Inévitable et caniculaire

Maudit lundi, je reprends le boulot aujourd'hui, mon VAE a crevé, il fait chaud et on parle de "reprise". Reprise des activités pour beaucoup d'entre nous, et reprise de l'Activité, avec un grand A. Un chouïa de croissance qui point à l'horizon du marasme. L'occasion de s'interroger sur le sens à donner à tout ça.

Je ne sais pas vous, mais moi, les veilles de rentrée, ou les lendemains, je dresse une sorte de bilan des vacances et évalue les perspectives pour la nouvelle année (scolaire) qui s'engage. Un exercice qui m'empêche généralement de m'endormir et anéantit d'un coup tout le repos que je suis censé avoir pris pendant ces courtes semaines de congés.
Toute l'année, on court après le temps disponible, alors que nous passons de longues heures, certes rémunérées, à travailler pour quelqu'un d'autre (j'exclue de ma réflexion les gens qui travaillent à leur compte, ils ont d'autres soucis, mais pas ceux là). Si ce travail pour, disons, la Société, était toujours valorisant est chargé de sens, nulle doute que je serais le premier à en faire l'apologie, car je ne crois pas être totalement indolent.
Seulement voilà, souvent, nous travaillons pour du beurre (et l'argent du beurre). Des objectifs abscons, qui servent des politiques douteuses, des choix unilatéraux qui nous précipitent un peu plus loin vers le néant interlibéral.

Comme je suis un grand utopiste, j'en viens à me demander ce qu'il en serait dans un monde idéal. Un monde où les machines auraient remplacé les hommes dans les travaux pénibles, et où l'on produirait le juste nécessaire pour la vie confortable de l'Homme. Une société où toutes les avancées technologiques auraient été accompagnées d'avancées sociales équivalentes et où chacun aurait vu sa part de gâteau devenir suffisante pour le confort de tous mais dans le respect des ressources naturelles.
Dans ce monde au chômage évidemment inexistant, combien de temps devrions-nous consacrer chacun à notre emploi ? 10 heures par semaine ? 20 heures ? Comment l'évaluer ?

Quand je pense à toute l'énergie dépensée, que dis-je, gaspillée pour produire de l'inutile et du passé de mode, et aux effets de bords scandaleux sur la vie familiale (travailler plus pour moins voir ses enfants), culturelle (travailler plus pour avoir moins le temps de lire/jouer/écouter de la musique) et sociale (travailler plus pour moins discuter avec son collègue/voisin)... Je me demande comment on peut faire pour rester là, moi à écrire cet article, vous à le lire, sans essayer une seconde de changer ce monde de merde au moins pour nos enfants. Sommes-nous idiots à ce point pour ne pas voir l'impasse de cette comédie perpétuelle qu'est le monde du travail ?

Entre deux faits divers inquiétants, la presse quotidienne nous livre heureusement des propos rassurants : la croissance revient. Saint Graal des traders, pierre philosophale des politiciens, cap Horn des industriels, la consommation toujours plus importante des ressources en voie d'épuisement réjouit tout le monde. Et pour l'obtenir, bien sûr, il faut détruire encore plus de familles, de vies, d'intelligences et d'esprit d'initiative en envoyant tout le monde au boulot se faire gronder parce qu'on n'a pas tenu ses objectifs qui étaient de toute façon débiles. Tout le monde ? Non. La crise laisse sur le pavé quelques chômeurs de plus, invités à patienter encore un peu pour goûter aux joies du libéralisme forcené et de la reprise économique. Mais on vous promet, juré, craché (à la gueule, s'il le faut) que c'est la seule et unique voie pour que ça aille mieux.

Histoire de ne pas être totalement négatif en ce jour de rentrée, une lueur d'espoir. La décroissance fait parler d'elle. Pas toujours en bien, et c'est normal, comme les chasseurs des inconnus, il y a les bons et les mauvais décroissants. Mais cela commence à titiller un peu les gens qui ont l'esprit un peu ouvert.

