Le déni de démocratie est-il bien où l'on croit ?

C'est un article qui me trotte dans la tête depuis de longues semaines, les récentes élections européennes m'ont permis de trouver un angle intéressant pour l'aborder.

Comme plus personne ne l'ignore depuis que je l'ai posté ici, j'ai voté "décroissants" aux européennes, en imprimant manu militari mon bulletin trouvé sur internet. Quelques jours avant seulement je ne savais même pas que le parti pour la décroissance proposait une liste, et pour cause : ni profession de foi, ni affiches, et bien sûr aucune invitation dans les débats télévisés (que je n'ai de toute façon pas regardés !), et au final, aucun bulletin dans le bureau de vote.

L'impression des bulletins ainsi que l'ensemble des frais de campagne, pour ce scrutin comme sans doute pour les autres, j'ai pas vérifié, est à la charge des candidats. Autrement dit, le PS, l'UMP, Europe Ecologie et le Modem, qui sont de grosses structures bien organisées et bien financées n'ont aucun soucis pour faire campagne, alors que les partis plus modestes doivent racler les fonds de tiroir et faire appel aux dons pour trouver les sous nécessaire à l'impression de quelques misérables bulletins, quand ils le peuvent.

On a pu voir, par conséquent, ici ou là, des scènes électorales dignes de la dernière des républiques bananières. La présence d'un bulletin de vote n'étant pas "obligatoire" dans un bureau de vote, c'est la porte ouverte à toutes les horreurs : du maire mal intentionné qui ne met pas sur la table tous les bulletins qu'il a en stock pour tel parti, à l'électeur qui ne peut carrément pas voter pour le parti qu'il a choisi, faute de bulletins édités en nombre suffisant... Une bien belle démocratie que voilà.

De plus, vous n'ignorez pas ma position sur les modes de scrutin que nous utilisons et leur capacité à rouleau-compresser les bonnes idées avec le spectre du vote utile, ni ma position sur la compétence et l'assiduité de nos chers élus aux différentes assemblées pour lesquels on leur a donné un mandat.

Trois raisons, en somme, de s'interroger sur une "meilleure" façon de voter.
C'est là que la machine à voter intervient dans le débat. En tant que dangereux gauchiste-écolo-bobo-blogueur du web, je suis censé être totalement contre le vote électronique, qui n'est ni vérifiable, ni probant, ni démocratique, ni tout ce qu'il faut pour faire une élection sereine et égalitaire.
Force m'est de constater que ce scrutin des européennes, et dans une mesure proche, tous les scrutins qui l'ont précédés et qui sont pourtant réalisés dans les règles de l'art, avec des beaux bulletins papier, n'a rien à voir avec la démocratie. C'est une comédie à laquelle on se plie parce que nous sommes de bons garçons et que l'idée que quelqu'un puisse nous retirer ce droit de vote inaliénable nous effraie. Mais dans le fond, les potentialités de changement dans le bon sens sont maigres. Et quand en 2002, on se retrouve avec le choix Chirac / Le Pen, on peut légitimement se demander si tout fonctionne comme prévu dans le scrutin pourtant parfait sur le papier.

La machine à voter, peu importe la forme qu'elle prend, résout déjà le problème du bulletin à imprimer. On entre une liste de candidats, qui apparaitront sur l'écran. C'est déjà un mieux.
Le dépouillement automatisé qui est lié apporte une autre souplesse : la possibilité de compliquer le scrutin, en introduisant la notion de classement des votes. J'ai déjà parlé ici de la méthode de Condorcet, il y en a d'autres, toutes bien plus efficaces pour trouver le "meilleur compromis" que le bête vote majoritaire que nous utilisons tout le temps.
Enfin, l'organisation d'un scrutin électronique étant plus "immédiate", on peut se permettre de voter plus souvent, et pourquoi pas de voter directement pour des idées, plutôt que pour des hommes et des femmes censés nous représenter ?

Voilà, moi, ce que je trouve d'intéressant dans le vote électronique. Ce qui me vaut généralement les volées de bois vert de ceux avec qui j'en parle et qui défendent bec et ongle ce vote manuel et papier qui donne de si bons résultats actuellement.

