Idée reçue : La croissance économique réduit les inégalités

C'est faux.

D'abord, on peut se poser rapidement la question: la réduction des inégalités est-elle souhaitable ? N'est-ce pas dans l'ordre des choses d'avoir des puissants et des faibles, des riches et des pauvres, et est-ce que ce n'est pas ça qui motive les hommes à se surpasser ?
Pour une part, c'est sans doute vrai, mais on parle surtout ici d'égalité des chances et d'équité. Les hommes ayant des envies et des besoins différents, l'égalité matérielle ou financière n'est pas un objectif qu'on peut se fixer, on peut par contre limiter les écarts. En revanche, l'égalité des chances a été jugée suffisamment importante en son temps pour être placée dans la devise de notre pays, je le rappelle :

Liberté égalité fraternité

On a coutume de penser que le meilleur moyen pour parvenir à une société meilleure et plus heureuse, c'est l'abondance et l'argent, équitablement partagés. C'était sans doute un objectif sain et naturel tant que l'on était dans une société sobre et mal équipée. À partir des années 60, nous avons basculé dans une société de consommation, où il n'était plus seulement question de s'équiper pour améliorer son niveau de vie, mais d'acheter toujours plus pour courir après un bonheur éventuel. Cette course en avant qu'on appelle la croissance économique a généré énormément de richesses, qui ont été plus ou moins bien partagées.

Il est utile de rappeler ici ce qu'on appelle la croissance économique. Il s'agit de l'augmentation de la production de biens et de services par rapport à l'année précédente. C'est un indicateur "relatif", donc exponentiel. 1% de croissance en 1960, ce n'est pas exactement comme 1% de croissance en 2010, c'est bien plus !

Par exemple, si en 1960, vous produisiez 100 unités d'un produit quelconque, une croissance de 3% par an vous imposait de produire (et de vendre si possible) 3 unités de plus l'année suivante. Cinquante ans plus tard, en 2010, pour maintenir une croissance de 3%, c'est 12 unités de plus qu'il faut produire, alors que vous produisez déjà 425 unités par an.

Si je prends l'exemple de 3%, ce n'est pas par hasard. C'est en général la croissance "nécessaire" à la création d'emplois. En dessous de 3% de croissance, les gains de productivité suffisent à faire augmenter sa production. Les gains de productivité, le plus souvent, ce sont des emplois en moins. On fait la même chose, avec moins de gens, ça coute donc moins cher.

On se rend compte tout de suite de l'engrenage dans lequel on a mis les doigts. Si l'on se fixe l'objectif de croître, alors il faudra le faire indéfiniment, quel que soit le contexte écologique ou économique, sous peine, de retomber de haut.

Admettons que nous soyons dans un monde idéal où les ressources sont infinies et où tout se vend comme des petits pains. Nous avons connu des périodes comme ça, épisodiques, mais réelles. La dernière en date est sans doute la période 1998-2001 :



Entre 3 et 4% de croissance. Le bonheur... Et donc, théoriquement, du mieux pour tout le monde. Eh ben en fait, non. Regardez donc la progression des inégalités de revenus sur cette période :

Selon cette étude, entre 1998 et 2006, le revenu moyen des 10% les plus riches aurait augmenté de 8,7%, celui des 1% les plus riches de 19%, celui des 0.1% les plus riches de 32% et celui des 0.01% les plus riches de 42%. Ainsi, plus l'on monte dans la hiérarchie des revenus, plus les revenus se sont accru.

On peut aussi s'amuser à regarder l'évolution du BIP 40, un indicateur alternatif qui mesure les inégalités :



On ne peut pas vraiment dire que la croissance profite à tout le monde. Elle fait surtout les affaires des plus riches. Cela ne signifie pas mécaniquement que la récession profite aux pauvres, malheureusement. C'est plutôt le signe, à mon sens, que le système économique basé sur la croissance économique est fortement pénalisant pour les plus pauvres. C'est de ce système qu'il faut sortir.

D'autant que l'on s'est placé ici dans un monde théorique qui n'a pas de limites de ressources. Or les ressources s'épuisent, et vite (j'y reviendrai dans un billet futur). Autrement dit, chaque point de croissance supplémentaire va puiser dans des réserves non renouvelables et hypothéquer ainsi les chances de notre descendance. On a réussi à faire un système dans lequel nos enfants seront moins bien lotis que nous. J'espère que tout le monde en est bien conscient.

Commentaires

1. Le mardi, 16 février 2010, 20:46 par kelux

Pour compléter :

- l'instauration d'un revenu maximal n'est pas une utopie : http://alternatives-economiques.fr/...

- l'évolution des niveaux de vie entre 1997 et 2007 en France : http://www.inegalites.fr/spip.php?a...

- et l'indice Gini qui mesure les inégalités de revenus, plus l'indice est élevé, plus la répartition est inégale (les données ne sont pas toutes à jour), les États-Unis, parmi les pays de l'OCDE, arrivent 3è en partant de la fin. Vive la croissance ? http://www.nationmaster.com/red/gra...

2. Le vendredi, 19 février 2010, 22:56 par Dana

Très intéressant, j'ai fait un bac ES, le sujet m'est familier, mais je cherchais un article sur Joe Stack. Etonné que vous n'en ayez pas parlé...Peut-être préparez-vous votre article avec soin...

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1. Le dimanche, 8 juillet 2012, 14:06 par Pearltrees

Objecter la croissance

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