'évite pas et je le subis.
C'était le cas hier, où je suis sorti de mon confortable bureau climatisé pour arpenter les routes avec un commercial, pour rejoindre un autre commercial dans la capitale régionale de par chez moi. Double-effet kisscool.

Il était question de nous vendre une bricole à 150.000 euros, ce qui peut expliquer le déplacement en personne des deux bonshommes et le fait qu'ils nous payent le restau. Malgré ça, je reste toujours perplexe quant à l'utilité réelle d'un tel poste, et sur l'optimisation organisationnelle qui a aboutit au fait qu'ils passent le plus clair de leur temps sur les routes.
En l'occurrence, celui que j'ai vu hier affiche au compteur une centaine de milliers de kilomètres par an. À titre de comparaison, ma voiture principale, achetée d'occasion en 2005 et qui trimballe ma famille quand je ne peux pas faire autrement n'atteint pas le kilométrage annuel du gars. Des kilomètres effectués au volant d'une Passat de service (la plupart des commerciaux roulent en VW), bardée de trucs branchés sur l'allume-cigare : l'indispensable GPS, l'inévitable téléphone portable kit mains libres, et depuis peu, le détecteur de radar. Affectueusement appelé "Coyote" du nom de la marque qui commercialise le machin, on sent l'attachement des mecs à leur outil qui bippe tous les cinq kilomètres sur l'autoroute pour prévenir la présence possible d'un radar.
Une triche tolérée, admise par tous, comme un gros tas de trucs incohérents dans la fiche de poste du commercial moyen. En tout cas, vu depuis ma place.

Pour un commercial d'une boite de niveau national, la France est divisée en quatre ou cinq secteurs. Il n'y a donc qu'un seul homme pour couvrir un quart de la surface française, ce qui le met sur les routes quatre jours sur cinq, et pendu au téléphone le dernier jour. Sur les routes, ok, mais pour quoi faire ? Avec quelle rentabilité ? Rien ne m'oblige à acheter chez lui après son déplacement. D'autant que ses concurrents ont souvent fait le même effort. Une fois sur cinq, les frais occasionnés, la Passat suréquipée, le temps de travail du commercial, la note de restau, éventuellement d'hôtel ... sont dépensés en pure perte. Cela n'est possible que grâce à des gaspillages et des abus à tous les niveaux. Dans le prix du matériel vendu et du service éventuel associé, gaspillage de ressources épuisables comme le pétrole qui rouler les voitures ou les métaux rares dans leurs Iphones, gaspillage dû à l'obsolescence programmée des matériels et qui fera qu'on sera obligé de les remplacer en tout ou partie dans 3 ans...

Reste le contact humain, certes souvent chaleureux (j'en connais aussi des très mauvais !), mais parfaitement inutile dans le cadre d'un choix professionnel standard. En l'occurrence, le repas était convivial, mais les sujets de discussion assez peu variés et intéressants pour ma part. Le gars n'a pas de vie de famille, passe ses journées sur des autoroutes que je ne fréquente pas, complètement déconnecté de mon quotidien. On parle restaurant, sujet apparemment favori des commerciaux entre eux, car leur seule perspective positive de la journée, c'est de bouffer un bon coup avant de se refoutre le cul dans la Passat. On parle chômage et emploi, et le commercial s'inquiète de cette jeunesse qui refuse de bosser, mais sans pousser l'analyse plus loin que "Moi, de mon temps...". Un petit commentaire désobligeant sur la serveuse un peu gironde...
Au détour de la conversation, j'essaie de placer un petit sujet écologique : "Quand le pétrole sera hors de prix, le métier de commercial sera mort ?". La réponse est éloquente : "Il faudra qu'ils nous trouvent des solutions". Le commercial n'est pas concerné par la limite des ressources de la planète, il considère que ce n'est pas à lui d'y réfléchir.

Bref, j'ai passé une journée sur une autre planète que la mienne et je n'ai pas aimé ça. Cela m'a permis de confronter une nouvelle fois mon modèle utopique à d'autres réalités. C'était bien le seul intérêt de la journée.

Commentaires

1. Le mercredi, 9 mars 2011, 23:38 par Stef

Tiens j'ai décidé cette année de court-circuiter depuis cette année tous les commerciaux qui n'était pas utile. Quand je dis "utile", je parle pour moi, pas pour leurs labos bien sûr. Je me rend compte que je gagne du temps -et eux aussi- a demander les conditions commerciales au téléphone, préparer mes commandes tranquillement sans qu'on me tanne pour rajouter 12 pastilles bidules et 30 sirops trucs. Les mails, faxs et téléphones marchent tres bien.

Je continue de recevoir ceux que je trouve vraiment sympa, ceux qui ont réussi leur coup quoi...

2. Le mercredi, 9 mars 2011, 23:39 par Stef

Zut, désolé pour la répétition de la 1ere phrase, je relis avant de poster pourtant...

3. Le jeudi, 10 mars 2011, 06:25 par agase

J'ai aussi rencontré un commercial hier (tiens c'est aussi mercredi). En fait on se perd quand tu mets des références de temps dans tes articles. :)
Pour le compte de l'association dont je m'occupe de temps en temps, il voulait me faire installer des fontaines à eau (je tairai la marque) dans des locaux qui ne m'appartiennent pas. Mais bon, là n'est pas le problème.

Il venait de la capitale régionale, la même que la tienne et pour tout premier argument de vente, il m'a fait part de la proximité de sa société pour ses clients. Une heure d'autoroute quand même. Je me sentais déjà coupable de l'avoir fait venir alors que je connaissais ma réponse. (je n'avais pas ses coordonnées, oublié de les prendre lors de notre entretien téléphonique).

Ensuite, il vient me vendre un système de consommation d'eau, moi qui ai fait des études dessus et qui sait que l'eau du réseau public est tout à fait potable et souvent meilleure à la santé que n'importe quelle eau en bouteille, j'ai gentillement cassé tous ses arguments. Je ne sais pas si aujourd'hui il fait toujours ce métier mais bon. :)

C'est vrai que je n'aime pas beaucoup ce genre de personnes. Personnellement, je préfère me faire une idée et ensuite me déplacer vers celui que j'aurai choisi.

Sinon, je comparerais le commercial à un prédateur, celui-ci déploie beaucoup d'énergie pour un résultat généralement faible. Dans la nature, le loup, qui a pourtant une technique de chasse en meute performante, a un taux de réussite de 10 à 15 % seulement. cela demande aussi d'avoir un territoire très étendu. Et il en dépense de l'énergie pour cela.
Cela est transposable pour pratiquement toutes les espèces prédatrices. Donc pourquoi pas l'homme dans ses activités ?
1 vente pour 10 visites :)

Merome, tu serais plutôt un bon ruminant, bien domestiqué qui n'a qu'à se baisser pour ramasser sa nourriture. Mais là encore, c'est la domestication qui a produit cet état de fait au prix d'une très grande dépense d'énergie :)

J'aime souvent comparer à la nature car je pense que l'homme tout intelligent qu'il est, n'invente rien mais copie volontairement ou non son environnement.

4. Le jeudi, 10 mars 2011, 12:13 par Merome

@agase : Je te verrais bien blaireau, moi. :)

5. Le jeudi, 10 mars 2011, 14:44 par agase

@merome : j'attends avec impatience ton développement !

6. Le dimanche, 20 mars 2011, 11:23 par Tassin

Encore une belle illustration de l'aberration de ce système économique super-concurrentiel...

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