Astier et Rollin posent les bases de la pensée moderne

Fiche de lecture

Hasard du calendrier, j'ai lu ou relu ces dernières semaines trois bouquins qui traitent de l'éducation et la transmission aux enfants :


Les pères ont des enfants, écrit par Alain Etchegoyen et Jean-Jacques Goldman, que j'avais acheté à sa sortie en 2000, alors que je n'avais encore qu'un seul numéro. À la relecture, je le trouve un poil plus intéressant car il aborde des sujets que je peux maintenant un peu mieux appréhender car j'ai pu les expérimenter.
Néanmoins, il faut déplorer quelques lieux communs sur la vie à la campagne / à la ville, et l'impact que ça peut avoir sur l'éducation des enfants. Et puis mine de rien, en 10 ans, les choses ont déjà changé et les préoccupations des pères ne sont sans doute plus tout à fait les mêmes.


Ne leur dites jamais, de Caroline et Joseph Messinger, qui tente d'expliquer à quel point le vocabulaire que nous employons pour parler à nos enfants est important. Le livre se présente sous la forme d'un abécédaire où les mots ou expressions sont décryptées et décortiquées, ... pour finir dans un grand n'importe quoi bien culpabilisant pour les parents et peu intéressant.
Par exemple, quand on dit "Tu es trop petit pour comprendre", selon les auteurs, nous préparons nos enfants à ... voter nul aux élections. Je vous passe le détail de la démonstration qui n'a aucun intérêt comme le reste du livre. Tous les mots courants sont de gravissimes atteintes à la liberté et la dignité de l'enfant, il ne faut pas dire "Attention", il ne faut pas utiliser le verbe "aller", ne pas demander aux enfants de faire un bisou à la dame... Si ce qui est dans ce bouquin est vrai, la plupart des enfants, à commencer par les miens, devraient finir dans la rue, dépravés, vendant leur corps et leur esprit pour une bouchée de pain dans l'unique but de sombrer un peu plus dans le vice qui les anime. Et tout ça, c'est de la faute des parents. Voilà, inutile d'acheter ce livre.


Astier et Rollin posent les bases de la pensée moderne a été écrit, comme son titre l'indique, par Alexandre Astier (génial auteur et acteur de Kaamelott) et François Rollin (acteur dans Kaamelott, et humoriste). Des trois livres que je cite, c'est celui qui a ma préférence, car il ne se prend pas tout à fait au sérieux, tout en abordant des sujets qui eux le sont. Fort de leur expérience de quadruple pères de famille, les deux comédiens expliquent leur façon de voir l'éducation et la transmission des valeurs aux jeunes générations, à commencer par leurs méthodes pour éduquer leurs propres enfants.
Je suis loin d'être d'accord avec toutes leurs idées, mais il faut reconnaître qu'elles sont argumentées avec talent et avec humour, ce qui permet de prendre une certaine distance avec les propos tenus. Là où les deux livres cités ci-dessus sont plutôt donneurs de leçons et assènent des vérités sans échappatoire, celui-ci présente avec humour des avis qui ne valent pas plus que le vôtre ou le mien. On lit ce livre comme on discuterait de la vie avec son collègue ou un couple d'amis.

En l'occurrence, Astier et Rollin sont célèbres et "riches", ce qui leur pose un certain nombre de problèmes que nous n'avons sans doute pas, tout en leur permettant d'en résoudre d'autres qui leur sont inconnus. Alexandre Astier explique ainsi que son avis sur l'éducation nationale et notamment l'école primaire l'a poussé à retirer ses enfants du circuit normal, pour leur fabriquer une école à eux, censée respecter plus scrupuleusement les rythmes de l'enfant, et donner plus l'envie d'apprendre. Les deux auteurs s'accordent d'ailleurs pour dire que l'école formate plus qu'elle n'enseigne et que la plaisir d'apprendre n'est jamais au rendez-vous, car bien souvent, les enseignants eux-mêmes n'éprouvent aucun plaisir à exercer leur métier.
Une vision bien idéaliste de ce que devrait être la scolarité, qui s'appuie, certes, sur un constat que je peux partager, mais au sujet duquel je ne me risquerais pas à proposer une solution ou pointer du doigt un ou des coupables. Ce n'est d'ailleurs pas tant les enseignants que le système que les auteurs critiquent ici. Leur approche artistique de l'apprentissage déforme sans doute la vision qu'ils peuvent en avoir. Rollin va jusqu'à prétendre pouvoir intéresser n'importe quel cancre en lui enseignant les mathématiques. Mais c'est oublier, selon moi, que la mission que l'on confie à un professeur aujourd'hui va bien plus loin que le simple fait de l'intéresser une heure à un cours. Une partie du "formatage" qui a lieu à l'école, s'il frustre sans aucun doute les élans artistiques et créatifs des élèves, est indispensable au bon fonctionnement de la société moderne.

Les deux humoristes abordent également la gestion quotidienne des relations avec leurs progénitures, le rapport à l'argent, à la célébrité, et dévoilent quelques unes de leurs "techniques" éducatives, qui, si elles ne sont pas directement exploitables pour le parent lambda que je suis, n'en sont pas moins intéressantes et, encore une fois, présentées de façon plaisante et parfois drôle.
La plume de Rollin, très imagée et ampoulée est un régal, me donnant presque envie de jeter un œil sur ses autres bouquins dont les titres sont alléchants (Par exemple "Les belles lettres du professeur Rollin : Ou comment écrire au roi d'Espagne pour lui demander sa recette du gaspacho").
Le bouquin se termine sur un échange de mails insultants entre les deux protagonistes qui à lui seul, mérite la lecture. On retrouve une petite similitude avec les engueulades mémorables et métaphoriques entre Hilarion Lefuneste et Achille Talon que j'affectionne particulièrement.

