Keynes préconisait d'employer la moitié des chômeurs pour creuser des trous, et l'autre moitié pour les reboucher. C'est ce qu'on fait.

Essayons de raisonner global et de simplifier (avec un brin de mauvaise foi sans lequel ce blog ne serait pas ce qu'il est) : le travail des hommes leur sert à se nourrir, à la base. Les hommes préhistoriques chassaient et pêchaient. Puis l'agriculture a permis à l'homme de se "poser" pour travailler au champ et assurer sa pitance du midi. La mécanisation a permis à l'homme de faire ça à grande échelle, libérant du temps pour d'autres développement, puis des loisirs, etc...

Néanmoins nous continuons aujourd'hui de travailler pour "manger" et faire manger nos familles, même si nos métiers respectifs sont tout sauf liés à l'alimentation proprement dite.
Puisque nos besoins en nourriture sont comblés, et même plus que ça pour les obèses, nous arrivons à une situation où, fondamentalement, nous n'aurions plus besoin de travailler. Ou très peu. Juste quelques paysans avec des gigantesques machines, des gens pour transformer ça en quelque chose de comestible, et les distribuer.
Si l'on s'arrêtait à ça, le chômage toucherait les trois quarts de la population, peut-être, alors pour ne pas rester oisifs et désœuvrés, on a employé la moitié des gens à creuser des trous, et l'autre moitié à les reboucher. Enfin, pas tout à fait quand même, disons qu'on a des gens d'un côté qui produisent, par exemple, des téléphones portables à tour de bras, et de l'autres des gens qui les détruisent ou les jettent à la poubelle. Remplacer téléphone portable par tout ce que vous trouvez d'inutile et idiot, ça ne change pas fondamentalement le raisonnement.

Nous arrivons à un stade où tant de trous ont été faits dans le sol, qui ont été tant de fois rebouchés, qu'il n'y a plus moyen de faire quoi que ce soit de bon avec le trou qu'on creuse avant de le reboucher. La terre est friable, mauvaise, usée.

Et si nous arrivions à ne garder que la masse de travail "utile", celle qui permet aux hommes de se nourrir et de se divertir, sans endommager la planète ? Vraisemblablement, il y aurait globalement bien moins de travail pour tout le monde. Donc soit l'on considère que seuls quelques "privilégiés" peuvent travailler, soit l'on "partage" ce travail entre tous, pour que chacun mérite la part de nourriture qui lui revient.

J'entends déjà les anti-35h crier : "Mais le travail est un tout qui ne se partage pas !". Et ils ont à la fois raison et tort. Raison parce qu'effectivement, un jour de travail d'un homme n'est pas rigoureusement équivalent à deux demi-journées de travail pour deux hommes. Ce n'est pas aussi mathématique que ça. Mais si je réduis mon temps de travail, fatalement, quelle que soit ma productivité, si elle est stable, je fais moins de choses dans ma semaine. Si ces choses sont "utiles", quelqu'un d'autre doit les faire. Je peux donc bien "partager" mes tâches, même si la part que je ne fais pas ne sera pas faite forcément dans le même temps par un éventuel remplaçant.

Puisque nous faisons pas mal de travail inutile, ou plus exactement superflu et futile, qui n'a comme unique conséquence que d'épuiser la Terre de ses ressources sans faire notre bonheur, il n'y a aucune raison que nous ne puissions pas nous débrouiller pour que tout le monde travaille son quota pour avoir sa part du festin.

Les impacts d'une réduction du temps de travail sont multiples, et ce même si elle s'accompagne d'une réduction du salaire de la même proportion. D'abord, il y a des frais en moins, pour les familles : moins de frais de garde, peut-être moins de cantine pour les gosses. Ce sont des gains directs. Indirectement, c'est aussi plus de temps pour cuisiner, cultiver son potager, et donc acheter moins de malbouffe toute cuisinée, subir moins de maladies cardio vasculaires, faire du sport, être en meilleure santé...

Moins monnayable, mais tout aussi important me semble être le gain éducatif. Ma mère, comme beaucoup de mamans de sa génération et encore plus de celle d'avant, était mère au foyer. Dès 16h30, sortie d'école, elle s'occupait de moi jusqu'au coucher. Quand mon père arrivait, le ménage était fait, la cuisine aussi, et il avait de ce fait, plus de temps à me consacrer lui aussi.
Aujourd'hui, nous avons en tout et pour tout 2h par jour à consacrer à nos enfants, et dans ces horaires, nous devons en plus gérer le ménage, la lessive et la préparation des repas. Ne vous étonnez plus du caractère difficile des enfants d'aujourd'hui : ils ne voient plus leurs parents que pour faire les devoirs (au mieux) ou partager la télé (au pire).
Bien sûr, chacun, et chacune, doit pouvoir choisir le temps qu'il souhaite consacrer à son travail. Je ne suis pas en train de faire l'apologie de la femme au foyer, mais celle de "plus de temps au foyer pour tout le monde".

