Décroissance choisie ou récession subie

Si la décroissance n'était pas un choix, mais une fatalité ?

Cinq ans que je vous bassine ici avec la décroissance, en expliquant tout le bien que je pense de ce projet de société, en essayant de montrer les absurdités du système actuel, les risques aussi. Mais si les chances sont minces pour qu'une masse critique se "convertisse" à temps à la simplicité volontaire et à la décroissance au point d'en faire un projet politique, avec un candidat qui se ferait élire là-dessus, posons nous la question de savoir ce qu'il se passera si rien ne change.

Notre modèle actuel, personne ne peut le nier aujourd'hui, atteint ses limites. La finance implose, et elle ne tient plus que par le soutien des états, et par le fait que d'autres mensonges sur son fonctionnement n'ont pas encore été éventés. L'industrie ne peut tenir debout que si elle vend, chaque année, plus que l'année précédente, ce qui crée une tension forte sur des ressources qui s'épuisent. La société entière est ultra dépendante d'un pétrole dont les réserves elles-aussi s'amenuisent, au point que l'AIE reconnait que le pic de pétrole est passé. Enfin, les populations ont de plus en plus de défiance envers les élites qui les représentent.
Bref, ce qui fait qu'une société basée sur la croissance est encore possible, est soutenu par ces quatre piliers complètement branlants. Une chiquenaude suffirait à tout faire s'écrouler comme un château de cartes, et on voit bien l'angoisse qui transparait à chaque fois qu'un évènement bouscule l'un de ces piliers. Que ce soit Wikileaks et ses révélations pourtant anodines mais qui déstabilisent toute la diplomatie mondiale, l'appel de Cantona, pourtant peu suivi qui fait stresser Lagarde, ... Il suffirait d'une catastrophe un peu plus marquante pour tout foutre en l'air de manière durable.

La raison de cette instabilité me parait évidente : notre mode de fonctionnement actuel n'est PAS TENABLE. Qu'on le veuille ou non, qu'on ait une confiance aveugle en la technologie et le progrès ou pas, la croissance infinie dans un monde fini reste définitivement et totalement impossible.
Soit l'on considère qu'il sera toujours possible de vendre toujours plus à toujours plus de monde, mais dans ce cas, ce seront les ressources et l'énergie qui finiront par manquer. Soit l'on considère que la finance ou la politique peut inventer d'autres concepts pour faire de l'argent avec du vent, mais quand cela se verra, gare à la chute et en attendant, cela se fera au détriment des plus faibles.

L'augmentation des richesses créées, ce qu'on appelle la croissance économique, va fatalement s'arrêter. Or, comme le dit Serge Latouche, il n'y a rien de pire qu'une société basée sur la croissance, sans croissance. La crise qui perdure depuis des années n'est qu'un avant-goût de ce que ça peut donner. La récession est inacceptable dans un tel modèle, et s'accompagne inévitablement d'une augmentation des inégalités, du chômage, et de tensions sociales fortes.

Plutôt que de se battre contre les lois mathématiques et physiques indéniables qui rendent notre modèle de société incohérent, il serait bien plus judicieux de prendre les devants et d'imaginer dès à présent un projet de société qui tienne compte des limites physiques de notre environnement.%% Aussi bizarre que cela puisse paraître, cela n'est pas, loin s'en faut, une régression. Au contraire, c'est un recentrage de notre société sur des valeurs humaines autrement plus nobles que le culte de l'objet à la mode ou du toujours plus vite et plus loin. Tout le monde a bien conscience aujourd'hui que le bonheur de ses enfants ou de ses proches ne tient pas à la taille des cadeaux de Noël qui seront sous le sapin. Pareillement, notre propre bien-être dépend de peu de choses, et parmi elles, le sentiment d'avoir construit et de vivre dans un modèle de société stable et durable est essentiel.