En bref, une lecture plaisante et intéressante pour tout parent qui se pose des questions sur l'éducation sans vraiment attendre de réponse.

Commentaires

1. Le jeudi, 6 mai 2010, 16:14 par Fil

Eh bien merci pour l'idée cadeau ! :)

2. Le lundi, 26 août 2013, 21:38 par Graou

"Une vision bien idéaliste de ce que devrait être la scolarité ... Leur approche artistique de l'apprentissage déforme sans doute la vision qu'ils peuvent en avoir."
Quel conformisme !
Si j'ai bien compris, ces dernières années, tu as réalisé une véritable révolution dans ta façon de penser à l'économie et à la société : tu as vu les limites des idées courantes (on a besoin de croissance, le chômage est la faute des chômeurs) qui enferment dans l'inaction et le pessimisme, et tu es allé au-delà : tu n'as pas peur de défendre des idées largement minoritaires et ridiculisées par la majorité (revenu de base) et même d'agir pour les concrétiser.

A quand une telle révolution pour l’éducation ?

3. Le mercredi, 28 août 2013, 09:17 par Merome

@Graou : Je suis très ouvert et très friand de toute méthode éducative nouvelle, que ce soit à la maison ou à l'école. Mais je vois aussi les limites des théories alternatives quand elles se heurtent à la réalité du terrain. Mon fils a subi une 5ème dite "sans note", je ne souhaite ça à personne. Et pourtant, je trouve que les notes sont pas une bonne chose. Voir ici

4. Le mercredi, 28 août 2013, 21:44 par Graou

Merci pour ta réponse. J'ai déjà laissé un commentaire il y a trois jours sur le fil que tu indiques en lien. L’année "sans note" telle que tu en décris l’expérience n'a d'alternative que l'apparence. Dans le commentaire, j'avais mis un lien vers une vidéo décrivant une vision radicalement différente de l’école.
Notre système actuel est basé sur une vision industrielle de l’éducation, avec un standard appliqué à tous. Il néglige complètement la curiosité naturelle de l'enfant et privilégie la soumission à l’épanouissement (rester assis toute la journée sur sa chaise, c'est dingue !! Tu te souviens de la torture ? Moi je bouillais sur ma chaise). Avec pour résultat des enfants apathiques, découragés, vidés de leur désir d'apprendre.
Le fait d'avoir un seul standard et d’être noté dessus fait que ceux qui sont en retard culpabilisent et intègrent l’idée qu'ils sont nuls, alors que ceux en avance s'ennuient et gaspillent leur temps. Même ceux qui ont le bon rythme apprennent que l'important, c'est les notes, et perdent l’intérêt pour le savoir en lui-même (c'est un principe général de psychologie, qu'un individu à qui on donne des motivations extrinsèques (récompenses) pour réaliser une tâche perd sa motivation intrinsèque : plus on paie un employé, moins il se sent impliqué personnellement).
Ce système a été fait pour fournir des employés neutres, interchangeables, robotisés, à la société industrielle. Mais aujourd'hui, ce genre d'emplois est justement ceux qui peuvent être remplacés par des robots. Ce dont notre société a besoin aujourd'hui, c'est de personnes créatives, autonomes, auto-motivées, capables de supporter l’échec. (je n'arrive plus a retrouver une super conférence TED sur l’école française et la peur de l’échec, alors à défaut, voici un article qui résume plein de choses : http://tempsreel.nouvelobs.com/educ...)
D’où l'importance de changer radicalement la manière dont on éduque nos enfants.

5. Le jeudi, 29 août 2013, 12:16 par Merome

@Graou : pas de trace de ton commentaire sur l'autre fil. Passé en spam ? Tu prêches un convaincu : l'école formate les gens à son image, elle prépare des futurs travailleurs. Maintenant en tant que père (es-tu père ?), j'ai un peu de mal à "préparer" mes enfants à autre chose que ce qu'ils vont vivre, par idéologie. Je suis obligé de composer avec la société telle qu'elle est, et mon idéologie qui est parfois inverse. J'ajoute donc à la torture de la journée la torture des devoirs le soir. Je ne sais pas si tu arrives à faire autrement mais si oui je veux bien ta recette.

6. Le vendredi, 30 août 2013, 02:14 par Graou

Bizarre, je vois très bien mon commentaire, même depuis d'autres machines.
Anyway, je remets le lien vers la vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=_Hvk...
Peut-être que ça t'inspirera.

7. Le vendredi, 30 août 2013, 08:25 par Merome

@Graou : laisse tomber, c'est moi qui n'ai pas les yeux en face des trous. Ton commentaire est bien là et je l'avais lu. La vidéo, je l'avais déjà vue. Et donc, tu as des enfants et tu as pu mettre en pratique toutes ces bonnes idées ? Parce que moi je suis d'accord avec Montessori et toutes les méthodes éducatives "nouvelles" sur le papier. Mais impossible de faire coller ça avec la triste réalité du monde actuel.

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