Rassurez-vous, j'ai bien conscience des difficultés qu'introduisent les machines à voter. La non-transparence de l'urne. L'éventuelle non-anonymat des votes. L'impossibilité de vérifier le scrutin si l'on n'est pas expert en informatique.
Mais juste comme ça, je me suis amusé à imaginer une machine à voter qui éluderait la plupart de ces problèmes.

Imaginez une organisation comme celle-ci : L'électeur arrive au bureau de vote, les mains dans les poches, et ses justificatifs d'identité à portée de main. Il se présente aux assesseurs qui lui donnent l'autorisation d'aller voter sur la machine. Il s'isole pour ce faire, et à la fin de son vote, obtient à l'écran ou sur un reçu, un numéro unique qui lui est attribué aléatoirement par la machine. La machine ne sait pas qui il est, et elle n'est reliée à rien d'autre que le réseau électrique. L'électeur signe le registre papier, ce qui permet de compter le nombre d'électeurs dans ce bureau, et d'éviter les double-vote.
Lors du dépouillement, la machine, maintenant connectée au réseau, envoie ses données à un central national, qui les collecte, les traite (par la méthode Condorcet, par exemple) pour en ressortir le meilleur compromis. Ce traitement génère également une liste, par bureau de vote, qui met en face de chaque numéro unique attribué, le choix qui a été effectué.

Nous avons donc un vote anonyme, tant que le numéro unique n'est communiqué à personne.
Nous avons un vote vérifiable : chacun peut aller vérifier sur la liste nationale que son vote a bien été pris en compte comme il le souhaitait (ce qui n'est pas directement possible dans le mode papier actuel, d'ailleurs).
Nous avons des possibilités de fraudes minimes, car la machine traite des données non-nominatives, qui peuvent être recoupées (sur le nombre) avec les signatures des électeurs.

Je ne doute pas que vous trouverez des failles à ce système que je n'ai pas mis des mois à concocter avec l'esprit paranoïaque du démocrate forcené. Il s'agit juste de faire avancer l'idée que la machine à voter, et plus généralement le vote électronique peut permettre d'arriver à un niveau de fiabilité raisonnable sans monter une usine à gaz décryptable uniquement par une poignée d'experts. Dans tous les cas, ce niveau de fiabilité, s'il n'est sans doute pas parfait, est à mon sens bien au-delà du système actuel qui, par construction, comme je l'ai dit en introduction, a des lacunes démocratiques évidentes. Et les fraudes existent d'ailleurs dans le vote papier.

La "machine à voter", au final, c'est peut-être bien cette lourdeur du vote papier qui nous impose des choix qui n'ont rien de démocratiques. La machine à voter, c'est notre démocratie et nos modes de scrutins actuels.

Commentaires

1. Le mercredi, 17 juin 2009, 09:40 par Nath

C'est intéressant et à chaud je ne vois pas de faille à ton système si ce n'est celle-ci : si un électeur, muni de son reçu qu'il aura précieusement conservé, s'apperçoit d'une erreur, quel recour aura-t-il une fois que les résultats auront été émis officiellement ?
Aux dernières élections, je me suis faite avoir car ma procuration n'est pas arrivée dans les temps à la mairie (à se demander comment ils sont organisés pour que les procurations ne s'acheminent pas entre l'hôtel de police et la mairie en trois jours...). Et bien, j'ai appelé partout, espérant que le reçu de procuration pourrait suffire et qu'on laisserait mon mari voter à ma place mais sans succès. Le seul recour qu'on m'a proposé c'est de porter plainte... Ben oui et on aurait refait les élections juste pour moi ?

2. Le mercredi, 17 juin 2009, 13:39 par Merome
J'imagine le même recours qu'aujourd'hui, c'est à dire que l'on doit considérer si cela peut faire pencher le résultat de l'élection ou non. Je pense que dans tous les scrutins, il y a des petites erreurs de commises qui pourraient justifier un revote. Dans les faits, ça ne doit pas arriver souvent car cela n'est pas de nature à faire changer l'issue du vote.
3. Le mercredi, 17 juin 2009, 13:43 par Bob

Un peu comme le cas de Tibéri : à l'époque, les tribunaux avaient reconnu qu'il avait bel et bien truqué son élection mais ils ne l'ont pas invalidée au motif qu'il aurait gagné quand même si il n'avait pas triché :)