Commentaires

1. Le jeudi, 9 décembre 2010, 09:41 par Lilian

"Tout le monde a bien conscience aujourd'hui que le bonheur de ses enfants ou de ses proches ne tient pas à la taille des cadeaux de Noël qui seront sous le sapin."

Comme j'aimerai que tu ais raison...
Mais dans la vraie vie, "the size does matter" !

Bref, les gens conscients de ce problème "global" sont finalement peu nombreux, c'est simple, je n'en connais aucun, même mes proches n'y croient que de très loin, et tant que ça reste conceptuel.

2. Le jeudi, 9 décembre 2010, 16:43 par Fil

J'attends avec impatience un programme politique ne prônant ni la croissance, ni la décroissance. Un parti politique qui dise "on s'en fout de la croissance, si y'en a tant mieux, sinon tant pis, c'est pas la priorité".

Naïf moi ? Nooooonnnn...

3. Le jeudi, 9 décembre 2010, 16:48 par Tassin

@Fil :

"J'attends avec impatience un programme politique ne prônant ni la croissance, ni la décroissance. Un parti politique qui dise "on s'en fout de la croissance, si y'en a tant mieux, sinon tant pis, c'est pas la priorité"."

Mais c'est ça la décroissance : sortir de l'économisme. Paradoxalement les mesures étiquetées "décroissance" peuvent induire une croissance du PIB. La relocalisation par exemple.

4. Le jeudi, 9 décembre 2010, 17:07 par Fil

Sauf qu'ils ne font pas confiance au progrès technique pour régler les problèmes énergétiques. Ce qui me pose problème. J'en ai déjà parlé ici, inutile que je radote :)
Surtout pour m'entendre dire que je sais pas de quoi je parle et que je suis pas assez documenté.

5. Le jeudi, 9 décembre 2010, 19:24 par Merome

@Fil : tu fais un raccourci un peu rapide. Je vais faire une analogie pour mieux expliquer mon point de vue :

Fais-tu suffisamment confiance à la médecine pour trouver rapidement un remède au cancer du poumon ? Au point de fumer 3 paquets par jour sans crainte ? Personnellement, je préfère ne pas fumer. Mais malgré tout, j'encourage la médecine à trouver ce remède.

Il ne s'agit pas de faire confiance ou pas, en la science et en le progrès. Il s'agit de ne pas leur accorder une confiance aveugle. Aujourd'hui, rien ne permet de prédire qu'une solution sera trouvée au problème énergétique et écologique. Au contraire, même, ça va plutôt de mal en pis. Pareil pour le cancer du poumon. L'attitude raisonnable aujourd'hui, c'est donc bien de réduire notre consommation d'énergie et nos rejets de CO2 (ça tombe bien, c'est fortement lié), comme on évite de fumer si on ne veut pas choper une grave maladie.

Tout projet politique qui incite à continuer de fumer est dangereux. Et pourtant tous les partis politiques continuent de prôner ça. Et la plupart des citoyens, dont toi, n'y voit aucun problème.

6. Le vendredi, 10 décembre 2010, 16:50 par Fil

L'analogie est pas idiote mais tellement pas réaliste. :)

Tu compares un être humain singulier, éduqué et raisonnable avec pour durée d'existence moins d'un siècle, à un ensemble d'individus franchement hétérogène, pas toujours bien éduqué et encore moins raisonnable qui existe depuis des millions d'années et qui a toujours su s'adapter aux changements environnementaux qu'il a rencontré.

Pourquoi s'emmerder ?

7. Le vendredi, 10 décembre 2010, 16:53 par Merome

@Fil : Une analogie reste une analogie et le but de celle-là était de te montrer que la décroissance n'était pas contre le progrès. Tu t'en sors par une pirouette au lieu d'y réfléchir, c'est dommage.

8. Le vendredi, 10 décembre 2010, 18:34 par Yann

Bonjour Merome,

Je viens de découvrir ton blog et n'ai pas encore lu tous les billets exprimant ta pensée. Alors désolé pour les redites ou les demandes de clarifications.