La décroissance, c'est aussi la décroissance du temps de travail. Ça existe déjà, ça s'appelle le travail à temps partiel. Lorsqu'il est souhaité, demandez aux gens qui le pratiquent s'ils en sont contents...
Si nous voulons réduire notre empreinte écologique, et même si nous ne le voulons pas d'ailleurs, nous aurons à trouver d'autres organisations du travail. Ça tombe furieusement bien parce que notre organisation actuelle est imparfaite, et produit en plus du chômage, de la frustration, de l'inégalité, de la délinquance, sans améliorer notre bonheur ressenti. Profitons donc de l'occasion pour nous remettre en question en profondeur sur le sujet.

Commentaires

1. Le jeudi, 9 juillet 2009, 07:09 par Arnaud

merome, l'erreur de raisonnement sur laquelle tu bases cet argumentaire me surprend. Je te croyais plus rigoureux. :)

Je ne remets pas en cause le fait qu'il y a tout un tas de travaux inutiles qui correspondent à "tes trous".
En revanche, tu dis que seuls quelques agriculteurs permettent de nourrir la planète : FAUX !
Ils utilisent des outils. Et qu'est ce que la mécanisation ? des emplois et des emplois ? Et pour faire fonctionner une usine ne faut-il pas tout un tas d'autres métiers dont l'informatique ? Et la sédentarisation, n'est-elle pas source d'emplois ? poste, route, maison,...
L'agriculture de fonctionne pas toute seule.
Personnellement, je fais un petit potager qui couvre quoi ? 10% des besoins de ma famille ? et encore, Pour se faire, il me faut un bêche, une pioche,... et qui me les fabrique ?

Maintenant, je n'irai pas jusqu'à dire qu'il n'y a pas de tâche inutile mais je n'irai pas jusqu'à les énumérer. L'inutilité restant à la discrétion de chacun.

2. Le jeudi, 9 juillet 2009, 07:44 par Merome
Arnaud : tu as mal lu ou je me suis mal exprimé. Trop vite en fait. Je dis en substance : "Juste quelques paysans avec des gigantesques machines, des gens pour transformer ça en quelque chose de comestible, et les distribuer", tu vois, je ne dis pas "que des paysans". Et donc cette énumération incluait de facto les gens qui construisent et maintiennent les machines agricoles, les fonctionnaires qui gèrent l'aspect foncier, etc etc...
3. Le jeudi, 9 juillet 2009, 07:48 par Arnaud

Ce n'est pas très clair effectivement

4. Le jeudi, 9 juillet 2009, 13:53 par Arnaud

Je rajouterais que tu fais un raccourci beaucoup trop rapide.
Essaie d'analyser les besoins d'un peuple nomade et celui d'un peuple sédentaire et tu verras qu'ils ne sont pas comparables.
Dans notre société "développée", on a poussé cela à son apogée en y ajoutant également des besoins "futiles et ridicules"

5. Le vendredi, 10 juillet 2009, 10:53 par Nath

Faut-il en conclure, à lire ce billet que tu vas passer au temps partiel en grand adepte de la décroissance que tu es ?

6. Le vendredi, 10 juillet 2009, 12:06 par Merome
Oui, dès que "certaines conditions" seront réunies. C'est un objectif, oui.
7. Le vendredi, 10 juillet 2009, 12:38 par Odile

Passer au temps partiel ? Mérome, si vous étiez une femme de ma génération, et à l'époque où nous étions encore en activité, je vous aurais dit : "Méfie-toi ! Le mi-temps c'est le meilleur moyen pour faire double journée !" Mais bon, les temps ont changé. Alors essayez, et dites-nous le résultat.

Moi j'étais prof (à plein temps), mes horaires correspondaient à ceux de mes enfants (sauf les soirs de conseils de classe) donc je pouvais m'occuper d'eux... Alors tout le boulot qu'un prof fait chez lui, il fallait que je le case dans les moments où les enfants n'avaient plus besoin de moi. Que de belles soirées passées devant mes copies !

Et avoir les mêmes vacances que les enfants, c'est pratique, y compris pour les belles-soeurs qui peuvent vous confier leur progéniture. Mais ça veut dire qu'on ne se repose jamais.

8. Le vendredi, 10 juillet 2009, 17:50 par Nale

dis, enlève moi un doute, ce que tu décris, çà ne ressemblerais pas a ce qu'on appel le "communisme" ?

Enfin, je crois que çà y ressemble vachement à l'idée de base et on voit où çà a mené, étant donné que certaines personnes profitent et tenteront tjs de profiter du système malheureusement !!!

9. Le vendredi, 10 juillet 2009, 22:44 par Raf

Il y a un homme politique qui se bat depuis plusieurs années pour le partage du temps de travail et la semaine de 4 jours, c'est Pierre Larrouturou, je te conseille la lecture de son bouquin qui est vraiment instructif. J'avais fait un modeste article sur le sujet: www.imparfaitdusubjectif....

