Pourquoi a-t-on tendance à ne rien vouloir changer, même quand la situation actuelle est insatisfaisante.

Je suis le premier à m'enfermer dans des habitudes desquelles je peine à sortir. Mais en matière de politique, je n'hésite pas à envisager n'importe quelles solutions, même les plus invraisemblables ou novatrices.
Il semble que cette envie d'essayer des trucs ne soit pas partagé par grand monde, et j'ai cru déceler deux ou trois raisons principales à cela :

La crainte du chaos
Quand on touche à des sujets de société, on impacte immédiatement une grande population, et on a assez peu de visibilité sur les conséquences de nos choix. Comme je suis profondément humaniste, et sans doute un peu doux-rêveur, je ne m'inquiète pas trop de toutes les faiblesses humaines qui pourraient faire capoter la plus belle des idées.
Lors de chaque grande avancée sociale, chaque fois que le peuple a obtenu, ou qu'on lui a octroyé sans qu'il ne demande rien (c'est arrivé : le congé paternité !), on a pu entendre des oiseaux de mauvaise augure annoncer la fin du monde.
Par exemple, lorsque les congés payés ont été inventés, le patronat estimait que si l'on payait les gens pour partir en vacances, ils ne reviendraient jamais travailler. Une crainte qui n'était pas totalement infondée, si l'on y réfléchit bien, en se mettant à la place et à l'époque des gens qui n'avaient jamais rien vu de tel. Mais dans les faits, une crainte qui était totalement injustifiée, puisqu'aujourd'hui, après 5 semaines de congés et quelques RTT, nous finissons tous par revenir au turbin, avec la même joie et le même entrain, intact depuis le jour de notre embauche.

Quand la cinquième semaine de congés a été annoncée, les réactions ne furent pas moins vives, quand on est passé à 40 heures, puis à 39 heures, puis à 35 heures, les mêmes ont martelé chaque fois les mêmes arguments. Quand il a fallu retirer le projet de loi du CPE, le Médef s'en est ému tout autant. On ne s'en souvient sans doute pas assez, car on s'habitue tellement vite à toutes les avancées sociales, qu'on les considère comme naturelles et évidentes, même quand elles n'ont que quelques décennies d'existence. Imaginer que les femmes ne peuvent voter que depuis 1945, ou que les femmes-détenues-enceintes ne peuvent accoucher sans menottes que depuis... 2009. On ne se rend pas compte.

L'impossibilité de faire abstraction du contexte
Quand on élabore un projet de société, bien évidemment, on s'extrait de la situation actuelle et on imagine une utopie. Il faut voir la chose dans son ensemble pour qu'elle soit crédible et que cela ait un quelconque intérêt. Si l'on se met à réfléchir à un projet de décroissance, par exemple, il faut imaginer un monde où la publicité est bannie, où la taxe carbone est réellement incitative, où les gens sont parties prenantes du projet de société.
On oublie trop vite les contraintes réelles du système actuel, qui ont pourtant été acceptées. On fait tous des efforts chaque jour pour vivre en société. On travaille, on paye des impôts et des taxes, on partage les routes et les services publics... On accepte toutes ces contraintes et même, on les défend, parce qu'on les a intégrées. Lorsqu'on imagine un autre modèle de société, s'il est démocratique, il faut imaginer que les gens qui vivent dedans l'ont accepté majoritairement.

Ne plus voir les dysfonctionnements
Corollaire du paragraphe précédent : on n'a pas assez de recul pour voir ce qui dysfonctionne. On considère comme normal des choses abominables, le chômage, les enfants qui cousent nos baskets et les gens qui sablent nos jeans. Bien sûr la société de consommation s'emploie à ne plus nous faire voir que le côté mode & fun de tous ces produits dont la fabrication fait mourir les gens à petit feu.
Lorsqu'on se propose d'inventer un monde où toutes ces horreurs n'existent pas, on se prend inévitablement de la part des "conservateurs" de tous bords, une volée de bois vert. "Je ne peux pas me passer d'acheter des fringues". "Tu veux retourner à l'âge de pierre". "J'achète à Lidl parce que c'est moins cher"... Nous sommes les premiers défenseurs et souvent les bénéficiaires de ce qui ne tourne pas bien dans le monde. D'où notre difficulté à proposer autre chose.

Le risque
Le risque de ce comportement est celui de suivre l'avis de ceux qui annoncent le pire. Notez comme dans un contexte de crise, cette attitude peut être dangereuse. "There is no alternative : si nous n'allons pas encore plus loin dans cette doctrine libérale, alors le pire arrivera, c'est mathématique". Et on imagine une vie sans sèche-linge pour assouplir nos jeans délavés. Un enfer...

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