Effectivement, le bon sens veut que nos ressources en matières premières déclinent et que cela peut être inéducable, peut être …

Maintenant, je ne suis pas forcément cynique, juste réaliste. Je ne crois pas que nous consommateurs nous changerons en quoi que ce soit nos comportements sans pression plus forte. Pour exemple, la diminution du CO2 ne peut s’accompagner que d’une forte évolution du prix du baril : + 80%. Il faudra encore attendre qq années. La juste cause nous ne fera pas changer de comportement, seul le prix peut le justifier et encore la technologie peut changer les choses entre temps.

Nous sommes condamnés à :
- Diminuer nos consommations de MP
- Développer de nvlles technologies moins consommatrices de MP.
- Miniaturiser
- Développer des produits dont le recyclage est intégré (MP, fabrication, production, vente, utilisation, fin de vie, recyclage, nvlle MP,…)
- Développer le recyclage en déconstruction

Quant à savoir si la croissance est finie, je ne sais pas. Physiquement parlant, sous la pression de la consommation, nous verrons apparaître d’autres leviers de croissance. Au-delà de nos besoins en MP, l’énergie est à mon sens le premier facteur de croissance. L’après pétrole et je dirai l’après l’énergie fossile y compris le nucléaire sonnera enfin l’avènement du soleil. Je lisais ce matin des objectifs de 50% de rendement sur le photovoltaïque pour 2015 (moyenne de 10 à 15% aujourd’hui).

Le stockage de l’énergie sera le facteur secondaire en passe d’être résolu. Nous avons autour de nous un stockage durable qui est l’H2O ou l’H2. Pour le moment nos chers lobbies du pétrole et de l’automobile nous l’interdisent sous couvert d’amortissements et de sauvegarde de l’emploi. Il faudra bien pourtant que nous y passions au moteur hydrogène.

Enfin, je pense que l’ingéniosité humaine sous la pression de nos envies et de nos besoins peut nous faire rebondir sur une nouvelle ère de croissance. Quel produit, quel secteur d’activité ? Il y a 30 ans qui aurait parié sur les NTIC ? Et pourtant !

Cela me donne à penser que nous allons vers toujours plus de dématérialisation et donc moins de MP et moins de besoins de voyager. C’est peut être demain l’idée d’habiter, de vivre, de travailler à la même place ainsi que de moins consommer physiquement. Quelle société construirons-nous ? Existera-t’il plus de social ?

Personnellement, je pense que nos sociétés occidentales doivent sortir de leur adolescence, sortir de leur névrose consommatrice ou pulsion du toujours plus que l’autre. La seule question que je me pose dans mon nombrilisme est quel sera demain mon critère d’évaluation personnel quant il ne sera plus possible d’acheter ma grosse voiture ?

9. Le samedi, 11 décembre 2010, 10:57 par Merome

@Yann : Ta vision des choses est contredite par la réalité. Les alternatives au pétrole n'existent pas. Ce n'est pas une histoire de lobbying, de technologie pas mature ou autre. Ça n'existe pas. Ce qui ne veut pas dire qu'on va manquer d'énergie, car comme tu le soulignes, on a un soleil qui nous fournit tout ce qu'il faut de ce côté. Mais l'énergie transportable, stable, fiable, peu chère, facilement stockable... comme le pétrole, ça n'existe pas. Et donc notre surdéveloppement qui aura duré un siècle et qui est entièrement et fondamentalement basé sur l'utilisation de cette énergie miraculeuse, ne pourra pas continuer.

Ce n'est pas un drame, parce que ce surdéveloppement s'est accompagné de dérives qui méritent qu'on y mette un terme rapide, pollution, réchauffement et augmentation des inégalités.

Dans un monde basé sur la croissance, aucune promesse vertueuse ne peut être tenue. Tu prends l'exemple des TIC, il illustre bien le problème. Cette technologie aurait pu nous permettre de réduire l'utilisation de papier, de dématérialiser, de rendre moins utile les déplacements... C'est tout l'inverse qui s'est passé. Et c'est tout à fait compréhensible : dans une société basée sur la croissance, tout gaspillage et toute utilisation abusive est une source de richesse pour quelqu'un.

