L'arbre qui voulait toucher le ciel

Voyons si je saurais écrire un conte.

Il était une fois, un petit chêne qui poussait à l'ombre d'un sous-bois. Sous les branches géantes d'un chêne de quatre vingts ans dont il était sans doute issu, sa cime culminait à un mètre cinquante du sol.
Son tronc était bien droit et ses pousses prometteuses. Ses feuilles larges et vertes projetaient déjà une ombre signifiante sur le sol recouvert d'herbes et de plantes sauvages.

Le petit arbre était pressé de grandir et de déployer ses branches, aussi questionnait-il régulièrement le grand chêne sur sa croissance.

- Dis moi, grand chêne, quand est-ce que je serais grand comme toi ?
- Patience, petit chêne, lui répondait-il, il faut du temps !

Mais cette réponse ne le satisfaisait guère.

Chaque printemps, de nouveaux bourgeons perçaient les branches du petit chêne, et chaque fois, cela excitait son envie de pousser encore plus haut. Il sentait en lui monter la sève si puissante qu'elle aurait pu alimenter trois fois plus de branches. Et le temps lui semblait long.

- Grand chêne, serais-je un jour grand comme toi ?
- Peut-être, oui, pourquoi pas ?
- Peut-être serais-je encore plus grand que toi ?
- Pourquoi pas ? Mais la hauteur d'un arbre ne fait pas tout.
- Pourquoi les arbres s'arrêtent un jour de grandir ?
- Pourquoi grandiraient-ils encore ?
- Parce que plus on est grand, plus on voit loin. Plus le soleil est chaud, et plus les nuages gorgés d'eau sont proches.
- Le soleil peut brûler et l'eau des nuages finit toujours par tomber au sol et abreuver nos racines comme celles des plus petites pâquerettes.
- Mais moi, je ne veux jamais cesser de grandir. Je veux grandir toujours, jusqu'à toucher le ciel.
- Tu es jeune, et c'est normal. Quand on est vieux comme moi, on n'a plus envie de grandir.
- Eh bien moi, si, j'aurai toujours envie de grandir. J'irai toucher le ciel, je me chaufferai au soleil, et je m'approcherai des nuages gorgés d'eau.

Les années ont passé et le petit arbre a bien grandi. À dix mètres du sol, il contemple l'horizon puis s'adresse à nouveau au grand arbre.

- Tu as vu, j'ai grandi, et toi, tu es resté pareil.
- Un jour, les arbres ne grandissent plus et c'est très bien comme ça.
- Moi je continuerai de grandir. Tu verras, je serai plus grand que toi.
- C'est possible. Cela ne fera pas de toi un arbre meilleur.
- Je serai plus haut, je serai plus beau.
- Mais tu resteras un arbre... Un arbre parmi les autres arbres.

Et un jour, enfin, la plus haute branche du petit arbre est parvenue à la hauteur de la cime du grand arbre. Le petit arbre savoure ce moment et sent toujours au creux de son tronc la pression de la sève qui ne demande qu'à s'élever, encore plus loin du sol.

- Tu as vu, maintenant, je suis grand comme toi.
- J'ai vu. Et ça ne me satisfait pas.
- Tu es jaloux ? Tu pensais que je n'y arriverais pas ?
- Non, mais à nous deux, nous faisons beaucoup d'ombre. Vois-tu le sol à tes pieds ? Ne remarques-tu rien ?
- Le sol est si loin, je ne m'en occupe plus.
- Le sol est loin, mais nos racines s'y enfoncent, elles puisent dans la terre l'énergie nécessaire à notre croissance. À nous deux, nous épuisons la terre, si bien que plus rien ne pousse à nos pieds.
- Qu'importe, puisque nous poussons, nous ?
- Considères-tu que nous avons plus de légitimité à pousser que les petits arbustes et les fleurs des champs.
- Bien sûr que oui ! Nous sommes des chênes ! Les petits arbustes et les fleurs ne servent à rien. Les chênes sont des essences nobles qui peuvent servir à bien des choses.
- C'est vraiment ce que tu penses ?
- Oui, et je continuerai de grandir encore, jusqu'à toucher le ciel.
- Dans ce cas, je vais partir.