10. Le dimanche, 12 juillet 2009, 00:30 par Fil

Nale, je crois que tu as un peu raison oui. Et plus globalement, le communisme ou tout autre forme d'idéologie extrêmiste (dont les décroissants et les écolo pure souche font partie) base justement son modèle de société à partir du postulat selon lequel TOUS les humains recherchent la même chose et que cette idéologie donc, pose les fondements pour que tout le monde soit heureux, dans une société parfaite ou personne ne veut le mal des autres et où personne ne veut être mieux que les autres.

En fait, c'est faire comme si l'Humain était un être rationnel, comme si la psychologie n'existait pas.

11. Le dimanche, 12 juillet 2009, 08:30 par Merome
Fil et Nale : vous vous trompez. La dernière réduction du temps de travail qui a été mise en place en France, c'est par les socialistes, pas par Staline. Et les différences de vue entre le communisme et la décroissance sont nombreuses, je vous renvoie à l'article de SuperNo sur le sujet. Pour être aussi vertement critiqué par Lutte Ouvrière, je ne pense pas que la décroissance soit communiste, non. Vraiment pas.
12. Le dimanche, 12 juillet 2009, 14:55 par Fil

Je parle pas spécialement de la réduction du temps de travail. Par ailleurs, y'a une sacrée différence entre la thèse que tu expliques dans ton billet et les raisons et conséquences de la RTT d'Aubry.
Et j'ai jamais dit que les décroissants et les communistes n'étaient pas différents. Je dis juste que des régimes qui n'assimilent pas les différences entre les gens ne sont pas viables. Un régime politique fiable se calque sur les comportements et essaie de les conserver dans un "enclos" qui rende la vie en communauté possible. Un régime politique comme les communistes, les décroissants, les écolos, les nationalistes, les capitalistes, les religieux vise à modifier les comportements pour qu'ils collent au modèle de société. Ca, selon moi, c'est perdu d'avance et ça ne peut qu'être la source de troubles.

13. Le dimanche, 12 juillet 2009, 15:39 par Merome
Fil : C'est intéressant comme point de vue, mais il faut approfondir. Tu sembles dire que tout ce qu'on a connu comme régime politique jusque là était imparfait pour les raisons que tu dis (modifie les comportements au lieu de se calquer dessus). Admettons. Et donc, un régime idéal, selon toi, ça ressemble à quoi, concrètement ? L'anarchie ?

Par rapport à la décroissance, la différence (positive) que je vois avec les autres modèles, c'est que cela vise à rendre la société durable. Ce qu'aucun modèle n'a vraiment fait aujourd'hui, occultant totalement la contrainte écologique. Et donc, cette modification des comportements est certes contrainte, mais elle est surtout nécessaire. À part cette épée de Damoclès écologique inéluctable, je pense que les décroissants sont assez tolérants vis à vis des modes de vie.
14. Le dimanche, 12 juillet 2009, 18:59 par Fil

Et j'ai jamais dit non plus que tous les régimes politiques étaient imparfaits jusqu'alors. :) D'ailleurs, j'ai bien parlé des partis extrêmistes. J'ai besoin d'énoncer les partis non extrêmistes ou c'est bon ? Les partis justement qui essaient de concilier tous les modes de vie : des gens qui ont du mal à s'intégrer, aux gens hyper compétitifs qui sont incapables d'envisager un futur de régression.

Les décroissants visent à rendre la société durables... tout comme les Verts "classiques" qui eux ne parlent pas de décroissance. D'autres partis intègrent aussi une grande part d'écologie dans les programmes, mais c'est un peu noyé dans la masse et parce que ce n'est pas leur spécialité, les médias parlent moins de ces aspects.
Quant au changement de comportement nécessaire, il a commencé depuis très longtemps, il se produit doucement, au rythme incompressible des changements de mentalités, comme tous les autres qu'il ya eu dans le passé. Si l'épée de Damoclès doit frapper, elle frappera. Et elle va frapper, ça fera de la place sur la Terre, chose également nécessaire.

15. Le dimanche, 12 juillet 2009, 20:56 par Merome

@Fil : Eh ben, quelle foi en l'avenir ! Tu ne sais pas ce qui va se passer, mais ça sera bien ?
Evidemment, vu comme ça, plus de raison de s'inquiéter. Remarque, quand j'avais ton âge/ta situation, j'étais pareil :)

16. Le dimanche, 12 juillet 2009, 22:23 par Fil

Bah quitte à être décroissant, autant l'être avec ce qui prend le plus de place/ressources/temps à s'occuper/propension à créer des problèmes : l'Homme. :)

17. Le jeudi, 16 juillet 2009, 21:45 par gggfqbq

Tu oublies le concept de productivité, on peut baisser la production sans baisser le temps de travail. le temps de travail servant aussi à sociabiliser et passer le temps. De plus une faible productivité fait baisser stress, accident du travail et Cie

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