Pourquoi je n'écris pas sur le blog de Merome (ou si peu), suite

Je l'avais dit il y a deux mois, au-delà de ma maigre inspiration ou de la mince estime dans laquelle je tiens le peu que j'écris, il y a une autre raison pour laquelle je ne publie pas grand-chose sur le blog de ce cher Merome : j'ai perdu – il y a assez longtemps, en fait – toute foi en internet en tant qu'outil de communication et d'échange constructif avec le reste du monde. Je m'explique.

Au risque de passer – déjà – pour un vieux con qui radote sur le bon vieux temps, celui dans lequel les nouvelles technologies c'était mieux aaaavant, ça fait plus de quinze ans que j'ai commencé à causer avec des gens sur du réseau, ou ce qui en tenait lieu à l'époque. J'ai commencé par le minitel, à causer assembleur 68000 sur RTEL2 (en 3614 pour alléger la facture de téléphone payée par maman), puis le « vrai » internet en école d'ingénieur, le mail, usenet et fr.rec.humour, les premiers navigateurs web qui mettaient deux minutes à afficher la moindre image sur un terminal graphique noir et blanc et irc, le saint des saints des destructeurs de temps. À cette époque, le matériel était faible, les technologies encore limitées, les taux de transfert risibles et les premiers fournisseurs d'accès proposaient des tarifs à faire pâlir une compagnie pétrolière. La population ayant accès à internet était donc encore essentiellement limitée aux universitaires et étudiants, qui bénéficiaient d'un gros câble pour 3000 et de matos payé par la fac – c'est-à-dire des gens relativement éduqués et potentiellement un peu plus intelligents que la moyenne.

Pourtant on pouvait déjà se rendre compte que tous ces merveilleux outils, dont on nous disait qu'ils allaient mettre en contact les gens des quatre coins du monde et apporter ainsi connaissance et bonheur à tout un chacun, aboutissaient assez vite à des impasses. Des salons de discussion aux forums en passant par les listes de diffusion : des joutes verbales stériles, des gens qui s'écoutent parler, des engueulades, des tartines interminables sur les sujets les plus futiles. Aujourd'hui, les technologies ont évolué et l'accès à internet est – au moins pour la classe moyenne des pays industrialisés – virtuellement gratuit puisqu'il est offert en cadeau avec le moindre abonnement téléphonique. N'importe quel sous-développé du bulbe peut trouver un hébergeur pour y créer son propre forum, ouvrir un blog et y montrer sa collection de photos de gros barbus de 43 ans qui s'habillent en fée. Mais au niveau du contenu et de sa qualité : pas de changement notable, si ce n'est dans la variété des thèmes abordés.

Mettons de côté les sites utilitaires ou non-interactifs, ceux qu'on va consulter sans s'attendre à ce que ça discute en retour, et prenons les autres, les terres virtuelles promises où nous attendent les experts du monde entier, prêts à répondre à toutes nos interrogations. Dans cette famille-là, tous les sites que j'ai fréquentés ou que je fréquente encore peuvent être répartis en exactement et seulement deux catégories. D'un côté, les sites morts, où il y a un nouveau sujet de discussion par semaine et qui engendre trois réponses mollassonnes. De l'autre, les sites café du commerce, où le moindre nouveau message se transforme instantanément en 12 pages de baston en règle entre les dix habitués du site qui postent 97 % des messages. Notez que dans ce dernier cas, le thème du sujet est sans importance : ces gars-là peuvent s'insulter à l'envi aussi bien sur la gestion du CNRS que sur les mérites des candidats de la dernière saison de Koh-Lanta.

Mes dernières tentatives dans ces zones portaient sur deux forums d'aïkido. Le premier est tombé dans la catégorie des sites morts peu de temps après sa mise en place et semble d'ailleurs maintenant en phase terminale, et le second a toujours été dans la seconde catégorie, pour autant que je puisse en juger par ses archives. Les sujets les plus innocents peuvent, pour les plus chanceux, bénéficier d'une dizaine de réponses instructives avant que la discussion ne tourne, d'abord à la querelle entre écoles de pratique, puis à la querelle entre contributeurs, façon c'est-çui-qui-dit-qui-y-est. Les liens que Merome m'envoie de temps en temps vers les forums sur lesquels il va sont du même acabit, et ce site lui-même me semble être une bonne illustration : on alterne entre les sujets qui ne suscitent qu'une apathie générale, ou sur ceux qui déchaînent un tel torrents de commentaires qu'on serait bien en peine d'en extraire une synthèse utilisable.

