La vie n'a pas de prix

Suite à la crise financière, on a vu fleurir sur le web des tas d'articles, de site, de vidéo pour expliquer la crise aux néophytes. Il faut dire que le domaine de la finance est particulièrement opaque et il y a un grand besoin de pédagogie pour parvenir à y faire comprendre quelque chose.
La plupart des liens que j'ai visités à ce sujet commencent doucement par expliquer le principe des subprimes, mais finissent tous par être parfaitement imbuvables, parce que je crois que fondamentalement, le sujet l'est.

Un peu en marge de cette mini-mode de "La finance pour les nuls", j'ai trouvé hier dans le forum Tric-Trac (comme quoi le jeu mène à tout !) un lien vers une vidéo un peu différente, dont l'origine est bien sûr américaine ("Money as debt"), mais qui a été sous-titrée en français, puis carrément passée en VF par une bande d'internautes qui n'en veulent. C'est donc devenu "L'argent dette".

Je me suis tapé ce reportage d'une cinquantaine de minutes, et il faut reconnaître que l'effort pédagogique est réel. Au niveau de la réalisation, il ne faut pas s'attendre à des miracles, un vieux power point d'un mauvais consultant (pléonasme ?) est beaucoup plus joli à regarder que ce reportage. Mais l'intérêt est ailleurs.

Le reportage nous explique en substance que les banques créent l'argent qu'elles prêtent. Elles le créent de toutes pièces, si je puis dire. N'allez pas croire que lorsque vous faites un emprunt, la banque possède l'argent qu'elle vous prête. C'est vous qui possédez l'argent. La banque ne fait que croire (espérer ?) que vous allez bien le rembourser dans les temps. La banque a bien une "mise" de départ, qui lui donne le droit de prêter de l'argent jusqu'à un certain point (le reportage donne le taux de 9 pour 1 : une banque qui a 1000€ en caisse, peut en prêter 9000). Mais l'argent réel qui correspond, lui, n'existe pas, en tout cas pas encore.
Imaginons que vous empruntez 10.000 € pour acheter une voiture. La banque crée cet argent, vous en disposez comme bon vous semble, et vous faites un chèque à un vendeur de voiture. Celui-ci apporte le chèque à sa banque, qui du coup s'enrichit d'autant, ce qui lui donne le droit de prêter encore plus à ses propres clients. Vous commencez à saisir l'engrenage infernal ? Plus une banque prête de l'argent, plus les autres (ou elle-même) peut en prêter davantage. Le pire c'est que ça marche vachement bien depuis la nuit des temps. Enfin presque.
Si d'un coup, tout le monde veut retirer l'argent qu'il a sur son compte, ça pose un réel problème. Cet argent n'existe pas. Il n'a jamais physiquement existé, pas plus qu'une quelconque marchandise qui le représente.
Par ailleurs, la machine s'alimentant elle-même, s'il n'y a pas toujours plus d'emprunteurs qui "créent" de l'argent en empruntant, c'est la fin du cercle vicieux. D'où la nécessité de la fameuse "croissance économique". Une croissance qui est exponentielle, puisqu'elle est relative au chiffre de l'année précédente. Si nous avons un taux constant de 2% de croissance d'une année sur l'autre, c'est que notre croissance est exponentielle, car les 2% de cette année sont supérieurs aux 2% de l'année précédente...
En ces sombres années que nous connaissons où les ressources naturelles tendent à s'épuiser (le pétrole, les matières premières ...), tenir cette cadence exponentielle devient difficile. Il n'est pas simple de faire "toujours mieux" quand on se heurte aux limites physiques de la planète.

L'ensemble de notre système financier repose sur la dette, c'est à dire sur l'argent qu'on va gagner, la richesse qu'on va produire. Ce qui est vrai pour le particulier l'est aussi pour l'Etat, qui lui même emprunte de l'argent aux banques privées, alors qu'il aurait théoriquement la possibilité de faire fonctionner la planche à billets pour ses propres besoins (avec toutefois un risque d'inflation). Mais il ne faut pas s'étonner plus que ça de voir les Etats pourtant propres sur eux, comme la France, ou les Etats-Unis avoir des dettes colossales : elles sont là pour alimenter un système qui ne fonctionnerait pas sans ça !

A partir de là, le reportage tourne à la théorie du complot, il faut donc le regarder avec toute la distance nécessaire. Les banquiers auraient mis la main sur le trésor appartenant aux Etats depuis un bout de temps. Ces quelques puissants "contrôleraient" le monde au nez et à la barbe des politiciens et des citoyens qui n'ont pas d'autres moyens que de participer à un système qu'ils ne comprennent pas suffisamment pour le détruire.

