Les plaisirs bucoliques de la vie pastorale, en famille

Parmi les activités qui sont familiales par excellence, la marche a cet avantage supplémentaire de ne demander aucun investissement particulier.
Prenez une forêt quelconque pas loin de chez vous, et un plan des sentiers du coin, et vous voilà partis pour des heures de plaisir familial, où le partage des connaissances, le goût du dialogue, le bon air, sont autant de sources de joie ineffables.

Cette fois-ci, on a choisi de suivre le rond vert. La pancarte toute neuve à l'orée de la forêt indique un parcours de quelques kilomètres seulement, ou encore une durée raisonnable, mettons une heure.

Le parent attentionné et vigilant sait qu'il se promène ici avec des enfants en bas âge et que leur demander un effort inadapté pourrait nuire à leur santé, à leurs jolis petons, voire à l'ambiance du week end entier, s'il n'y prend pas garde. Aussi, il s'assure que tout le monde est convenablement chaussé et que le territoire n'est pas hostile (par exemple, les forêts avec des loups, c'est à éviter, surtout après minuit).

Et toute la famille avance gaillardement sur les chemins ombragés et parfumés d'essence de pins, même quand c'est juste des hêtres qui sont là, ça ne change rien au plaisir.
Les enfants qui ne savent pas encore à quoi s'attendre s'égayent bruyamment sur le sentier en courant à droite à gauche et comme ces chiens débiles qui courent à l'avant pour voir en premier ce qu'il y a derrière la butte ou le virage. Ils veulent être les premiers à trouver le prochain "rond vert" méticuleusement cloué sur un tronc qui ne demandait rien à personne.

L'adulte, qui en toute circonstance s'émerveille des choses de la vie, se demande qui a bien voulu perdre un peu de son temps pour flécher avec tant de conscience professionnelle un chemin de bois qui lui permet aujourd'hui de batifoler en toute quiétude dans une forêt pourtant jusqu'alors inconnue. Mais le chant des oiseaux, le sourire des enfants et un putain de caillou dans la godasse l'empêchent de mener la réflexion à son terme.

Après une demi-heure de marche, les enfants se sont assagis, ils restent benoîtement à côté des parents desquels ils tiennent la main, quand ils ne se pendent pas littéralement après pour qu'on les tire. Les arbres désespérément semblables se succèdent et le chemin monte rude. La conversation s'engage alors sur un ton éducatif et pédagogique.

- Le sport, c'est bon pour la santé
- Et les frites ?
- En petite quantité, oui, il en faut aussi.
- J'ai soif.
- J'ai de l'eau dans le sac, mais nous attendrons la fin de la coté pour y goûter. Cela se mérite.
- J'ai mal aux pieds.
- Tu as mis tes semelles ?
- Nan.
- Tu vois, je te l'avais dit. Il faut que tu y penses...
- J'ai soif.
- Regarde : nous montons en altitude, et les feuillus laissent leur place aux résineux.
- Oh, là : une crotte !

C'est les vêtements mouillés de sueur que la famille termine la montée, avec la satisfaction du devoir accompli. On sort les biscuits et la boisson. Les enfants se jettent d'abord sur les biscuits, puis les lèvres couvertes de miettes et de chocolat, s'emploient à cracher dans le goulot ce qui leur reste en bouche. Comme on n'a qu'une bouteille pour éviter la surcharge du sac, l'adulte n'a plus soif, finalement.

Au milieu de rien du tout, d'un coup, se dresse un monument en pierre. Une croix d'un autre âge, dressée là par des gens qui n'avaient visiblement que ça à faire de leur journée. On a beau chercher, on ne s'explique jamais vraiment comment de tels monuments, parfois des édifices entiers ont pu être érigés au fin fond d'une forêt retirée de tout. On s'incline, et on respecte le travail de titan que cela a dû représenter. Mais n'empêche, il faut avoir que ça à foutre.

La troupe familiale est à un croisement de deux chemins, mais aucune signalisation visible ne comporte le fameux rond vert. Du triangle rouge, oui, du rectangle bleu, tant qu'on en veut, mais du rond vert, pas l'ombre. Tiens donc, depuis quand n'a-t-on pas vu de rond vert, s'interroge l'adulte in petto. Mais confiant et guidé par son instinct, il décide rapidement d'opter pour le triangle rouge, dont le chemin semble aller dans la bonne direction pour le retour. Même si ça monte un petit peu.

Au bout de quelques minutes et alors que ça monte de plus en plus et que ça va de moins en moins dans la bonne direction, les enfants demandent si c'est encore loin.
L'adulte, qui en toute circonstance garde son calme et la maîtrise de soi, échange un regard discret avec son conjoint qui n'en mène pas plus large. C'est à dire que si ça fait vingt-cinq minutes que l'on marche dans la mauvaise direction, ça signifie qu'il faudra parcourir, au bas mot, encore quarante minutes de ce chemin merdique, alors que les enfants sont déjà au bout de leurs forces et commencent à entamer la patience, pourtant légendaire, de leurs parents.

- On est perdus ?
- Allons, ne dis pas de bêtises, on cherche juste le chemin le plus court.
- J'ai mal aux pieds.
- Tu fais comme nous, tu supportes.
- Tu as mal aux pieds aussi ?
- Non, mais on te supporte toi, qui nous les casse, les pieds.
- Il y a encore combien de kilomètres ?
- Tiens, regarde, on arrive à un point de vue, je suis sûr qu'il va être riche d'enseignements.
- Je vois rien je suis trop petit.
- Mais si, regarde, là, le petit point bleu
- Oui, on le distingue à peine d'ici. C'est quoi ?
- Eh ben, c'est notre voiture.

