Trois enfants dans la ville (partie 4 - Visite du musée de la Mine)

Tout le monde au charbon.

L'avantage d'être inculte, c'est qu'on se surprend d'un rien. Saint Etienne, pour moi qui ne suis même pas amateur de foot, c'était le stade Geoffroy Guichard et pis c'est tout. Et la mine, le charbon, je voyais bien ça exclusivement dans le Nord ou en Lorraine. Au nord, c'était les corons, et tout ça. Pierre Bachelet n'a jamais parlé de Saint Etienne dans ses chansons.

J'ai découvert avec stupeur que toute la région était fortement minière, au point d'y avoir consacré plusieurs musées, dont celui de la Mine Couriot, dont je vais vous raconter l'intéressante visite.

À force de réfléchir ici au fonctionnement absurde de notre société, et d'en dénoncer les travers qui me sautent aux eux, j'ai fini par ne plus rien comprendre au monde industriel. Je veux dire par là que quand on essaye d'être décroissant, et de faire plein de trucs avec rien, les gigantesques machines industrielles et les milliers d'hommes qui travaillent de concert dans des conditions pénibles pour extraire un matériau polluant, ça laisse perplexe. J'ai les mêmes questionnements en observant le lent déclin de l'industrie automobile locale. Je me demande comment tout cela a pu marcher un jour.

Dès l'entrée sur le site, on ne peut qu'imaginer la nuée d'hommes et de femmes qui pénètre dans la cour de l'établissement pour y passer huit à dix heures à suer sang et eau pour un patron qu'on n'a du mal à voir autrement que détestable. Effet Germinal ? On est pris d'une certaine compassion pour ces gens qui allaient à la mine, au sens propre.
La visite commence par la "salle des pendus", gigantesque hall où les vêtements des travailleurs étaient suspendus au plafond pour gagner de l'espace et faciliter le nettoyage des sols. Juste à côté, une série de douches. L'ensemble nous rappelle vaguement un camp de concentration, l'odeur du charbon en plus.
Nous nous dirigeons ensuite vers l'ascenseur qui va nous conduire dans un boyau de mine reconstitué, à sept mètres sous la terre, après avoir mis un casque de protection, pour faire plus immersif.
Car ce musée se veut très réaliste, et il faut bien avouer que c'est une réussite, et que le résultat est extrêmement pédagogique, les enfants sont captivés, et nous, pas tout à fait rassurés de plonger dans le noir de la mine dans un ascenseur d'apparence tout déglingué, dans une ambiance laborieuse et dure qui nous choque.
En bas de l'ascenseur, un petit train avec des wagonnets nous attend, et nous conduit au fond d'une mine parfaitement reconstitué, dont l'activité nous est expliquée par des écrans de télé disposés le long du parcours.

Toute l'Histoire de l'extraction de charbon est passée en revue, en sens inversement chronologique (pour une raison qui m'échappe). Depuis la pioche et le cheval, jusqu'à la dynamite et l'extracteur mécanique. Une constante, à travers les époques : les risques pris par le personnel, et la difficulté du travail.

Le site Couriot a été exploité jusqu'en 1973, c'était hier. Pourtant, ces images nous évoquent plutôt le XIXème siècle. Une partie de la visite est consacrée au reclassement professionnel des mineurs au moment du démantèlement. On y voit des gars qui ont appris un autre métier, dans la métallurgie, ou une autre industrie lourde. D'autres, les plus anciens, qui n'arrivent pas à croire que le charbon, c'est fini, et qui refusent de se reconvertir. Impossible de ne pas faire le parallèle avec l'industrie automobile aujourd'hui, dépassée, démodée ou en passe de l'être. Et les mêmes réactions, des politiques, des industriels ou des employés, persuadés qu'une prime à la casse, un contexte plus favorable, va suffire à faire repartir les machines à plein régime...

À la fin de la visite, on remonte dans la salle des machines. L'ascenseur qui transporte des milliers d'hommes à la vitesse de la chute libre au fond du trou, et remonte le charbon pendant la journée. Les turbines qui génèrent le courant continu nécessaire à l'alimentation électrique de la mine. Difficile de concevoir comment de telles machines sont arrivées là, le prix qu'elles ont coûté, la somme de savoir-faire et de technologies qu'elles représentent, et leur abandon soudain pour de nouvelles sources d'énergie.
Enfin, la lampisterie, où les hommes échangeaient leur badge en métal contre une batterie chargée pour alimenter leur lampe frontale, replace la visite dans sa tragique humanité : les badges qui restaient accrochés au tableau permettaient de décompter les victimes de la journée, morts au fond du trou pour une source d'énergie dont aujourd'hui tout le monde se fout, à raison.

Ce musée était sans nul doute le plus intéressant moment de mon séjour à Saint Etienne. Si vous passez dans le coin, ne le manquez pas.

