24 décembre, 8 heures.

Mettez une couche d'écharpe, une couche de bonnet, une couche de gants. Départ de la maison sous un ciel entre chien et loup. Sur le perron de la MJC, un type en veste de père Noël fume une cigarette. Passez par la boulangerie pour confirmer le dessert du soir. Même pas la peine de retourner vers l'arrêt du tram : comme on est en période de vacances, ça veut dire qu'il sera juste en retard par rapport à l'horaire réduit, plutôt que très en retard par rapport à l'horaire habituel. La rue des petits commerces, inhabituellement déserte, devrait maintenant vous apparaître comme une invitation à la marche.

Vous aurez pris soin de prévoir une musique de votre choix pour accompagner votre pas, à moins que vous ne préfériez profiter du silence relatif du bitume. En passant devant les premières boutiques ouvertes, vous pourrez accorder une minute de consternation à la devanture du livreur de hamburgers qui a remplacé une des boucheries du quartier. Quittez la rue en direction du centre-ville et avancez vers le pont qui surplombe les lignes de chemins de fer. Levez le nez. En quelques minutes le ciel a troqué son bleu contre un gris sombre. Profitez de l'espace qui s'ouvre à vous. Les bâtiments du centre, d'ordinaire familiers, arborent un petit air de ville fantôme.

Au bout du pont, passez sous la grande tour pour descendre vers le centre commercial. À cette heure, seuls les couloirs sont ouverts et le centre pratiquement désert se laissera donc traverser en quelques instants. Ignorez avec un sourire narquois les panneaux électroniques et la radio criarde qui déversent, à tous et à personne, leur litanie publicitaire. Une fois sorti, slalomez sur la place du marché entre les baraques de fringues qui entament leur éclosion matinale. Aucun intérêt à passer par les rues investies par les bicoques en bois du soi-disant marché de Noël : même si elles étaient ouvertes, rien à voir là-bas ou si peu, entre les marchands de beignets faits à la machine, les ramasse-poussière, les jambons du sud-ouest ou les statues africaines made in China.

Toujours d'un bon pas, vous rejoindrez la ligne du tram, évidemment aussi dénuée de rame qu'à votre départ. À l'aide d'éclairages aussi massifs que superflus, les vitrines des grands magasins exposent leurs appas à l'avenue déserte. Quelques humains commencent à émerger. La jeune fille que vous croisez porte en bandoulière un sac de toile à l'effigie du Che et sur la tête un bonnet de Noël girl, comme quoi tout est possible. Quittez maintenant le cœur artificiel de la ville, passez sous les tours de la cathédrale qui se dissolvent dans la brume et entrez dans la dernière partie de votre parcours.

En entrant dans le quartier du canal, vous pourrez allonger le pas. Les péniches endormies à quai ne se réveilleront pas de sitôt. Ici, les anciennes maisons et les entrepôts désaffectés ont progressivement cédé la place à l'urbanisme contemporain, indignement représenté sur la gauche par les formes infâmes de l'école d'architecture (sic). Mieux vaut ne pas s'attarder dans les alignements stériles de ces cubes de béton. Vous aurez bien meilleur temps de mettre à profit les secondes économisées pour vous arrêter sur le petit pont du canal secondaire et observer un héron qui se promène sur les allées en contrebas.

Le ciel est maintenant d'un gris clair et parfaitement opaque, comme si la ville avait été transformée en modèle réduit et enfermée dans une ampoule de verre dépoli. Votre voyage arrive à son terme. Il serait temps de vous réveiller, mais si le cœur vous en dit vous pourrez continuer à somnoler quelques jours encore.

Commentaires

1. Le dimanche, 28 décembre 2008, 20:07 par Merome
Effectivement, il est pas polémique, celui-là :)

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