4. Le mercredi, 17 juin 2009, 16:12 par Merome
Bob : c'est ça que je reproche aux détracteurs des machines à voter : de ne pas réaliser que les fraudes existent déjà et qu'une machine à voter bien conçue (ce qui n'a peut-être jamais été le cas) peut permettre d'enlever quelques défauts.
5. Le mercredi, 17 juin 2009, 19:50 par Raf

100% d'accord avec toi, il y a une sorte de frein psychologique à l'adoption du vote électronique en France malgré les avantages indéniables qu'il apporte. A travers les voitures, les avions, les centrales nucléaires, on n'hésite pas une seconde à mettre sa vie entre les mains de l'informatique et de l'électronique, mais pour ce qui est de la démocratie, on veut absolument rester sur du matériel, des bulletins sonnants et trébuchants. Comme si chaque élection n'apportait pas son lot de "fraudes à la chaussette", de "vote des absents", et je passe sur toutes les arnaques qu'on ne découvre jamais. Mais voilà avec des bulletins de vote en papier, on se dit que la fraude reste anecdotique, qu'elle se limite au pire à quelques bureaux de vote véreux et qu'elle n'a donc pas de poids réel sur le résultat l'élection. Ce qu'on craint avec la dématérialisation du vote, c'est de la fraude à grande échelle, comme si aujourd'hui la comptabilisation des résultats à l'échelle nationale ne passait pas déjà par des ordinateurs!

Toujours en rapport avec le vote, je me posais la question dernièrement de rendre le vote obligatoire comme en Belgique (avec évidemment représentation des bulletins blancs t nuls dans les résultats). Bonne ou mauvaise idée?

6. Le mercredi, 17 juin 2009, 23:44 par Jid

Et tout simplement une machine qui imprimerait le bulletin papier?

7. Le jeudi, 18 juin 2009, 21:18 par Pierre

Salut,

Et comment faire pour que les 60% d'abstentionnistes aillent voter? Parce que se la jouer avec 28% ou 16% de seulement 40% de votants, faut oser...

8. Le mercredi, 24 juin 2009, 11:12 par Matif

Votre histoire n'est pas fini : le gars sort du bureau de vote et rentre chez lui. Là, il reçoit la visite de ses "cousins" qui lui demandent son ticket afin de vérifier qu'il a bien voté selon les conseils de la "famille". Si le ticket est perdu ou ne correspond pas aux conseils il se fait casser la figure.
Cela s'appelle coercition. On ne connaît pas en France car le système de vote à l'urne est bien au point et empêche sa mise en oeuvre.

Le mot "scrutin", synonyme d'"election" porte en lui la nécessité du contrôle citoyen. Il a la même origine latine que "scruter" et "scrutateur" (scrutinium : action de fouiller, de scruter). Il nous rappelle que la transparence qui autorise le contrôle populaire du déroulement de la journée de vote fait intimement partie des élections. Avec le vote électronique il n'y a plus ni scrutin, ni scrutateur. Peut-on encore parler d'élections ?

Je suis d'accord avec vous sur un point : le processus de vote avec urne peut encore être amélioré.


PS : Psychiatriser les personnes qui ont un avis différent me rappelle les habitudes de régime politiques peu recommandables.

9. Le mercredi, 24 juin 2009, 15:04 par Merome
Matif : il suffit de ne pas délivrer de ticket dans ce cas. On fait éventuellement un exemplaire papier qui va dans une urne classique, si on veut pouvoir recompter facilement, mais le numéro apparait à l'écran et libre à chacun de le noter sur un papelard ou non.
10. Le jeudi, 25 juin 2009, 17:55 par Merome
Municipale à Perpignan : des bulletins sous le bras
C'est vrai qu'avec une machine à voter, la dame qui fait collection ne pourra plus s'adonner à sa passion...
11. Le vendredi, 26 juin 2009, 10:35 par Matif

La preuve papier vérifiée par l'électeur est un concept qui ne tient pas la route (c'est vraiment la Café du Commerce ce blog)
Voir l'article écrit par un chercheur du CNRS "Vote électronique et preuve papier"
www.ordinateurs-de-vote.o...