Le type de support n'y change rien : les longues discussions par messagerie instantanée que j'ai de temps en temps avec Merome sont, la plupart du temps, des modèles de stérilité dans lequel chacun ressasse et reformule indéfiniment ses propres arguments en restant résolument hermétique au point de vue de l'autre, jusqu'à ce que l'un des deux se lasse et abandonne le « débat » dans l'état dans lequel il l'avait trouvé en arrivant. Avec la meilleure volonté du monde, les quelques cas de discussions réellement constructives ou intéressantes dont j'arrive à me souvenir font figure d'exception : toute l'expérience que j'ai des « nouvelles » technologies de l'information tend à prouver qu'elles ne favorisent en rien la communication, quand elles ne la sabotent pas carrément, entre le mode texte qui fait disparaître toute la partie non-verbale des messages et les nombreuses personnes qui ne savent tout simplement pas utiliser les outils.

Et plus ça va et plus ce que je vois me conforte dans l'idée qu'internet est parfait pour tout ce qui est à sens unique, acheter des trucs sans bouger de chez soi, gueuler sur le site de la SNCF, trouver des solutions à un problème de programmation en C++ ou des informations de troisième main sur la vérité du 11 septembre. Pour tout ce qui vise un vrai échange avec des vrais gens, la vérité est ailleurs.

Commentaires

1. Le dimanche, 21 septembre 2008, 16:41 par dromenlaire

bonjour

apres quelques mois sur le blog j'en arrive a la meme conclusion, pensais naivement que les blogs étaient un moyen d'échanges, de partages....aujourd hui j'en reviens

2. Le dimanche, 21 septembre 2008, 17:57 par Arnaud

Bob, je confirme en ce qui concerne la messagerie instantanée, quand ça dégénère avec merome, je vais le voir dans son bureau et là on arrive à discuter sans écran interposé

3. Le lundi, 22 septembre 2008, 01:41 par Stef

Bonne synthese de l'utilisation actuelle du net : beaucoup de temps perdu pour rien :)
J'ajouterais a ta liste les 99% des blogs existants qui sont nombrilistes et dénués d'intéret et se transforment dans le meilleur des cas en une galerie photo pas trop polluée de commentaires puérils... (je ne parle même pas des "Myspace", "Facebook" etc...)

4. Le lundi, 22 septembre 2008, 08:36 par Merome

Eh ben moi, je ne suis pas d'accord :) Au moins pas tout à fait.
Oui, discuter sur internet est exagérément chronophage, et suivre un forum ou deux en essayant de ne louper aucun message est un boulot à plein temps.
Oui, la plupart du temps, on n'a pas changé d'avis et chacun est resté campé sur ses positions, même après 300 pages de discussion.

Mais par contre, je reste totalement persuadé que tout cela est utile. Fondamentalement utile.
Ok, je ne suis pas d'accord avec Kevin25 au sujet du dernier album de Tokyo Hotel (je fais une fixation sur ce groupe dont je n'ai peut-être jamais entendu un titre !), ok, je ne serais *jamais* d'accord. Mais au moins, *j'entends* ses arguments, je connais au moins leur existence. Je sais que quelque part, quelqu'un pense de telle façon. Ça me conforte peut-être dans l'idée que c'est un vrai con, mais un con qui existe, là, à l'autre bout de la planète peut-être.
Dans la vraie vie, je ne cotoie sans doute jamais autant les gens qui sont d'un avis aussi opposé au mien (précisément parce que je ne les cotoie plus s'ils me gavent). Et même quand c'est le cas, les arguments ne sont jamais aussi diversifiés.
Autre exemple flagrant : dans mon entourage proche, les jeux de société sont une activité réservée au moins de 10 ans. Discuter avec des gens sur Tric Trac d'une passion que je partage avec eux, et pas avec les gens autour de moi, c'est enrichissant, même, et surtout, si je ne suis pas de leur avis.

Pour conclure, on dirait, Bob, que tu découvres avec Internet, qu'il y a un paquet de gens qui ne penseront, n'agiront jamais comme toi, et que ça te mine. Si c'est le cas, c'est toi qui condamne internet à un usage à sens unique. Le média n'y est pour rien...

5. Le lundi, 22 septembre 2008, 09:11 par Marzi

Tiens donc, ça, c'est interressant : pour une fois, c'est un veritable axe de communication différent de celui de mérome... ca doit être la "diversité qui enrichie".

