Merome ne se souvient de rien. Moi, je me souviens de ce que je peux.

C'est marrant que Merome ait commis la semaine dernière un billet sur les souvenirs qu'on a de notre enfance, parce l'idée m'est également passée par la tête récemment. Comme la plupart des gens (j'imagine), j'ai des souvenirs plus ou moins en vrac de quand j'étais gamin, qui remontent à peu près à la première année de maternelle, les balades des Amis de la Nature, pendant lesquelles j'avais tout le temps mal aux jambes, le jardin de ce qui était pour moi “la première maison”, même si je sais aujourd'hui qu'il y en a eu une autre avant celle-là, juste que j'étais trop jeune pour m'en souvenir...

Le hic, c’est que dans mon cas il y a une moitié des souvenirs qui s'est beaucoup réduite après mes six ans : divorce des parents, déménagement 200 bornes plus à l'est avec ma mère, et un week-end sur deux chez mon père, plus la moitié des vacances scolaires. Tout de suite, ça limite les possibilités. Et puis les dimanches en famille quand on est petit, vous savez ce que c'est, pendant que les grands prennent l'apéro, ou le café, ou n'importe quel autre bout du repas qui dure la moitié de la journée, quand on est gosse on passe plutôt son temps avec les cousins et les cousines, ce qui fait que l'un dans l'autre, et à l'exception de quelques évènements marquants, le temps des souvenirs de jeunesse passe assez vite... et quand, à peine quelques années plus tard, papa casse sa pipe subitement un matin, il est trop tard pour s'en rendre compte.

En se voyant à peine plus d'une journée tous les quinze jours, autant dire qu'on avait à peine eu le temps de commencer à faire connaissance, puisque quand on est ado on a la vie devant soi pour supporter ses parents. J'avais seize ans depuis une semaine. Ça fait seize ans cette année. La moitié de mon existence sans lui. Et arrivé à cet étrange point d'équilibre, je constate que l'imagination échoue totalement à combler les trous. Il aurait eu soixante ans cette année : quelle tête aurait-il, est-ce qu'il serait content de nos parcours, à mes frangines et moi, est-ce que seulement on s'entendrait bien ? Mystère. Le peu que j'ai eu le temps de grappiller, sans me rendre compte à quel point ça pourrait s'avérer important plus tard, ne pourra jamais remplir un trou noir qui ne peut que s'étendre avec le temps qui passe. Il faudra bien faire avec.

Il y a une chose que je ne pouvais pas savoir : rien ne prépare à la permanence de l'abomination.

Commentaires

1. Le vendredi, 21 décembre 2007, 17:29 par Merome

Joyeux Noël à toi aussi, Bob, sincèrement.

2. Le vendredi, 21 décembre 2007, 18:26 par Bob

Ah ben je t'avais prévenu que j'allais un peu plomber l'ambiance avec celui-là :)

3. Le vendredi, 21 décembre 2007, 19:05 par Merome
C'est bien : la vie n'est pas faite que de choses gaies. Et il y a des moments où il est nécessaire d'écrire ou parler de ça.
4. Le dimanche, 23 décembre 2007, 20:39 par marzi

... et justement, rappeler à chacun d'entre nous que la vie reste ephemere et qu'on aura peut-etre jamais l'occasion de dire/faire à ceux qu'on aime ce qu'on remet toujours à plus tard (j'ai pas le temps(c)) est donc une judicieuse idée par ces temps de fêtes...