Commentaires

1. Le jeudi, 6 août 2009, 13:32 par Torg

Le physicien s'insurge. On ne monte ni ne descend à la vitesse de la chute libre, qui est changeante constamment. C'est un mouvement uniformément accéléré. La vitesse ne saurait être constante. L'accélération, elle, l'est par contre :)

2. Le jeudi, 6 août 2009, 14:20 par Stef

Ah oui l'accélération en chute libre, le truc en rapport avec le point G ?? :):):)

L'article donne plus envie que celui d'hier en tout cas. Juste un petit détail :
"pour un patron qu'on n'a du mal à voir autrement que détestable." : pourquoi ?
- parce tu as trop lu Germinal ?
- parce que risquer la vie de mineurs pour extraire le charbon semble tellement aberrant maintenant alors que c'était considéré comme "normal" a l'époque rend forcément méchant ceux qui l'appliquaient ?
- par principe, un patron est forcément détestable ? :)

3. Le jeudi, 6 août 2009, 15:28 par Merome
Torg : Tu as raison, mais l'important est que tu aies bien compris ce que je voulais dire.

Stef : C'est une bonne question. Effectivement, Germinal et tous les récits de l'époque, présentaient les patrons comme indifférents aux problèmes de la classe ouvrière. Et oui, le fait de faire du pognon sur le dos de gens qui risquent leur vie me semble un peu limite, moralement. M'enfin, ne confondons pas "méchant" et "détestable". Je n'irai pas jusqu'à dire que tous les patrons sont ou étaient des "méchants". Par contre, ceux qui profitent d'une situation déséquilibrée et ne font rien pour la changer, eux, sont détestables. Et j'ai du mal à m'imaginer un patron de mine différent de ça. Mais, c'est juste mon imagination qui est limitée...
4. Le jeudi, 6 août 2009, 21:38 par Stef

J'imaginais bien ça, et je comprend -et partage- ton sentiment sur le sujet. (avec la réserve du jugement a une autre époque, il fût un temps ou le charbon était nécessaire au fonctionnement de la société).

5. Le vendredi, 7 août 2009, 08:28 par Merome
Stef : Le charbon "nécessaire"... C'est une question de point de vue. Le jour où l'on découvrira que le pharmacien en granulés est une excellente source d'énergie, même si c'est "nécessaire", je suis sûr que tu préféreras qu'on n'exploite pas cette mine !
Admettons que je sois au XIXème siècle en position de faire exploiter une mine de charbon qui m'appartient, par ignorance, je peux concevoir qu'il y ait des pertes accidentelles au début. Mais si c'est le cas, soit je trouve une solution pour limiter ces risques et la pénibilité du travail (en réduisant le temps de travail, en mécanisant là où c'est dangereux, en payant l'ouvrier plus cher...), soit je ferme la mine et j'abandonne l'idée de l'exploiter. Tout autre choix est moralement indéfendable. Eh ben, ils ont tous fait un autre choix, les patrons de mine.
6. Le vendredi, 7 août 2009, 09:36 par Stef

A une époque il n'y avait pas d'autre source d'énergie il me semble...
De même la pénibilité du travail n'avait pas le même sens au 19e siècle que maintenant.

Autre temps, autre moeurs, tu ne peux pas juger les actions de quelqu'un a l'époque avec des référentiels de notre époque.

7. Le vendredi, 7 août 2009, 09:46 par Merome
Stef : Oui, dans une certaine mesure. Il me semble qu'à l'époque déjà la vie humaine était importante et les privilèges avaient été abolis.
8. Le vendredi, 7 août 2009, 11:21 par Stef

On aurait aussi du arrêter l'agriculture parce que les paysans se tuaient au travail, la pêche parce que les marins mouraient en mer...

Bien sûr que tout ça parait anormal avec le recul que nous avons.

9. Le vendredi, 7 août 2009, 12:40 par Merome

Stef : tes exemples sont intéressants : ce sont en grande majorité des gens qui étaient leur propre patron. Moi aussi je prends des risques quand j'empoigne ma scie sauteuse. C'est à titre personnel, personne ne m'oblige à le faire et je le fais en mesurant les risques. Dans le cas de la mine, c'est un autre contexte.
Cela dit, je suis d'accord avec toi quand même, c'est une question d'époque aussi. Mais se sentir un minimum concerné par les problèmes des risques et les problèmes sociaux me semblerait être un minimum qu'ils n'atteignaient pas.
Mais ce n'est qu'une impression que j'ai. Peut-être tout à fait fausse (faussée par Germinal et cie).

10. Le samedi, 8 août 2009, 18:19 par Arnaud

Merome,
qui te dit que les patrons de l'époque ne faisaient pas dans une certaine mesure des efforts pour améliorer les conditions d'extraction ?

11. Le dimanche, 9 août 2009, 12:11 par Merome
Arnaud : Rien. Mais je serais heureux que tu me donnes des informations dans ce sens.

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