Pourtant, je ne suis pas completement de ton avis, bob... mais pas non plus de celui de mérome, complement à l'opposé sur ce sujet ,qui croit outrageusement à la révolution numérique, croyant que la meme information sur le net que sur le JT de TF1 aura des effets qui n'ont rien à voir..

Bref: la vérité est peut-être... entre vous deux!

6. Le lundi, 22 septembre 2008, 09:17 par Merome
Marzi : j'ai rien compris à ton allusion à TF1 là.
7. Le lundi, 22 septembre 2008, 10:06 par Bob

Le fait que des gens pensent différemment de moi ne me pose aucun problème. Qu'internet me montre que ces gens-là existent ? La belle affaire, je le savais déjà longtemps avant de transférer mes premiers octets sur un téléphone. Qu'internet permette à des gens physiquement distants de partager un loisir commun parce qu'ils n'ont personne pour le faire dans leur entourage, pas de problème.

Ce que je veux dire, et que Marzi a compris, c'est qu'internet n'est pas la super-révolution de la communication qu'on nous a vantée et vendue depuis quinze ans. Ce n'est ni plus ni moins qu'un moyen de communication de plus, avec ses avantages et ses inconvénients... et je pense que l'un de ses inconvénients est qu'il a tendance à amplifier les erreurs de compréhension et les malentendus qu'on aurait retrouvés avec n'importe quel autre medium.

Si je "condamne" mon usage d'internet à être à sens unique, c'est précisément parce que j'ai constaté que c'est déjà ce qu'il était dans les faits, dans la très large majorité des situations censées être des moments d'échange, et qui s'avèrent au bout du compte n'être que des coins de café du commerce où chacun s'écoute parler sans faire vraiment attention à ce qui se dit autour. Fort heureusement ce n'est pas toujours le cas mais ça reste la norme, et de loin.

Donc oui, j'assume tout à fait mon absence d'intérêt pour les forums, réseaux communautaires (je n'ose pas dire communautaristes) et autres ghettos de l'incommunication que les media, la pub et les vendeurs de taux de transfert veulent nous faire prendre pour la nouvelle eau chaude. Je préfère largement discuter avec des vrais gens autour d'un vrai verre.

8. Le lundi, 22 septembre 2008, 11:27 par Merome
Tu ne savais pas à quel point il y avait des gens différents avant internet. Pas plus tard que ce matin, tu t'étonnais de voir un gars qui avait fabriqué une N64 portable. Je suis bien d'accord pour dire que c'est pas une information capitale qui va changer la face du monde. Mais tu n'aurais pas croisé un gars comme ça de sitôt sans internet ! Là, non seulement tu sais qu'il existe, mais tu as le détail de ce qu'il a fait et en plus, seulement si tu le souhaites. Si c'était ton beau-frère ou ton cousin qui avait fait un tel truc, tu aurais subi sa passion, même si elle te gavait au plus haut point. Là, tu peux approfondir le truc ou pas, et surtout, tu sais que quelqu'un l'a fait.

Sur l'amplification des malentendus par rapport à une moyen de communication autre, c'est seulement à moitié vrai. On perd le ton de la conversation orale, et donc un paquet d'informations, en revanche, on gagne au passage à l'écrit. Les paroles s'envolent...

Pour ma part, débattre à l'oral me semble totalement vain. Toutes les trois secondes, j'ai envie de crier "Source ?" quand j'entends quelqu'un déblatérer des chiffres ou des arguments tendancieux pour asseoir son propos. Bien souvent, je mets fin à une conversation orale, faute de pouvoir prouver ce que je dis, à part en alignant les "j'te jure que c'est vrai", ou "ma main au feu". Et de plus en plus souvent, je balance des liens par mails à ceux avec qui je viens de discuter pour faire le point. Dernier exemple dont je me souviens avec Arnaud, sur le prix des fruits et légumes. Calcifer peut en témoigner.

Et je regrette, mais je n'ai jamais tant discuté et débattu avec vous tous ici, que depuis que je le fais "en ligne", que ce soit par mail, par forum, ou par Skype interposé. Je suis peut-être pas normal, mais moi, cela m'a énormément fait avancer dans mes réflexions. Que j'ai changé d'avis ou non n'est même pas la question. Parfois, cela sert juste à se conforter dans son opinion. Mais dans tous les cas, c'est utile.
9. Le lundi, 22 septembre 2008, 13:57 par Filou

Hmm faut voir quelle définition de "moyen de communication" tu as Bob.
Avant Internet, les plus utilisés :
- telephone : couteux et uniquement oral
- courrier postal : couteux aussi, fiabilité douteuse, temps de transmission assez long, etc...