Profitez de ces premières heures au bureau, ou à la chaine pour ceux qui ont moins de chance que moi, ces moments où vous n'êtes pas encore totalement devenu un robot au service de l'Economie, profitez-en donc pour vous demander ce que vous foutez là au lieu d'apprendre au fiston (encore en vacances, lui) à faire du vélo sans roulette, ou bien à finir votre livre de chevet / le dernier disque de votre chanteur préféré qui vous font plus voyager qu'Air France et American Airlines réunis.
Et maintenant, demandez-vous ce que vous faites pour que ça change. Rien ? Moi non plus. On forme une belle paire de lâches, hein, tous les deux ?

Commentaires

1. Le mardi, 18 août 2009, 07:08 par Arnaud

C'est moi ou tu as oublié la vie sportive ? Non c'est vrai tu n'en fais pas :)
Voici un article bien pessimiste mais j'aime bien ta conclusion tellement vraie.

2. Le mardi, 18 août 2009, 08:06 par Merome
Arnaud : La vie sportive ? Celle qui permet à Bolt de faire le 100m plus vite que moi en vélo électrique ?
3. Le mardi, 18 août 2009, 08:41 par G2

3 mois que je suis dans cet état d'esprit, en phase avec tes propos à 200% !

Je prendrai le problème dans l'autre sens : quel est le temps _optimum_ à passer au travail pour trouver le meilleur compromis entre travail / rémunération / vie personnelle ? 20 H ?

On doit pouvoir le chiffrer, avec évidemment une adaptation nécessaire à la situation et aux envies de chacun.

4. Le mardi, 18 août 2009, 16:33 par Nath

@Merome : et tu ne te demandes pas, dans ces moments de réflexion, si tu ne pourrais pas changer de branche et bosser dans un domaine qui se raprocherait plus de tes valeurs ?
La France est en retard sur d'autres pays Européens en ce qui concerne l'industrie "verte" (fabrication d'éoliennes, panneaux solaires, etc.), il y a sûrement une foule d'emplois à la clé ! Alors pourquoi pas pour nous ?

5. Le mercredi, 19 août 2009, 08:03 par Merome
Nath : le pire, c'est que je n'ai vraiment pas à me plaindre de mon emploi. Il correspond déjà à mes valeurs, d'une certaine façon. Le problème est plus systémique, une sorte de pression sociale que j'ai du mal à accepter.
6. Le mercredi, 19 août 2009, 20:18 par Fil

Il y a une notion qu'il faudrait que tu précises un peu plus pour que tes billets aient plus de sens : "la vie confortable de l'Homme."

1er problème : Je ne suis pas sûr qu'un SDF, toi et enfin Mariah Carey aient la même notion du confort. Donc qui fixe le seuil de confort minimal et décent ? Une loi ? Chiche.

2ème problème : L'Homme, par nature en veut toujours plus (d'argent, des qualités, des joies, du temps et surtout donc du confort). Ca se traduit parfaitement bien à travers cette recherche permanente de la croissance. La société "matérialiste" dans laquelle on vit n'est pas le produit de quelqu'un d'autre que l'Homme. Et heureusement que l'Homme veut toujours mieux, s'améliorer dans un sens, c'est un peu ce qui fait qu'on ne vit plus dans des grottes et que les moves sur Wargang ne font plus 965 secondes. La décroissance me semble antagoniste avec l'augmentation de confort global de tous les Hommes. Ceux qui sont dans cet esprit là oui, mais ils ne sont qu'une toute petite minorité.

7. Le jeudi, 20 août 2009, 08:12 par Merome
Fil : excellentes remarques, au point que je me demande si c'est bien toi qui les a écrites :) D'autant plus excellentes que j'ai des réponses à donner, ce qui n'est pas si souvent.

Bien sûr, la notion de confort est très subjective et très variable selon les personnes. Je connais des gens pour qui une vie sans sèche-linge serait un retour à l'âge des cavernes. Et tu as raison aussi sur la propension de l'Homme à aller de l'avant, à faire toujours plus ou mieux.

Pour le premier problème, il y a une façon "simple" de trouver la limite technique du confort : l'empreinte écologique. L'américain (Maria Carey) qui "consomme" 5 planètes, et l'européen 3 planètes... La limite doit être celle là : si je consomme plus que ma part du gâteau, alors mon confort est de trop, il faut réduire. Ce n'est peut-être pas tout à fait évident à mettre en oeuvre dans une société, par la loi ou autre chose, mais au moins, cela donne une mesure et un objectif.