La solution ? Le document en propose plusieurs, à commencer par la relocalisation de l'économie, par exemple en passant par des systèmes d'échanges locaux, avec une monnaie locale. J'y reviendrai sans doute un jour dans un article, pour l'instant, ma réflexion sur le sujet n'est pas mûre.
Une autre solution préconisée serait un retour à un Etat souverain au niveau monétaire et financier. L'Etat créerait l'argent dont il a besoin à condition qu'il corresponde à une richesse réelle (un équipement, une infrastructure de bien commun). Il serait seul à posséder ce "pouvoir" de créer de l'argent. Les banques ne seraient alors autorisées qu'à prêter ce qu'elles ont et sans intérêt. Juste ce qu'il faut pour les frais de dossier.

Je suis bien trop mauvais en économie pour juger de ces propositions, et le reportage prend un ton bien trop conspirateur sur la fin pour que je puisse y accorder un crédit sans faille. Aussi, je vous laisse le soin de visionner la vidéo et me dire ce que vous en pensez.

Commentaires

1. Le jeudi, 2 octobre 2008, 15:22 par Denzel

Je visionnerais cette vidéo qui m'a l'air intéressante, cependant j'étais déjà au courant du "trafic" d'argent irréel des banques

2. Le jeudi, 2 octobre 2008, 18:14 par Filou

Chapitre de février du programme de 1ere Economique et Social : Le Financement de l'économie... le seul chapitre où environ 95% des élèves n'y captent pas grand chose du fait de sa complexité.
Depuis qu'on entend de plus en plus parler d'un possible effondrement du systeme, je me demandais toujours s'il était possible de "s'en sortir" à ma petite echelle. J'avais pas entendu parler des SEL donc ce passage de ton article est très instructif et je suis en train de me renseigner sur celui de Grenoble.
Merci pour cet article très intéressant !

3. Le dimanche, 5 octobre 2008, 12:53 par Jh'o

Si je peux me permettre un petit complément d'informations:

La création d'argent par les banques est un des rouages principal de notre économie. Et tout celà est reglementé de manière plutôt strictes par les banques centrales. Une banque qui ne crée pas d'argent est une banque morte, car l'intérêt des banques dans l'économie au delà du petit épargnant est de financer l'investissement. Qui comme vous le savez surement est à la base du développement économique.

Pour simplifier, un petit exemple (Merome l'explique aussi, mais c'est nécessaire pour la suite du développement)

La Banque X a 1000€ en dépot.
La banque centrale exige qu'elle garde 100€ dans ses coffres (Coefficient bancaire de 10%). Elle peut donc prêter 900€.
Poussons le raisonnement un peu plus loin, la banque peut dès lors considèrer qu'elle a 100€ en coffre, 900 (1+interet) pretés et une somme fictive que lui étant due en tant que créancier.

JE ME REPETE MAIS CE SYSTEME, QUALIFIE D'ENGRENAGE INFERNAL, EST LA BASE DE L'ECONOMIE MONDIALE...

Pourquoi celà a t-il flanché?

1° Aux, USA, certaines banques voulaient gagner plus d'argent et ont donc décidé d'accorder des prêts à des personnes non solvables. Celà peut paraître aberrant, mais à cette époque, c'était le boom de l'immobilier. Et le prêt était souvent un prêt hypotecaire, donc avec une certaine logique, les biens immobilier s'appréciaient au fil du temps offrant une sécurité relative aux banquiers.

De plus, aux moins les gens sont solvables, plus le taux d'interêt demandé par les banques est élevé (prime de risque en quelque sorte) assurant des rentrées d'argent considerable.

2°Trop de banques ont consentis ces prêts, et ce sont retrouvés, comme prévu avec des biens immobiliers à vendre pour se rembourser. Et selon la loi de l'offre et de la demande, plus il y a eu de biens immobiliers à vendre, plus leur prix à chuter, et les banques ne se retrouvaient plus dans leurs frais. ===> Elles ont arreté de prêter de l'argent. Et certaines ont fait faillites.

3°Une banque qui perd de l'argent, ne peut dans une certaine mesure, plus répondre aux demandes de prêts interbancaires:

NB: Chaque jour, les banques se prêtent mutuellement des sommes d'argent conséquentes, si l'une ou l'autre à temporairement besoin de liquidités.

