De l'importance de garder une capacité d'insurrection.

Je parlais dans mon dernier article du bouquin d'Astier et Rollin, mais j'ai oublié d'aborder un point de désaccord que j'ai avec les auteurs. Alexandre Astier notamment, mais avec lui beaucoup d'autres artistes, condamne le piratage, car il nuit, selon lui, à la création artistique.
C'est un raccourci un peu facile, me semble-t-il, car le piratage nuit d'abord aux revenus engrangés par tous les intermédiaires, et l'artiste lui-même n'est souvent que le plus mal lotis d'entre eux. On entend moins souvent les artistes se plaindre de la mainmise des majors qui, eux, nuisent clairement à la création artistique en ne produisant que ce qui peut rapporter du pognon. Je caricature, mais il me semble qu'on n'est pas si loin de ça.
Aussi, quand Astier et Rollin écrivent un bouquin, ils n'ont, a priori, pas plus de talent que d'autres pour le faire. Mais vendre un bouquin intitulé "Dupont et Durand posent les bases de la pensée moderne", aussi excellent soit-il, ce n'est pas forcément facile.

Si les artistes, dans leur grande majorité, sont incapables de voir les défauts du système dans lequel ils baignent pourtant, c'est parce qu'ils ont l'impression, car eux s'en sont tirés avec les honneurs, que le système n'est pas foncièrement mauvais. Remettre en cause le fonctionnement global des choses, ce serait admettre que leur réussite n'est pas seulement dû à leur talent, mais aussi au fait que nous sommes dans un jeu de type "win to win", qui gagne gagnera encore plus.

Ce qui est vrai pour les artistes l'est aussi pour tous les politiciens, décideurs, énarques, patrons, ... en position de changer les choses, mais avec aucune envie de le faire, pour les mêmes raisons. Pour eux, le système fonctionne à merveille. La preuve : ils ont pu se hisser jusqu'au sommet. Certains, c'est vrai, en partant de rien, mais ceux-ci sont encore plus convaincus que les autres qu'il suffit de le vouloir pour y parvenir.

Imaginez un politicien parfait, plein de bonne volonté et de bonnes idées pour changer le monde. S'il parvient au pouvoir, il prouve par l'exemple que notre démocratie est parfaite est qu'il ne faut rien changer. Il est probable qu'au fil des années, il perdra toute capacité d'insurrection, car le système l'aura phagocyté et en sortira encore renforcé.

La morale de l'histoire, je l'ai déjà dit, c'est qu'il ne faut pas attendre quoi que ce soit de l'élite et des leaders charismatiques. La solution viendra des losers, des ratés, des oubliés de l'histoire, des chômeurs, des blogueurs anonymes, des individus lambdas, des pauvres, des sans grades, ... dès qu'ils se seront rendus compte qu'ils ont bien plus de pouvoir individuellement que collectivement, en consommant plutôt qu'en votant, en agissant plutôt qu'en attendant, en sortant du système plutôt qu'en essayant d'en tirer le meilleur profit.

Commentaires

1. Le samedi, 8 mai 2010, 21:28 par Stef

Mouais, un peu rapide et manichéen comme conclusion, non ?

2. Le dimanche, 9 mai 2010, 08:08 par Etheriel

Totalement d'accord concernant les majors. Par contre, pour la conclusion, t'es en train de nous expliquer que nos sauveurs sont les skybloggers qui "veulent faire un montage" ? :)

3. Le dimanche, 9 mai 2010, 08:59 par Merome

Bizarre que la conclusion vous choque, parce que je l'ai déjà faite plusieurs fois ici. Dans un monde individualiste, c'est l'individu (le client) qui est roi. Ni les artistes (connus), ni les majors n'ont intérêt à ce que ça change. Les artistes inconnus, mal aimés et surtout mal diffusés, eux ont intérêt à ce que ça change. C'est donc d'eux que viendra la solution. Et je transpose volontiers ceci à d'autres domaines que l'artistique (comme par exemple, le politique).

Ceci dit, je suis curieux de lire votre contre-argumentation.

4. Le dimanche, 9 mai 2010, 16:07 par Stef

C'est pas vraiment une contre-argumentation, je ne suis pas "contre" ce que tu écris. Ca serait plutot de la "modération", quand on te lit on a l'impression que tout est mauvais dans le système, que les "nantis" (que ce soit au niveau artistique, social, financier etc...) sont tous forcément du coté obscur, d'ou mon commentaire.