12. Le vendredi, 26 juin 2009, 12:02 par Merome
Matif : Tu ne lis pas ce qu'il y a écrit ? Si la preuve papier te dérange, ne mettons pas de preuve papier. Juste un numéro unique, que chacun est libre de noter ou pas et qui figure sur la liste des résultats.
13. Le vendredi, 26 juin 2009, 12:50 par Matif

Et à quoi ça sert ce numéro pour constater que son vote a été ou pas bien enregistré si on ne peut pas faire un contentieux électoral ?

De plus, quasiment personne n'ira vérifier ...

Merci de lire attentivement les articles des chercheurs qui travaillent sur ce domaine...

14. Le vendredi, 26 juin 2009, 13:12 par Merome

Matif : parce qu'aujourd'hui, on peut vérifier que son bulletin a bien été décompté ? Et aujourd'hui, tout le monde vérifie bien que personne n'a de bulletin dans ses chaussettes ? Tout cela ressemble à de l'opposition de principe. Les machines à voter actuelles ont sans doute bien des défauts qui légitiment l'attitude de leurs contradicteurs. Mais que cela ne nous empêche pas de nous interroger sur d'autres solutions mieux pensées. Et je ne prétends pas que la solution que j'aborde ici est véritablement meilleure. Simplement, on ne m'y oppose que des arguments qui ne sont pas valables (car déjà vrais dans le mode de scrutin actuel).

15. Le dimanche, 28 juin 2009, 17:26 par Matif

Vous faites des procès d'intention. Qui prétend que le vote avec urnes transparentes est sans défaut ?
Personne, à part les promoteurs du vote électronique qui s'empressent ensuite de démontrer que cette assertion est fausse.

Le vote avec urnes transparentes est perfectible, le vote électronique ne l'est pas : la transparence, pierre angulaire des élections, disparaît irrémédiablement.

Nota : Un synonyme d'"élection" est "scrutin". Ce mot vient de la même racine que "scruter" ou "scrutateur". Il rappelle que la transparence et le contrôle des élections, directement par les électeurs, sont une caractéristique fondamentale des votes.

Nota2 : le vote électronique est un marché avec plein de brouzoufs à gagner.

16. Le dimanche, 28 juin 2009, 20:02 par Merome
Matif : ok, le mode de scrutin actuel est perfectible. Les machines à voter actuelles aussi. Personne ne le nie, ni vous, ni moi. Je propose, vite fait, une amélioration possible du vote électronique : un numéro unique délivré à l'écran, qui permet de vérifier que son vote est pris en compte. Chacun peut "scruter" le résultat, même dans une liste nationale de résultats. Un recoupage avec les signatures "papier" permet de vérifier qu'il n'y a pas eu plus de votes que de votants. Et on peut exploiter les résultats électroniques plus rapidement et plus efficacement que les bulletins papier. Donc ? Sous prétexte que le vote électronique va faire rapporter du pognon à quelques entreprises, il faut pas le faire ?
17. Le lundi, 29 juin 2009, 01:28 par Matif

Votre proposition est inopérante sur la plan légal : c'est la garantie du zéro-contentieux quelle que soit la sincérité des résultats énoncés... Impossible de faire pire.

18. Le lundi, 29 juin 2009, 08:13 par Merome
Matif : Je comprends rien. En quoi c'est différent ou moins bien que la forme actuelle où l'on ne peut pas être sûr à 100% que son bulletin a bien été lu (puisqu'on ne peut pas le reconnaître) ?
19. Le lundi, 29 juin 2009, 09:27 par Matif

Essayez de changer la moitié des bulletins de vote d'un bureau de vote sans vous faire choper (la tentative de fraude avec les chaussettes s'est vue).
La forme actuelle permet le contrôle par tous (transparence directe) : pas besoin d'avoir un bac + 12 pour voir des bulletins dépasser des chaussettes.
Vous roulez pour l'industrie bancaire sans même vous en rendre compte...
LISEZ les travaux des chercheurs sérieux.

20. Le lundi, 29 juin 2009, 09:28 par Matif

Et la forme actuelle est opérante sur le plan légal : les élections de Perpignan ont bel et bien été annulée.

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