Je t'invite à parcourir les nombreux articles que j'ai pu écrire sur le blog au sujet de la décroissance et de la simplicité volontaire. Bienvenue parmi nous, j'espère que cela te plaira :)

10. Le dimanche, 12 décembre 2010, 11:47 par Yvon MOUGIN

Hello Mérôme,

une petite taquinerie et une vraie question pour toi (et une vraie réponse pour moi) qui je crois est père de famille.
Quelle est l'empreinte (l'impact) carbone d'un individu pendant toute une vie (mettons 80 ans) ?
La décroissance ne passerait-elle pas en priorité par une décroissance de notre reproduction ?
Faire plus d'un enfant par couple ne constitue-t-il pas une atteinte à la pérennité de notre planète ?

Amicalement,

Yvon

11. Le lundi, 13 décembre 2010, 09:21 par Merome

@Yvon Mougin : C'est gentil de passer par ici :) Pour répondre à votre question, déjà, il ne s'agit pas de sauver la planète. La planète va bien, merci pour elle, elle continuera vraisemblablement d'exister après nous, ainsi que pas mal d'autres espèces végétales ou animales qui n'ont jamais eu besoin des hommes pour subsister. Si ce n'est pas la planète qu'on cherche à sauver, qu'est-ce donc ? Le genre humain. Sauvegarder l'espèce humaine en limitant les naissances, c'est mathématiquement curieux. Mais admettons.

Le problème climatique, qui est principalement dû à l'augmentation de concentration de CO2, se posera d'ici 30 ou 50 ans. Dans un tel délai, il ne reste plus que le génocide massif au lance-flammes pour espérer réduire la population dans des proportions qui permettent de continuer de consommer les ressources comme on le fait. La maitrise des naissances aura, dans ce laps de temps, à peu près autant d'effet sur le climat que le remplacement des lampes de frigo par des basses consommation.

On peut également se poser la question de la pertinence de priver la société de nouvelles recrues pour, par exemple, payer les retraites. Remplacer un problème écologique par un problème social tout aussi épineux ne me semble pas très malin. Tant qu'à faire, il serait bien plus efficace de fixer un âge limite de vie. Ce sera toujours ça d'électeurs de l'UMP en moins !

Sinon, j'ai développé par ici quelques idées contre la malthusianisme, je vous invite à les lire.

12. Le lundi, 13 décembre 2010, 16:12 par Tassin

@ Fil :

L'effet rebond, ou paradoxe de Jenvons, qui s'applique grosso modo à toutes les nouvelles technologies, nous enseigne que lorsqu'on invente un système qui consomme moins par unité, on finit par utiliser plus d'unités à moyen terme.

Exemples en vrac : les voitures actuelles consomment 2 fois moins mais on roulent 4 fois plus que dans les 70's, les TV LCD consomment moins à taille égale mais les consommations ont explosées du fait de l'augmentation de la taille moyenne, les frigo sont mieux isolés mais plus gros, les lampes fluo consomment moins du coup on s'est mis à éclairer les bâtiments publics, les TGV augmentent le nombre de km parcourus, donc la consommation...

La technologie est un outil, parfois un problème mais surement pas une solution, qui elle, est éminemment politique.

Tu peux regarder les chiffres de la production électrique française, tu remarqueras que malgré l'envol fulgurant des renouvelables en relatif, la consommation quantitative de centrales thermiques ne descend pas.

13. Le mercredi, 22 décembre 2010, 14:40 par CA

Il y a l'idée de décroissance et il y a le comment appliquer cette idée. C'est sur ce deuxième point que les choses commencent à se compliquer. Malheureusement, rares sont les réflexions à ce niveau (sauf peut-être cette série de billets sur les conditions de la décroissance : http://yannickrumpala.wordpress.com... oissance/).

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