Pour le deuxième problème, la décroissance est loin, bien loin d'être contre le progrès. Et donc il ne s'agit pas de faire exprès de ne pas aller de l'avant, de ne pas faire mieux. Bien au contraire. Comme je décris mon monde idéal, il s'agit que chaque progrès soit accompagné de la même avancée sociale et/ou humaine. On met au point un robot qui réalise une quelconque tâche ingrate en usine ? Très bien, le temps de travail des ouvriers qui faisaient ça avant va se réduire d'autant, et les bénéfices de la robotisation seront partagés par tous. C'est très schématisé et naïf, mais tu vois bien ce que je veux dire par là.
On a augmenté les rendements et la productivité de tous les métiers (sauf peut-être les informaticiens !) d'une façon impressionnante en quelques dizaines d'années. À chaque fois, on en a profité pour générer plus de richesses inutiles (gadgets jetables, loisirs gourmands en énergie ...), au lieu de profiter de l'avancée technologique. Un peu comme si tu achetais un lave-vaisselle pour faire la vaisselle à ta place, mais que tu profites du temps de gagné pour nettoyer au paic citron à la main et tous les jours ta chaine de vélo et tes jantes alu.

Par ailleurs, c'est difficile de dire si c'est bien l'Homme qui veut toujours plus. Pour faire fonctionner la machine infernale dans laquelle on est, il faut la force de conviction de la publicité. C'est elle qui démode les produits anciens et force à en acheter de nouveaux. C'est elle qui donne envie, qui tente et qui incite. Sans la pub, qui sait ce dont l'Homme rêverait ? D'une décapotable avec chauffe-nuque ? Ou d'une voiture qui fait pas de bruit et ne rejette pas de gaz à effet de serre ?
8. Le jeudi, 20 août 2009, 13:33 par marzi

Mouais, enfin, la théorie des planetes est basé sur la population : le raisonnemetn devrait plutot etre "tel pays doit consommer tel chose"... parce que là, le dénominateur n'est pas maitrisé.

Pour le chauffe-nuque : tu crois que c'est que la pub qui influence cet achat et pas la nature humaine ? Mouarf.

9. Le vendredi, 21 août 2009, 08:38 par Merome

Marzi : je ne crois pas qu'il me serait venu à l'esprit de désirer un chauffe nuque.

10. Le vendredi, 21 août 2009, 09:52 par marzi

Ah ben évidemment, et moi non plus. Mais tous les mecs qui ont un cabriolet de frimeur dans les régions où le temps est pourri en rêve depuis longtemps, il faut te rappeler que tu ne refletes pas "le marché". Au passage, les motos avec chauffage existent depuis des années, c'est meme surprenant que le chauffe-nuque n'ait pas été créé avant!

11. Le vendredi, 21 août 2009, 12:12 par Merome

Ce qui est sûr, c'est que ceux qui ont un cabriolet et qui n'y pensaient pas jusque là, maintenant, ils vont trouver ça indispensable.
Les cabriolets existent depuis quelle année ? Ils ont réussi à se passer de chauffe nuque jusque là ?

12. Le vendredi, 21 août 2009, 22:59 par Arnaud

Je dirais même que les voitures existent en "cabriolet" depuis le début. Les premières n'avaient pas de toit. :)

13. Le dimanche, 23 août 2009, 23:36 par Sébastien

On est sur la même longueur d'ondes, demain je reprend et je me faisais la même réflexion. C'est l'effet reprise.
Pourquoi passer tout ce temps à travail quand on pourrait faire autrement...

Mais cette autre organisation serait-elle viable, est-ce que ça existe ailleurs dans le monde, ou à défaut est-ce qu'il existe des études théoriques sur une telle société ?

14. Le lundi, 24 août 2009, 22:43 par Sébastien

Des idées intéressantes d'André Gorz sur le sujet (plus vers la fin de l'interview) :
sites.radiofrance.fr/chai...

15. Le lundi, 24 août 2009, 22:59 par Sébastien

La revue Ecorev n°28 semble aussi intéressante :
www.difpop.com/web/catalo...

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