Le vieil arbre petit à petit se laissa mourir. Branche par branche, il abandonna la vie en retenant sa sève.
Le jeune arbre ne comprenait pas cette attitude. Un si bel arbre qui se laissait mourir... Alors qu'il grandissait encore, il essaya plusieurs fois de le faire changer d'avis.

- Regarde-moi, je suis plus haut que toi maintenant. Je vois au loin des maisons que je ne voyais pas quand j'étais à ta hauteur.
- Je savais qu'il y avait un village là-bas. En voir les maisons ne m'apportent rien.
- Comment le savais-tu ?
- Quand l'herbe était encore verte à nos pieds, et que le chemin qui passe sous nos branches n'était pas si sombre, des hommes venaient souvent se promener ici.
- Les hommes te manquent ?
- Oui, comme l'herbe qui était verte à nos pieds, les arbustes qui retenaient l'eau pour mes propres racines, et les fleurs qui attiraient les abeilles.
- Qu'importe l'herbe, les fleurs, les arbustes, nous sommes là, nous, et nous pouvons encore grandir !
- Non, nous ne le pouvons pas.
- Bien sûr que si ! Le soleil infini nous réchauffe, l'eau tombe du ciel régulièrement. Pourquoi s'arrêterait-on de pousser ?
- Parce que ça ne sert à rien.

Le vieil arbre fut coupé par les hommes qui en firent de jolies planches bien droites et solides. Les plus petites branches réchauffèrent plusieurs foyers du village voisin.
Le jeune arbre continua de croître, profitant de la lumière apportée par la coupe de son ancêtre et des ressources nouvelles qu'il trouva dans le sol.

Il grandit tant et si bien qu'il vit derrière le village, au loin, des montagnes qu'il n'avait jamais vues. Il se promit de voir ce qu'il y avait derrière les montagnes et continua de pousser vers le haut.
Il forçait chacune de ses brancher à s'orienter vers le ciel ce qui les rendait toutes tordues. L'arbre était haut, certes, mais il n'était pas beau, et les branches du bas n'avaient presque pas de feuilles.

Un jour, une tempête s'abattit sur le sous-bois. Des vents d'une force incroyable s'écrasèrent sur la cime du chêne, le faisant plier comme jamais il n'avait plié. Il résista longtemps, mais finit par céder, épuisé par son combat contre les rafales toujours plus puissantes.
Il tomba de tout son long, dans un grand fracas de branches cassées. Ses racines gigantesques soulevèrent le sol sur plusieurs mètres autour de lui.
Son tronc s'était brisé et personne ne vint jamais faire usage de son bois.
Il comprit seulement l'attitude de son ancêtre qui restait stable en ne poussant pas trop haut, qui se souciait des arbustes qui renforçaient ses racines et le sol autour de lui. Il comprit que les arbres, un jour, s'arrêtent de pousser et qu'au final, il n'y a que les glands pour croire qu'une croissance infinie est possible.

Commentaires

1. Le vendredi, 5 mars 2010, 01:51 par Fil

Excellent ! pour des gamins, ça se lit parfaitement avant de les coucher, je me trompe ?

Et quelle dernière phrase ! :-D

2. Le vendredi, 5 mars 2010, 09:14 par agase

Pas mal du tout !

Je pense que je la raconterai à mon fils.

Ce serait même bien de l'illustrer.

3. Le vendredi, 5 mars 2010, 11:15 par Vadaskerty

Tres belle et instructive histoire á raconter aux petits!

L'écriture de conte est donc réussie...

Avec des pommiers cela peut aussi fonctionner (cf derniere phrase).

Félicitations!

4. Le vendredi, 5 mars 2010, 12:11 par Merline

les références au gland me porte à croire que les séminaires t'inspirent ;-). Au delà de çà, l'histoire est enrichissante et agréable, et convainquante ......

5. Le vendredi, 5 mars 2010, 15:15 par Torg

La fin est moins téléphonée, mais on aurait pu aussi partir sur le grand et vieux qui se sacrifie pour enrichir le terrain pour le petit et jeune.
Les chênes et les glands, on dirait du Philippe Bouvard...

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