5. Le vendredi, 28 décembre 2007, 22:57 par Torg

Les souvenirs de l'enfance, on en garde peu à mon avis (et pour avoir lu/vu l'avis de psychologues c'est comme ça pour tout le monde, n'en déplaise à Madame Nothomb). Pire, pour certains, heureusement qu'on n'en a pas le souvenir : vous souvenez comment il peut être douloureux d'avoir une dent qui pousse, perce la gencive, devient trés sensible aux aliments avant de s'endurcir ? par exemple.
Moi, j'en ai gardé quelques-uns, puis ceux qu'on m'a raconté. Sans avoir eu la meilleure des enfances (parents séparés quand j'avais 5 ans et quelques), je n'ai pas eu la pire. Je me suis rendu compte il y a déjà un temps que je ne serais sûrement pas là où je suis si mes parents étaient restés ensemble. J'ai eu la chance d'être élevé par ma grand-mère maternelle, conséquence directe du divorce et du travail de maman (cheffe de rang). Je me suis rendu compte il y a peu de temps, par contre là, la responsabilité qu'elle avait de me garder, et de m'élever. Trop jeune pour comprendre pourquoi je devais toujours être à portée de voix, par exemple, ou bien sans avoir le droit d'aller sur les tracteurs des voisins agriculteurs (alors que les traceurs, quand on a 8 ans, quel bonheur :) ) je vois son sens des responsabilités, et comment mon père aurait pu retenir ça contre elle en cas d'accident.
J'ai donc eu moi aussi l'absence du père, avec la viste tous les 15 jours aussi, même si sa vie était à 8 kilomètres. Mais ça a continué jusqu'à tard, mes 21 ans, selon le contrat de divorce.
Pourtant j'ai des souvenirs, mais avec lui, jusqu'à tard, pas de bons. Celui où un mec est venu me visiter chez ma grand-mère, puis chez mon père, qui a causé tant de soucis à ma mère et ma grand-mère. Avec des témoignages écrits de gens, de l'ex-belle-sœur de maman, attestant du bon traitement de maman à mon égard (des lettres pour prouver qu'une mère aime son fils unique, vive la justice et son pragmatisme), avec ses questions sur mes conditions de vie. Je crois par contre que j'ai compris ce qu'il disait en citant les juges "l'avis du gamin compte pour beaucoup", et moi je voulais rester avec maman, même chez mimi (le surnom que je donnais bébé à sa mère). Donc je suis resté chez "maman". Malgré toutes les promesses de papa, et du reste de sa belle-famille.
Je me souviens d'un Noël (tiens c'est d'époque :) ) où mon père m'attendait devant la porte de chez mimi, moteur tournant, près à partir chez lui, puis à Reims, chez sa (nouvelle) belle-famille et que cela a duré 45 minutes, portes grandes ouvertes de la maison, et Noël dans les vosges c'est frisquet :) surtout portes ouvertes. Mimi avait appelé son frère pour la soutenir moralement. Moi, je ne voulais pas y aller, surtout pour ensduite aller à Reims, et de toute façon ne pas être avec papa (il n'a jamais su s'occuper d'un enfant, j'en suis certain, il suffit de le voir avec mon fils son petit-fils, lorsque ce dernier lui demande de faire le bain, ou de changer la couche...) et au contraire être dans les mains d'étrangères (sa femme, considérée alors comme telle, et je crois toujours un peu), sa belle-sœur, et d'autres femmes inconnues des soirées de Noël (ce qui au pssage fait un bon souvenir de Noël aussi ça, tiens). Je trournait autour des talbes de la salle de mimi, et elle comptait même appeler le maire (seule personne juridiquement au courant, dans un village de 200 habitants)... j'ai fini par entendre raison, et partir pour Contrexéville, puis Reims, où de toute façon je ne me suis pas amusé, mais à Noël, maman n'était jamais là (à son grand dam), puisque partie gagner sa croûte en saison d'hiver.
Je me souviens aussi de ces vacances bretonnes à Concarneau, en camping (toujours pas compris l'intérêt du camping... pourquoi partir 3 semaines à moindres frais et dormir avec les fourmis le cul au froid, alors qu'on pourrait partir une semaine à l'hôtel et dormir dans un vrai lit ? mais c'est un autre problème, sauf que mon aversion pour le camping doit venir de là je pense, docteur Sigmund ?) longues, longues... Mimi m'a toujours dit que aussitôt rentré je l'ai appelée pour savoir si je pouvais revenir chez elle plus tôt.
Je me souviens aussi de ces trois semaines (toujours 3 semaines, toujours trop long) en Espagne, à Peniscola (avec le tilde sur le n). Et ces coups de soleil, premier degré. Et cette diarrhée tenace la dernière semaine, d'où la prise de médicaments constipants, et plus de 15 jours sans pouvoir faire. Je crois que mon anus s'en souvient encore, du débouchage :)
Je me souviens aussi de cet incident, avec son chien caniche-qui-puait-de-la-gueule-comme-tous-les-caniches dans mes jambes, qui m'a fait trébucher et ouvrir le gras du pouce.
Je me souviens d'Épinal, où maman travaillait après la séparation, mais avant le divorce (oui, les choses prenaient leur temps en ce temps-là) et où papa sa femme, sa fille étaient passés pour aller dans les Hautes-Vosges, au ski. Enfin, les adultes au ski, nous c'était bob et les pistes de luge pour enfants, sans surveillance... donc la luge dans le nez, radiographies et tout le toutim.
Je me souviens aussi de ce week-end où il était venu me chercher et nous avais laissé ma pas-demi-soœur et moi, avec un film (P.R.O.F.S. que j'adore :) ah le voilà le bon souvenir) tout le samedi soir. Pourquoi aller chez lui s'il n'est pas là ?
Et curieusement je n'arrive pas à me souvenir de choses plus joyeuses. Pas avec papa, pas avant 20 ans, le temps que je quitte le cocon maternel. Pire, depuis que j'écris ce texte, je n'arrive pas, malgré les efforts, à avoir _un_ bon souvenir de cette époque-là.
Par contre d'enfant, avant le divorce je n'ai que de bons souvenirs. Élevé alors par sa mère (à mon père pour ceux qui suivent encore) j'étais avec les vaches, les chiens, le coq qui me poursuit et qu'on a mangé au vin le lendemain, les veaux, les photos prises avec mon grand-père. Un type comme ça. Maladroit dans ses sentiments, mais je sais qu'il tape le carton avec Dieu et d'autres potes. Avec ses chansons "mon grand-père et mo, on a une grosse biroute", avec ce souvenir, à 5 ans, de pisser dans la cascade plus loin que les hommes. Avec ma grand-mère, partie trop tôt, renversée par une auto, conduite par un type de 80 ans, et tous les jours j'y pense, qu'elle ne connaîtra pas son arrière-petit-fils mon fils beau comme un soleil. Même le pied dans les rayons du vélo, c'est un bon souvenir, elle avait plus mal que moi :)

Alors, Bob, c'est quoi le mieux, des souvenirs absents, ou de mauvais souvenirs tenaces ?
Parce que des souvenirs avec ton père, avant 16 ans, tu en as n'est-ce pas ?

6. Le vendredi, 28 décembre 2007, 22:58 par Torg

Oups... désolé pour la longueur. :)

7. Le samedi, 29 décembre 2007, 15:48 par Bob

Je ne sais pas si c'est mieux. Je vois ça simplement comme une forme différente d'un seul et même problème. Le fond de la chose reste qu'il faut apprendre à construire sa vie (d'ado, d'adulte et, dans ton cas, de père) autour de ça. Faire avec (ou sans, en l'occurrence) et tâcher de construire quelque chose de positif à partir de là.

J'imagine que ce sont simplement les questions que l'on se pose qui ne sont pas les mêmes. La différence, c'est que toi tu peux toujours obtenir des réponses. Profites-en pendant que c'est encore possible, tu sais comme moi que les choses peuvent changer bien plus vite qu'on ne s'y attend.

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