À cet instant, l'adulte se rend compte que c'est une bonne heure qu'il faudra pour revenir à l'auto, et que le sac est vidé de ses victuailles qui sont autant de motivations pour enfants récalcitrants, et qui ont mal aux pieds. Il se demande quelle espèce de connard a pu aussi mal signaler ce sentier de randonnée et pourquoi il s'emmerde la vie à sortir les enfants le week-end alors qu'ils le font déjà assez chier la semaine comme ça. Bordel.

Mais conscient d'être un modèle et n'ayant à ce titre aucun droit à l'erreur, il prend la situation en main, ainsi que ses enfants, et part en sens inverse, en essayant de ne pas se gourer, en plus, en rebroussant chemin. À gauche, après cette putain de croix inutile et moche.

A mi-parcours, les épaules usées par les sollicitations de ses progénitures pendues à ses membres fatigués, il ne peut que constater son erreur : une bifurcation pourtant évidente du trajet du rond vert, qui aurait évité la pente raide, tout en proposant son lot de curiosités dont les enfants auraient pu profiter : une fontaine magique, un arbre centenaire, des balançoires, et des petits ponts en bois qui passent sur des torrents.

Mais l'heure n'est plus à l'amusement, le soir tombe et avec lui, l'obscurité qui n'arrange rien. L'orage gronde au loin, et l'on ne saurait s'en protéger autrement qu'en se mettant sous un arbre, vu que cette forêt si mal tenue en est peuplée. La fin de la ballade est orchestrée au pas de course, sous les gouttes de pluie, et on traîne les enfants sur les dernières centaines de mètres avant le parking.

Vraiment, une belle sortie, familiale et reposante, que cette longue marche sur des sentiers pittoresques.

Commentaires

1. Le mercredi, 3 juin 2009, 01:02 par Stef

J'ai failli ne pas lire en voyant le sujet bucolique, j'ai bien fait de m'y attarder, le second degré est excellent. :)

2. Le mercredi, 3 juin 2009, 08:44 par Odile

"...parfumés d'essence de pin, même quand ce ne sont que des hêtres..." : un bon point pour vous, Mérome ! Pour la plupart des "amoureux de la Nature", les feuillus c'est Bien, les résineux c'est Mal. Je vous félicite de ne pas tomber dans ce préjugé.

"Depuis combien de temps on n'a pas vu une rondelle verte?" Là, ce sera un mauvais point. Quand on ne voit plus ses balises, tant pis pour la corvée, il faut (essayer de) retourner sur ses pas jusqu'à la dernière qu'on a vue. Se perdre, avec des enfants, ça peut être grave.

Je suis un peu intriguée par ce système de balisage qui plante des clous dans les arbres. Les balisages homologués par la Fédération française de Randonnée (dont je vous conseille vivement les topoguides, conseil totalement désintéressé) correspondent à des normes précises et sont respectueux de l'environnement.

Enfin, bravo à vous, continuez d'emmener vos enfants marcher en forêt ou ailleurs dans la nature, même s'ils pleurnichent et rouspètent ils s'en souviendront toute leur vie.

3. Le mercredi, 3 juin 2009, 10:25 par Merome
Odile : Je parle de ce type de balisage :
4. Le mercredi, 3 juin 2009, 11:01 par Stef

Ah ? C'était donc promenade au bois de Boulogne ? :)

5. Le mercredi, 3 juin 2009, 13:56 par Odile

???????

Je me trompe, ou je suis en train de me faire virer avec un pied au c.. ?

Dommage, j'aimais bien lire vos billets et ajouter mon grain de sel de temps en temps. Mais visiblement je n'ai pas tous les codes.

Tant pis, je m'en remettrai. Bonne continuation à vous, et salut !

6. Le mercredi, 3 juin 2009, 14:17 par Merome
Tiens, ça, c'est amusant... Je mets une image, elle apparait bien comme il faut, mais au bout d'un moment, paf, elle change toute seule... J'ai remis l'image originale, ça va aller beaucoup mieux. Odile, si tu m'entends...
7. Le mercredi, 3 juin 2009, 15:20 par Stef

Mon commentaire allait avec la "mauvaise" image (jeune femme aguichante pour un site sexy), il tombe a l'eau avec la correction.

8. Le mercredi, 3 juin 2009, 17:55 par Odile

Oui, je t'entends, et en effet ça va mieux ! J'étais décidée à me retirer, drapée dans ma dignité offensée, mais la curiosité a été la plus forte, et elle s'est montrée bonne conseillère...

N'empêche, c'est pas joli de planter des clous dans les arbres !

9. Le mercredi, 3 juin 2009, 20:37 par Merome
Juste pour info, pour ceux que la technique intéresse, sachez que le problème de l'image qui change est due à un anti-leecher. C'est à dire un truc qui empêche le téléchargement d'une image depuis un autre site que celui qui l'héberge. Vous tapez l'adresse de l'image dans le navigateur => ça marche. Vous intégrez cette même image dans un autre site, paf, on vous met autre chose à la place. Comme chez moi, l'image était en cache, je ne me suis rendu compte de rien. L'objectif de l'anti-leecher est d'éviter le vol de bande passante : trop facile, je mets toutes mes images ailleurs pour ne pas surcharger mon serveur et la bande passante qui va avec...
C'est tout pour le point technique passionnant. Ne me remerciez pas.
10. Le jeudi, 4 juin 2009, 01:11 par Arnaud

En fait, c'est un peu comme une ballade en foret. Ca a la forme du bon chemin, l'odeur du bon chemin mais ce n'est pas le bon chemin :)

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