Donc oui Internet est bien une révolution des moyens de communication ! Le mail est gratuit (je ne parle pas du cout du forfait qui englobe bien plus que l'echange entre un mec et son pote), tu peux echanger des quantités de données incommensurables par rapport au courrier postal, c'est quasi instantané.
Une des principales raisons pour laquelle on a tendance à croire qu'Internet c'est juste un joyeux bordel en terme d'echanges d'idées, etc... vient surtout du fait qu'on s'y est habitué depuis son arrivée dans la vie quotidienne il y a 5/10 ans selon les personnes. La dynamique de "révolution" ne marche plus, c'est normal, on s'est habitué à tout ça, à pouvoir se renseigner gratuitement et instantanément auprès de plusieurs sources sur un sujet pointu quand au milieu des années 80, il fallait ouvrir une encyclopédie pour espérer avoir l'info recherché, à pouvoir prévenir tout un petit comité de cercle d'amis pour un ciné le soir même, en une seule manip à savoir un mail alors qu'il y a 10 ans il fallait prendre son telephone et appeler chaque personne une par une en espérant qu'elle soit dispo au bon moment.

Pour rebondir sur les blogs, ça reste selon moi des outils de "dénombrilisation". Certains blogs me font découvrir la vie de personnes à l'autre bout de la France, leurs expériences, leurs problèmes, leurs solutions, leurs découvertes, tout un tas de choses que ton seul entourage t'empêche de découvrir de lui simplement par le fait qu'il est du même tissu social, de la même région, de la même culture que toi.

10. Le lundi, 22 septembre 2008, 19:07 par Arnaud

Il ne s'agit que d'un lien mais merome aime tellement cela mais c'est un début et je pense que out le monde ici y trouvera son compte :

fr.wikipedia.org/wiki/Com...

Fort heureusement, ce qui prouve que nous sommes tous différents.

Maintenant, merome, je préfère passer 3 heures autour d'un verre (d'eau, de vin, ou tout autre brevage) à discuter plutôt que de passer des heures à essayer de dialoguer avec un interlocuteur sur le net. Ce que j'ai fait avec toi cet am (15min seulement) mais déjà c'était trop long et il n'en est rien ressorti.

11. Le lundi, 22 septembre 2008, 21:15 par Merome
Pourtant, les avantages de ce mode de débat me semblent nombreux et importants. Typiquement en ce moment, on peut poursuivre la discussion alors qu'on est pas au même endroit et pas en même temps en ligne. Il me suffit de relire les interventions de chacun pour savoir où l'on en est, les arguments qui ont déjà été énoncés et comment. Il m'est inutile, par exemple de redire "Discuter avec des gens sur Tric Trac d'une passion que je partage avec eux, et pas avec les gens autour de moi, c'est enrichissant", puisque je l'ai déjà dit. Au mieux je peux le reformuler pour que le message passe mieux. A l'oral, et plus encore si les interlocuteurs sont nombreux, le nombre de redites et de paroles inutiles est faramineux.

Du débat qu'on a là, reste dans mes pensée bien plus que n'importe quelle discussion orale. C'est peut-être une façon de fonctionner qui m'est propre, je me sais pas doué à l'oral, mais je peine à croire que vous preniez la peine d'écrire des réponses, d'énoncer des arguments, si vous ne trouvez pas là dedans votre compte. Par exemple, moi je ne trouve pas d'intérêt au téléphone portable, ben j'en utilise pas. Je comprends que d'autres y trouvent un vrai intérêt et l'utilisent pour ça. Moi non. Mais des gars qui postent sur un blog, pire, qui rédigent des articles pour icelui, et qui me disent qu'ils n'y trouvent pas d'intérêt particulier... à d'autres...
Moi je dis : ils bluffent.
12. Le lundi, 25 mai 2009, 00:01 par alkala

bonsoir d'espagne (là où j termine ma licence)

je me permets de te mettre dans mes sources pour mon devoir sur l'incommunication !

sur internet, on s'exprime mais ça veut pas dire que l'on communique. Exactement ce que je suis en train de faire !

bonne continuation

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