Or une banque qui ne rembourse plus, perd de la crédibilité aux yeux des autres banques, et ne recoit donc plus de liquidités, ce qui l'entraine inévitablement dans la banqueroute.

Pour vous rassurez chers internautes:

Il y a très peu de chances que les grandes banques européennes fassent faillites, elles sont fondamentalement saines et souffrent uniquement d'une crise de confiance. Le problème que nous rencontrerons, est que dans l'avenir, quand une entreprise voudra bénéficier d'un prêt, elle aura beaucoup de chances de se le voir refuser car les banquiers vont avoir très peur des gagistes non solvables ce qui entrainera un ralentissement économique partout dans le monde.

En espérant ne pas vous avoir assomés avec mes explications que j'ai tenté de rendre compréhensibles...

4. Le lundi, 6 octobre 2008, 08:51 par Merome
Je ne vois pas en quoi le fait que ça soit la base de l'économie mondiale en fait un dogme indiscutable. Si l'argent prêté par les banques correspondait à ce qu'elles possèdent, et que les Etats reprenaient la possibilité de créer de l'argent s'il le faut, ce serait beaucoup plus simple à gérer et il me semble, un peu plus démocratique. Enfin, moi je dis ça, j'y connais rien. C'est ce que j'ai lu...
5. Le lundi, 6 octobre 2008, 22:41 par Jh'o

Je n'ai jamais voulu parler de dogme, mais je me suis peut être mal exprimé.

J'ai voulu dire que ces prêts ne sont pas l'oeuvre d'une bande de golden boys flambeurs à la mort moi le noeud. Qui en faisant fi de toutes considérations dites du "bon père de famille" se seraient mis à envoyer des liquidités à droite et à gauche.

Si l'argent prêté par les banques était une partie de ce qu'elle possède, et non pas une anticipation des revenus futurs (voire anticipations d'anticipations), il n'y aurait pas assez d'argent que pour favoriser l'investissement.

Par le passé, à la suite de la crise de 1929, les états se sont mis à réguler la quantité de liquidités injectée dans le système économique, et il s'en est fallut de 20 ans pour se rendre compte empiriquement que le système n'était pas viable. Et ce pour tout un paquet de raisons que je ne développerai pas ici.


Interessant ton blog, Merome, je viendrai plus souvent ;)

6. Le mardi, 7 octobre 2008, 08:17 par Merome
Je ne comprends pas bien ta phrase "il n'y aurait pas assez d'argent que pour favoriser l'investissement". Le problème c'est qu'anticiper sur les revenus futurs, ça ne marche que lorsqu'on peut être certain que ces revenus arriveront tôt ou tard. En arrivant aux limites des ressources naturelles terrestres, on comprend bien que ça ne peut pas marcher longtemps.
Par extension, on peut se demander si la folie de la croissance qui pollue et qui accentue les inégalités n'est pas le fruit direct de ce système financier. Jusqu'alors, je croyais bêtement que c'était un problème essentiellement politique, mais au vu de ce nouvel éclairage, je suis plus sceptique.
7. Le vendredi, 10 octobre 2008, 12:31 par Jh'o

En gros, si les banques ne devaient prêter qu'au niveau de leurs liquidités réelles, elles ne pourraient pas prêter...

Une petite analogie:

Tu veux acheter une maison que tu comptes louer par après.
Tu demandes un prêt, et tu comptes sur le loyer pour rembourser ton prêt et ses interets.
Concrètement tu spécules sur de l'argent que tu n'as pas encore... Et le système bancaire fait exactement la même chose...

Très peu gens pourraient se permettre d'acheter à hauteur de ses liquidités.

Au niveau de l'économie réelle:

Imagine un boulanger, il a des recettes correctes tous les jours, mais après X temps doit racheter un four... Il n'aura probablement pas l'argent pour le faire directement et doit donc spéculer sur ses recettes futures qui serviront à rembourser l'emprunt qu'il aura consenti...

8. Le vendredi, 10 octobre 2008, 16:09 par Merome
Jh'o : Effectivement, le principe du prêt bancaire, c'est de dépenser de l'argent qu'on n'a pas encore. Mais on le fait (normalement) sur des bases saines, pas sur du vent. Les banques ont semble-t-il considéré que la croissance de l'économie était infiniment assurée. Un peu comme si le boulanger de ton exemple considérait qu'avec son nouveau four, il aurait plus de client, ce qui lui permettrait d'acheter un four encore plus grand, pour avoir encore plus de client, etc etc... A la fin, le boulanger, manque de bras, ou de farine pour que le système tienne debout et badaboum la boulangerie...

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