5. Le dimanche, 9 mai 2010, 18:47 par Merome

Ah, dans ce cas, tu as mal compris ou je me suis mal exprimé, ou les deux. Moi je dis surtout que la société actuelle creusant les inégalités, ceux qui sont du bon côté du fossé voient forcément les choses différemment, et ce n'est même pas une critique, c'est un constat. Dès que tu es en position de décider, tu te coupes du monde de ceux qui ne décident pas. C'est pour ça que je préfère ne pas m'engager en politique, dans un parti, ou même un syndicat. On y perd forcément en lucidité.

6. Le lundi, 10 mai 2010, 02:22 par Stef

Ok c'est plus clair, je le voyais comme une critique. Ca rejoins bien ton titre en effet, ou aussi l'expression "On ne mord pas la main qui te nourrit".
Ca doit être humain parce qu'une fois "parvenu" (a la gloire, a une situation, a un poste...) rares sont ceux qui continuent de pnser que les règles ne sont pas bonnes.

7. Le lundi, 10 mai 2010, 20:43 par agase

Je prendrai un autre exemple. Les concours de la fonction publique.

Je connais certaines personnes qui pour rien au monde n'auraient passer un concours mais dès qu'elles ont été intégrées font tout ce qu'elles peuvent pour perpétuer le système.

Personnellement, je m'y suis plié mais comme je trouve les concours d'une inégalité monstrueuse (alors que c'est tout le contraire qui est recherché). Je me suis donc toujours refuser à perpétuer le système soit en donnant des cours à la préparation soit en préparant des sujets.

8. Le mercredi, 12 mai 2010, 15:04 par Calcoran

Juste pour plussoyer, en fait.

A noter que je ne pense pas que ça vienne uniquement d'une incapacité à voir le point de vue de la masse ou d'une difficulté à cracher dans la soupe. A mon sens le simple fait d'évoluer dans un milieu différent, de parler tous les jours avec des gens dont les préoccupations sont autres, finit par influer sur la façon dont on raisonne.

Un exemple (pour lequel je me permettrai de forcer le trait très légèrement, à des fins illustratives ;) ): les commerciaux de SSII. Catégorie haïe et conspuée par ce qui forme la masse laborieuse de toute SSII, à savoir les ingénieurs. Pourtant, une bonne partie de ces commerciaux est issue du même moule, et est passée par la case ingénieur. Comment se fait-ce?
C'est d'autant plus intéressant quand on connait la personne qui passe de l'autre côté de la barrière. On la voit changer au fur et à mesure qu'elle passe de plus en plus de temps à discuter avec les autres commerciaux. Affirmer au début qu'il est possible d'être commercial tout en restant humain. Puis, progressivement, commencer à percevoir ses anciens collègues/amis d'une manière de plus en plus utilitaire. Ne plus s'intéresser aux mêmes voitures (avant: "Bon, j'avais une 307, mais avec le 2ème qui arrive, peut-être une 308SW?" ... et après: "J'hésite, un 4x4? Une Audi TT c'est sympa mais c'est petit ... les deux alors? Il a quoi untel? Un Q7?"). Considérer son salaire, non pas en fonction de ses besoins, mais pour se classer par rapport à ses pairs. Prendre du bide. Etc. En deux ans, la personne s'est transformée d'ingénieur standard besogneux et un peu terne en tout ce qu'il haïssait auparavant, un commercial beau parleur et sans morale.

A noter que le raisonnement peut aussi marcher dans certaines sociétés, quand une personne passe d'exécutant à chef.

Euh ... en passant, ces raisons pour l'évolution de la mentalité d'une personne quand elle grimpe les échelons d'une hiérarchie, tout en étant à mon avis tout à fait valides, ne doivent pas masquer le fait que la personne qui évolue se trouve confrontée à chaque fois à de nouvelles contraintes, contraintes pas forcément perçues par l'échelon du dessous. Ce qui change forcément son point de vue. A noter que ce côté là s'observe plus en entreprise ou en politique que chez les artistes ;) .

9. Le mercredi, 12 mai 2010, 16:36 par Etheriel

Description on-ne-peut-plus réaliste de la faune "commerciale" des SSII. Tu as juste oublié de dire que l'autre partie des commerciaux (ceux qui ne sont pas des ex-ingénieurs) sont en général des jeunes commerciaux issus des meilleures écoles de commerce de France et de Navarre, persuadés de former l'Elite de leur entreprise, et convaincus que ce sont eux la véritable plus-value de la boutique. Et lorsqu'ils échouent misérablement à enfumer des clients et/ou pressuriser des collaborateurs pour leur faire admettre que 0% c'est pas si mal, même 3 ans de suite, ils se font lourder par le DG, avec une indemnité conséquente (on est entre gens biens, on ne se sépare pas à moins d'un an de salaire en guise d'indemnité), et ils vont de suite frapper à la porte de la SSII d'à coté, dans laquelle ils pourront à nouveau faire preuve de toute leur inutilité.

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