J'aime ce qui s'abime avec le temps

Je crois que j'en ai déjà un peu parlé ici, je suis fasciné par l'usure. L'érosion des objets qui nous servent chaque jour, ou des lieux que nous fréquentons quotidiennement, me fascine.

J'aime essayer de comprendre ce qui a causé telle ou telle trace ou telle empreinte sur un mur, une porte, un bureau.
Regardez votre clavier, certaines touches sont plus usées que d'autres. L'endroit où frotte la souris est lissé par l'incessant ballet du périphérique sur le bureau, le pourtour des interrupteurs est toujours sale...

En voyant certains détails des choses, on peut imaginer mille scénarios pour les expliquer. J'ai cherché pendant longtemps pourquoi le dessus du dossier des chaises de la cuisine, chez mes parents, était criblé de petites marques en son centre. Les chaises étaient en bois et leur utilisation tout à fait standard. Rien ne pouvait apparemment expliquer ces marques qui étaient pourtant présentes sur les 4 chaises qui étaient autour de la table. Et puis j'ai compris.
Chaque soir, mes parents faisaient (et font sans doute encore) leur "prière", en bon catholiques pratiquants qu'ils sont (et que je ne suis plus, il faudra que je trouve un angle d'attaque pour en faire un billet, tiens). Le rituel était toujours le même : ma mère lisait le texte, agenouillée à table, pendant que mon père l'écoutait, à genoux lui aussi, mais appuyée sur une chaise retournée, les coudes sur l'assise et la bouche... au niveau du dessus du dossier. Les marques sur les chaises étaient des empreintes de la mâchoire supérieure de mon père ! (ne me demandez pas pourquoi il mordait les chaises !)

De ce goût pour l'usure depuis tout gosse, je garde cette envie de faire durer les choses et d'observer leur tenue au temps. C'est intéressant de constater qu'aujourd'hui, cette curiosité se trouve être en accord parfait avec l'idéologie à laquelle j'adhère. Je n'achète que ce que je suis sûr d'utiliser jusqu'au bout, et j'espère que ce sera le plus longtemps possible. Tout ce qui est jetable m'exaspère. J'adore constater l'usure des pneus, le niveau d'encre qui descend dans un stylo bic, la semelle des chaussures et gérer au plus juste l'espace disque et le stock de lait.

Les êtres humains s'usent aussi. Physiquement, d'abord, on peut débusquer dans les habitudes et les tics de chacun les raisons de leur existence. Ceux qui ont des dents tâchées ou manquantes tentent de le cacher en souriant moins ou en cachant le défaut avec la langue ou la main. Les oreilles décollées se laissent pousser les cheveux. Les rides apparaissent là où la peau se plie lors des expressions du visage.

Les couples aussi, s'usent, et ils s'adaptent. Les femmes jalouses transforment l'attitude de leur mari qui devient prudent avec le temps. Les hommes violents donnent des épouses introverties et peureuses. Des sujets de discussion historiquement sensibles pour le couple sont soigneusement évités...

J'observe tout ça avec attention, je glane les informations partout et j'analyse les plus insignifiantes, en me trompant sans doute souvent. Mais cela n'a aucune importance.

Commentaires

1. Le mardi, 15 décembre 2009, 05:11 par Agase

Sympa le billet.
Je suis un peu pareil, j'essaie d'emmener ma 106 le plus loin possible et pour le moment ca marche. J'ai toujours le premier vélo que je me suis acheté à mes 18 ans et je l'utilise toujours (autrement).
J'adore aussi constater l'usure des marches en pierre dans les anciens édifices (églises, chateau) et me dire qu'un certain nombre de personnes sont passées par là.

2. Le mardi, 15 décembre 2009, 07:57 par Marzi

@agase : tu fais un concours avec Etheriel ? :)

3. Le mardi, 15 décembre 2009, 08:12 par Merome

Pour avoir vu les 106 de Agase et d'Etheriel, je peux témoigner que celle d'Etheriel est plus pourrie, au moins en apparence. On se demande d'ailleurs combien de temps elle a glissé sur le toit pour arriver à un tel niveau de décrépitude.

4. Le mardi, 15 décembre 2009, 14:43 par Merline

l'usure des objets de la vie de tous les jours ne m'intéresse. Mais ce mail m'a immédiatement fait pensé à ce que j'ai vu cet été, et qui se voit un peu partout. Sur certains chemins de rando un peu escarpés, il y a toujours un rocher ou un arbre providentiels qui vous permettent d'avancer et sur lesquels tous les pèlerins avant vous se sont appuyés.
La sensation est particulièrement agréable sur une branche ou le bois est poli, plus sombre, doux au toucher, et suivant l'heure de la journée, presque chaud.
Cette usure est particulièrement agréable (pour moi), parce qu'en passant la main dessus, on a l'impression de toucher quelqu'un d'autre, de partager qqch avec ceux qui sont passés avant .....?

5. Le mardi, 15 décembre 2009, 16:36 par Merome

@Merline : Partagez quelque chose comme le virus de la grippe A, par exemple ?

6. Le mardi, 15 décembre 2009, 18:40 par agase

Bon là merome, tu casses un peu la poésie :)

7. Le mardi, 15 décembre 2009, 21:59 par Pierre

Salut,

Pour moi l'usure des pneus me démoralisent particulièrement...à cause du chiffre qu'il va falloir écrire sur le chèque...

A+

8. Le mardi, 15 décembre 2009, 22:55 par Merome

@Pierre : paye avec ta carte bleue...

9. Le mercredi, 16 décembre 2009, 00:43 par Stef

Joli titre encore une fois, je l'avais raté a mon dernier passage. :)

10. Le mercredi, 16 décembre 2009, 13:44 par Don

En effet, mérome soigne ses titres en ce moment.
Une passion nouvelle pour les jeux de mots ? :)

Pour en revenir à l'usure, c'est bien connu, nous préférons tous nos vieux jeans usés par le temps à leurs homologues neufs (d'ailleurs certains les achètent déjà usés, mais c'est une autre histoire).

11. Le jeudi, 17 décembre 2009, 11:57 par Nath

"De ce goût pour l'usure depuis tout gosse, je garde cette envie de faire durer les choses et d'observer leur tenue au temps"=> rigolo, parce que d'un autre côté, tu es absolument contre les collections si je me rappelle bien :)
Perso, je fais collection de timbres et tu sais pourquoi ? Parce que ces petites choses si fragiles me ramènent à mon rapport au temps. Ce que j'aime le plus : les timbres hérités de mes grands-parents. Ceux qui sont plus vieux que moi alors qu'un rien pourrait les détruire, ceux qui ont une histoire, ceux qui me ramène aux souvenirs de mon grand-père triant consciencieusement sa collection dans un classement unique.
Et j'avouerais que si je continue à être abonnée au service philatélique de la poste, c'est plus dans une optique de transmettre quelque chose que par intérêt pour tous ces nouveaux timbres qui sortent dans leurs pochettes aseptisées et qui ne me touchent pas.

12. Le jeudi, 17 décembre 2009, 18:01 par Merome

@Nath : justement, la collection va à l'inverse de ce goût pour l'usure. Si on a plusieurs exemplaire d'un même objet, tous ne servent pas, et si l'usure est le fruit d'une non-utilisation, non seulement elle ne m'intéresse plus, mais elle m'énerve.

J'ai un jeu de société qui prend la poussière sur mes étagères, je vais pas tarder à le vendre. Ça m'énerve.

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